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Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
The Lesson - Urok
de Kristina Grozeva et Petar Valchanov
Bulgarie, 2014, 1h45


À travers le Prix LUX, le Parlement européen célèbre le cinéma européen et sa diversité. Décerné chaque année, ce prix souhaite récompenser des productions européennes et les rendre accessibles à un large public, au-delà des barrières linguistiques et culturelles. En 2015, les trois films en compétition pour le Prix LUX ont été Mediterranea de Jonas Carpignano (Italie, Etats-Unis, Allemagne, France, Qatar), Mustang de Deniz Gamze Ergüven (France, Allemagne, Turquie, Qatar) et Urok (The Lesson) de Kristina Grozeva et Petar Valchanov (Bulgarie, Grèce).

Les réflexions proposées ci-dessous s'adressent notamment aux animateurs en éducation permanente qui souhaitent aborder l'analyse du film The Lesson ~ Urok avec un large public. Cette étude est également disponible au format PDF facilement imprimable.

En quelques mots

Nade est prof d'anglais. Elle vit avec son mari, qui est sans emploi, et leur fille de 4 ans. Un jour, alors qu'elle revient du travail, un huissier l'attend à la maison. Les traites n'ont pas été payées. Son mari a utilisé l'argent pour autre chose. Nade a trois jours pour rassembler l'argent et rembourser la banque, sinon sa maison sera mise en vente. Commence alors un compte-à-rebours où les obstacles vont s'accumuler, qui vont mettre à l'épreuve l'intégrité jusque là exemplaire de Nade.

Quelques éléments d'analyse

Le film met en scène un personnage en difficulté dans sa vie privée (elle a une dette à rembourser) et dans sa vie professionnelle (elle ne tolère pas qu'un vol commis à l'école reste impuni). Ces deux intrigues à priori sans relation et disproportionnées se rejoignent pourtant à la fin du film, où Nade se trouve recherchée par la police, juste au moment où elle a identifié le voleur : entre ces deux lignes du récit, sa position s'est en quelque sorte retournée.

Une femme intègre

Le film s'ouvre sur une scène que l'on pourrait décrire ainsi : une élève de la classe vient de se faire voler son portefeuille, qui contenait l'argent destiné à son repas à la cantine. La prof d'anglais, Nade, demande aux élèves de vider leur sac et laisse la jeune fille lésée procéder à une fouille pour tenter de retrouver le portefeuille. Comme la fouille ne donne aucun résultat, Nade demande à chacun de participer à une cagnotte pour compenser la perte : elle est elle-même la première à mettre la main au porte-monnaie. A la fin du cours, elle annonce qu'elle donne une chance au voleur de se racheter : elle fixe une enveloppe vide au mur, où le voleur pourra anonymement déposer l'argent du vol.

Lors de la leçon suivante, elle vérifie le contenu de l'enveloppe : seul un mégot en tombe, ce qui fait ricaner les élèves. Nade déclare alors qu'elle ne laissera pas ce vol impuni.

Ces deux scènes indiquent une personnalité éprise de justice et une conception morale du métier d'enseignant : Nade n'est pas là que pour enseigner l'anglais mais aussi pour éduquer au sens large du terme : défendre des valeurs, ici l'honnêteté, la justice, et les faire respecter. Cet idéal, elle le place très haut. En effet, tout ce qu'elle fait et dit en relation avec ce vol semble la concerner personnellement. (Un autre prof aurait pu signaler le vol à la direction de l'école et lui laisser gérer ce problème.) En témoigne le fait qu'elle revienne sur le sujet alors que le cours d'anglais est commencé : tout se passe comme si elle gardait à l'esprit cet incident alors que la leçon est commencée, là où une autre personne aurait pu passer à autre chose.

De la même manière, quand le prêteur sur gage lui proposera de prolonger son prêt d'autant de jours que de points elle donnera à son neveu Mitko, Nade commencera par ne pas prendre cette proposition au sérieux. Mais finalement, acculée, elle accepte. Devant le cahier de l'élève, elle tergiverse, finit par lui mettre un « six », c'est-à-dire une note excellente, mais après réflexion, elle donne un 6 à tous les élèves de la classe. Ainsi, elle obtient ce qu'elle désire (voir son prêt prolongé de 6 jours) mais le coût moral de l'opération (mettre une note injustement élevée à Mitko) est nul. Son idéal de justice est préservé.

