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Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
Woman at War
Kona fer í strí

de Benedikt Erlingsson
Islande, France, Ukraine, 2018, 1h40


Analyse Styx au format pdfLes réflexions proposées ci-dessous s'adressent notamment aux animateurs en éducation permanente qui souhaitent aborder l'analyse du film Woman at War avec un large public.
Le prix Lux attribué par le Parlement européen a été attribué en 2018 à Woman at War. Le Prix LUX met en vedette des films européens qui sensibilisent aux questions qui sont au cœur du débat européen.

Cette analyse est également disponible gratuitement au format pdf.

En quelques mots

Halla, 49 ans, dirige une chorale à Reykjavik. Elle est très attachée à sa belle terre d'Islande, à sa nature exceptionnelle, et elle se sent très concernée par le réchauffement climatique et les catastrophes écologiques. Elle est particulièrement révoltée par les projets d'expansion d'une usine d'aluminium. Clandestinement, elle commet des actes de sabotage sur les lignes à haute tension pour neutraliser cette usine et sensibiliser l'opinion. Mais son projet est perturbé par une nouvelle qu'elle n'espérait plus. Candidate à l'adoption depuis plusieurs années, on lui annonce qu'une petite fille l'attend en Ukraine.

Woman at War, Kona fer í strí, est un conte écologique qui met en question, souvent avec humour, le sens et le poids de l'action individuelle face à l'inertie des autorités en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

Un conte écologique

AfficheWoman at War se présente d'emblée comme un conte écologique. Le film s'ouvre sur la séquence où Halla, munie de son arc, décoche une flèche pour mettre en contact les câbles d'une ligne à haute tension. Le personnage évoque ainsi des figures comme celle de Guillaume Tell ou de Robin des Bois : un personnage seul, qui, par un geste spectaculaire et extrêmement maîtrisé, produit un effet saisissant. Cette impression est confirmée par la suite, quand l'on comprend que Halla, personnage humble mais agissant avec panache, s'attaque à l'industrie de l'aluminium, soit un adversaire autrement plus puissant qu'elle. Le nom qu'elle se donne quand elle revendique les sabotages, « Mountain Woman », et le masque (de Nelson Mandela !) qu'elle porte pour cacher son visage quand elle est filmée par un drône, mettent la dernière touche à ce portrait de « vengeur masqué ».

D'autres éléments du film rapprochent celui-ci du conte ou de la fable. Outre l'imprécision autour du personnage principal (quel est son passé ? comment gagne-t-il sa vie?), on pourra par exemple noter la mise à distance que produit la présence régulière dans le champ d'un orchestre ou d'un trio de chanteuses ukrainiennes. Ces deux groupes, qui illustrent en quelque sorte les émotions de Halla, apparaissent tantôt comme de malicieux compagnons de route, tantôt comme un chœur antique qui vient rompre la convention fondatrice du cinéma de fiction. Alors que le cinéma nous invite à suspendre momentanément notre jugement pour nous mettre à croire à ce que nous voyons, l'apparition à l'écran des musiciens ou des chanteuses vient nous rappeler que nous sommes dans la fiction.

Mais plus encore peut-être que ces choix de mise en scène, la généralité du propos rattache le film au conte : les enjeux du conflit entre Halla et l'industrie ne sont pas développés. (Pourquoi Halla s'attaque-t-elle à l'industrie de l'aluminium plutôt qu'à une autre ? Quelle menace pour l'environnement cette industrie représente-t-elle ? En quoi les investisseurs chinois changent-ils quelque chose à la donne ? Qu'espère Halla exactement? Il ne sera répondu à aucune de ces questions.) Halla défend « simplement » la Nature, indispensable à la survie de l'humanité et, plus largement, de toute vie sur terre, et s'oppose à l'industrie, polluante, largement responsable du réchauffement climatique et de multiples catastrophes écologiques partout dans le monde. « Ce n'est pas moi la criminelle, ce sont eux » dit-elle au fermier qui lui vient en aide. L'opposition est sommaire, manichéenne, comme dans les contes.