Le personnage est également montré comme une personne assez rigide et maniaque : elle range les cahiers en les alignant de manière impeccable ; elle ramasse un déchet laissé dans la rue pour le mettre à la poubelle ; il n'y a aucun laisser-aller dans ses tenues vestimentaires. Par exemple, quand elle va se recueillir sur la tombe de sa mère, elle sort un mouchoir qu'elle déplie pour s'asseoir dessus.

Face aux difficultés qui se dressent devant elle, elle semble très maîtresse d'elle-même, maîtresse de ses émotions. Elle semble mettre celles-ci à distance pour évaluer et affronter les événements rationnellement. Ainsi, qu'elle soit confrontée au vol commis dans sa classe, face à un huissier qui lui annonce la vente imminente de sa maison, face à un employeur qui refuse de lui payer son salaire, elle défend sa position, souvent avec beaucoup de fermeté mais en restant extrêmement raisonnable et calme. Par exemple, son attitude contraste avec celle de son mari lorsqu'ils se rendent à la banque pour essayer de se défendre ou de négocier : elle parle, il se tait ; elle avance des arguments en restant calme, il lance un « allez vous faire foutre » à la banquière, ruinant ainsi la stratégie de Nade.

Enfin, Nade se montre intransigeante, aussi exigeante vis-à-vis des autres qu'elle l'est pour elle-même. Ainsi, elle ne pardonne pas à son père d'avoir eu des relations avec d'autres femmes peu de temps après la mort de sa mère, ni de ne pas avoir fait poser une pierre tombale sur sa tombe. Quant à « Tante » Galia, la nouvelle compagne de son père, Nade la méprise et ne tolère pas qu'elle soit placée sur un pied d'égalité avec sa mère et elle-même, comme en témoignent les trois portraits exposés.

Nade se caractérise donc par son sens moral, ses idéaux de justice et d'ordre, qu'elle poursuit avec intransigeance et maîtrise de soi.

L'intrigue du vol dans la classe

Résumons la progression de cette intrigue. Un vol a eu lieu dans la salle de cours. Face à cet événement, Nade est assez intransigeante : d'abord, elle veut que la jeune fille volée récupère son argent ; ensuite, elle veut que chacun participe à une cagnotte (ainsi, le voleur aura une dette vis-à-vis de toute la classe et non pas d'une seule personne, dit-elle) ; elle voudrait également que le voleur se rachète en rendant l'argent anonymement ; mais comme elle n'obtient pas cette réparation, elle déclare que le vol ne restera pas impuni. A ce stade, on ne voit pas bien comment elle pourrait identifier le voleur. Mais le prêteur sur gages, dont on peut pourtant légitimement douter de la moralité des procédés, va lui donner un idée : piéger le voleur avec un billet marqué. Mais à ce petit jeu, c'est elle qui se fait prendre, puisque, distraite par un coup de téléphone, elle manque le voleur, se retrouve sans argent au moment même où elle en a le plus besoin. Elle retrouve ensuite le billet marqué mais quand il est retourné dans la circulation et ne sait donc pas qui l'a volé. Elle joue alors une carte audacieuse, celle du bluff, en prétendant que la police a identifié le voleur grâce à la marque sur le billet et que la dernière chance du voleur de se racheter est donc venue : s'il avoue, il sera pardonné et il a tout intérêt à le faire puisqu'il a été découvert (prétendument)Š

Mais toutes ces démarches échouent. Et finalement, c'est le hasard qui lui permettra d'identifier le voleur.

Ainsi, un incident somme toute d'assez peu d'importance prend dans une place considérable dans la vie de Nade. Et si la gestion du problème peut sembler irréprochable dans un premier temps (offrir au voleur de rendre l'argent anonymement ; inviter les élèves à constituer une cagnotte compensatoireŠ), elle devient ensuite disproportionnée. Et Nade déroge alors à ses propres principes de justice et d'honnêteté, en voulant piéger le voleur (une méthode empruntée à l'usurier !) et en bluffant. Son désir de ne pas laisser le vol impuni s'apparente étrangement à un désir de revanche et ses méthodes à de l'acharnement. Un désir inassouvi et des méthodes discutables et inefficacesŠ

L'intrigue de la dette à rembourser

Les traites de la maison n'ont pas été payées, le mari de Nade a négligé les lettres de rappel : si l'argent n'est pas remboursé dans les trois jours, la maison sera mise en vente. Nade commence par essayer de négocier avec la banquière, mais cette démarche est sans issue. Reste à trouver l'argent. Nade va d'abord réclamer ses honoraires à l'employeur qui lui donne des textes à traduire. Mais elle n'obtient rien, il prétend attendre lui-même un versement, elle s'en va quand il lui suggère de demander l'aide à son père. C'est donc son père que Nade va solliciter ensuite. Mais Nade réclame d'abord un autre dû : une pierre tombale pour sa mère ! Ulcérée par l'accueil qu'elle reçoit et par la place prise par Galia, elle s'en va sans demander d'argent mais sans manquer de noircir le portrait de Galia, exposé près du sien et de celui de sa mère !

Nade fait alors appel au prêteur sur gages - l'on ne sait pas ce qu'elle laisse en dépôt - et obtient l'argent nécessaire. Elle pense pouvoir rembourser la semaine suivante, quand elle aura enfin perçu ses honoraires de traductrice. La dette a changé de main : de la banque à l'usurier. Passons sur l'anecdote des 1,37 lev ; une somme ridicule qui manque encore et qui met Nade sous pression : elle doit apporter ce montant qu'elle n'a pas à la banque avant la fermeture, sans quoi la mise en vente de la maison aura bien lieu. Mais elle a à peine réglé ce problème qu'une nouvelle mauvaise nouvelle se présente : l'homme pour qui elle fait des traductions est en faillite et il a pris la fuite. Elle ne peut donc pas compter sur le versement de ses honoraires. Elle demande alors un prolongement de son prêt chez l'usurier.

Là, le remboursement prend une autre forme puisque Nade doit attribuer une meilleure note que celle qu'il mérite à Mitko, le neveu de l'usurierŠ En outre, l'homme s'adresse à elle très vulgairement, mais Nade, redevable, est dans l'impossibilité de lui tenir têteŠ Elle retourne alors chez son père, qui accepte de lui donner l'argent, à condition qu'elle présente ses excuses à Galia. Il en coûte énormément à Nade, mais elle s'exécute. Pas suffisamment sincèrement pourtant, et Galia exige un geste de soumission (ouvrir les mains, en signe de franchise !) que Nade refuse de faire ? Au contraire, elle tape du poing sur la table etŠ s'en va, les mains vides. Elle pense peut-être être réduite à la dernière extrémité en allant négocier quelques bijoux et les dents en or de sa mère auprès de l'usurier. Mais celui-ci n'en veut pas, déclare que c'est lui qui estime la valeur des choses et que même la voiture ou la maison de Nade ne suffiront pas à rembourser la dette : il exige d'elle des faveurs sexuelles, qu'elle devra également accorder à d'autres. La jeune femme n'a plus d'autre choix pour éviter cette issue dégradante que de braquer la banque, celle-là même qu'elle a remboursée quelques jours plus tôt !

Ainsi, à la fin du film, Nade se trouve dans la même position que le jeune voleur qu'elle cherchait à découvrir. C'est elle désormais qui est recherchée par la police. Peut-être alors envisage-t-elle les raisons qui ont poussé le jeune garçon à voler ? Peut-être alors envisage-t-elle son propre acharnement à punir le voleur, à l'aune de ce qu'elle a subi de la part de ses créanciers : pression, intransigeance, humiliation ?

Sur le plan cinématographique

L'on peut caractériser The Lesson par quelques traits esthétiques remarquables. C'est un cinéma peu bavard, où le spectateur a un important travail d'interprétation à faire. En effet, Nade ne s'exprime guère en mots ; son visage est relativement impassible. C'est la suite de ses gestes, des situations qu'elle vit, qui doit permettre au spectateur de reconstruire l'état mental de Nade, de donner du sens à ses actes, finalement, de comprendre ce qui se passe, ce qu'elle fait, ce qu'elle ressent.

Par exemple, ses tenues (pantalons féminins, chemisiers impeccables), des gestes infimes (déplier un mouchoir et le poser sur une pierre avant de s'asseoir dessus ou ramasser un déchet pour le mettre à la poubelle) participent au portrait d'une femme exigeante avec elle-même, presque rigide.

Autre exemple : on la voit dans son lit, les yeux ouverts, puis se lever et monter sur un tabouret pour prendre un objet placé sur un meuble. Dans le plan suivant, elle remplit un document dans un bureau où deux hommes parlent de billets marqués, et où un outil est à vendre. Il faut reconstruire cette suite de scènes et prendre en compte tous les détails pour déduire que Nade a réfléchi ; qu'elle va déposer un objet en gage chez un prêteur contre de l'argent ; qu'elle signe un contrat chez ce prêteur et que cet homme, si l'on en croit la discussion qu'il a avec son ami, est sans doute un homme d'affaires malsain et potentiellement dangereux. L'ellipse est efficace et le montage, comme le personnage, ne perd pas de temps : à la fin du film, on la voit entrer dans la banque, la figure couverte d'un bas nylon ; dans le plan suivant, elle dépose rageusement une liasse de billets sur le bureau de l'usurier.

Ainsi, le rythme du film semble être celui même du personnage : à certains moments, vif, comme on vient de le voir, efficace, allant à l'essentiel ; à d'autres moments, qui s'accorde le temps de la réflexion ou du doute. A cet égard, l'on peut rapprocher Nade de la Rosetta des frères Dardenne (Belgique, 1999) : elle est parfois filmée de dos, le spectateur a toujours un petit temps de retard sur elle. On pourrait également rapprocher le personnage de celui de Thierry, dans La Loi du marché (Stéphane Brizé, France, 2015), qui est également en difficulté, qui parle peu mais observe, qui n'en pense pas moins, sans que jamais sa pensée soit verbalement exprimée. Un style que l'on pourrait qualifier de documentaire, au service d'une critique sociale qui dénonce l'individualisme, la prépondérance de l'argent sur les valeurs morales et les idéaux.

Pistes de réflexion

  • Le titre du film, The Lesson, fait évidemment référence au métier du personnage principal. Mais l'histoire de Nade et de ses difficultés financières invite à trouver d'autres interprétations, plus subtiles, à ce titre. Quelles interprétations de ce titre peut-on élaborer ? Qui donne la leçon à qui dans cette histoire ? Dans quelle mesure la dernière scène, où Nade a découvert l'identité du voleur de la classe et où elle lui fait face, permet-elle d'interpréter différemment ce titre ?
  • Nade est un personnage ambigu qui peut paraître antipathique à certains, en raison de sa rigidité, de son manque d'humour, de son apparente maîtriseŠ Mais il peut sembler proche à d'autres, en raison de ses valeurs morales, de sa dignité, de la manière dont elle fait face aux difficultés. Et vous, que pensez-vous de ce personnage ? Pensez-vous que son idée de la justice est universelle ?
  • Nade a une dette vis-à-vis de la banque, puis du prêteur sur gages. (Et le film décline ce thème de la dette : le père qui « doit » une pierre tombale à sa femme ; le petit voleur qui doit l'argent à la classe ; l'employeur qui doit ses honoraires à NadeŠ) Les intérêts de la dette - le coût du service en quelque sorte - sont bien évidemment d'ordre économique, mais parfois aussi moral ou psychologique : augmenter la note de Mitko par exemple ou présenter des excuses à GaliaŠ Le coût moral est parfois exorbitant et s'apparente à une humiliation. Le débiteur se trouve finalement face au créancier dans un rapport d'asservissement. Pouvez-vous développer cette proposition, et faire un parallèle avec les dettes des Etats ?

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