Un combat individuel

AfficheL'exemple de Halla, qui, anonyme et seule, s'en prend à une puissante industrie aux capitaux internationaux, illustre un fantasme peut-être largement partagé de « changer le monde à soi tout seul ». Voir le personnage transgresser l'interdit pour une cause jugée juste et dans la clandestinité est assez réjouissant… Grisé par l'action, le risque, le suspense, le spectateur suspend sans doute momentanément son sens critique pour applaudir à l'audace du personnage. Mais le débat que provoquent les actions de Halla reste en arrière-plan, par exemple via la télévision qui diffuse des journaux et des émissions où l'on parle des sabotages et de leurs conséquences économiques. Jusqu'au jour où « Mountain Woman » est évoquée par une inconnue qui se plaint de l'augmentation probable du coût de la vie. Ainsi, les actions de Halla pourraient avoir une répercussion négative directe dans « la vie des gens » (et particulièrement des plus pauvres, ce qui n'est certainement pas le but poursuivi). Le trouble que produit cette opinion auprès de Halla serait sans doute minime si Asa, sa sœur jumelle, n'intervenait dans l'échange pour questionner précisément le bien fondé de l'action individuelle de grande envergure. Est-il légitime de mener des actions qui vont avoir un impact sur des personnes qui, elles, ne sont pas responsables de ce que l'on veut dénoncer ?

Là où Halla préconise l'action spectaculaire et lourde de conséquences en réponse à un problème gravissime et qui demande une réponse urgente, Asa défend l'idée de l'accumulation de petites actions aux conséquences limitées : « la goutte creuse la pierre », dit-elle. Dans cette optique, l'adoption de Nika n'est pas qu'une contingence qui amènerait Halla à assouplir son dessein en interrompant ses actions de choc et en publiant son manifeste plus tôt que prévu initialement, mais bien un enjeu à part entière : sauver Nika, la sortir de la misère, de l'isolement (et des inondations…), c'est aussi « sauver le monde » déclare Asa. Ainsi, les deux points de vue qui s'opposaient (utiliser les grands moyens pour atteindre des objectifs démesurés versus poser des actes mesurés avec des objectifs raisonnables, mais dont la répétition et l'accumulation peuvent amorcer un changement en profondeur) se rencontrent autour de cette petite fille, dont l'adoption va naturellement transformer sa vie, celle de sa mère et certainement aussi celle de leur entourage.

Un combat politique

Avec ses sabotages, Halla s'attaque à l'industrie islandaise, mais aussi au gouvernement. Celui-ci a tout intérêt à ce que l'économie ne soit en rien entravée. AfficheLe combat de Halla est politique. D'ailleurs, dans son manifeste, elle subordonne les lois humaines à d'autres lois, supérieures, ancestrales… Pour Baldwin, son complice au ministère, la formule est maladroite, sinon malheureuse. En effet, les média ont tôt fait de s'engouffrer dans la brêche pour spéculer sur ces « lois » et ce qu'elles recouvrent. Elles peuvent effectivement donner lieu à toutes les interprétations, des plus farfelues aux plus extrémistes. Dans le vocabulaire des média, le mot « démocratie » est aussi invoqué : les pratiques de « Mountain Woman » seraient anti-démocratiques puisque issues de la décision d'un seul individu. Mais au-delà du discours et des mots, dont les média et le gouvernement ont la maîtrise - par exemple, le mot violence est utilisé pour parler des sabotages alors que Halla revendique l'héritage non-violent de Gandhi ou de Nelson Mandela! - le film décrit deux réalités qui s'opposent largement. En même temps que le gouvernement et les média invoquent la démocratie, l'on assiste à l'installation de caméras de surveillance, on fait appel à la plus haute technologie pour intercepter le saboteur, on appelle à la délation et on « enterre » le manifeste en encourageant dans les média tout un arsenal d'opinions qui discréditent « Mountain Woman », et on arrête par trois fois ce pauvre touriste sud-américain ! Par ailleurs, le président de la République, réduit à l'état de guide touristique, est ridiculisé. Halla, elle, vit en accord avec ses principes et en harmonie avec la nature : elle se couche à terre et pose sa joue sur le sol, elle connaît la montagne et tire parti des cachettes qu'elle lui offre, de la crevasse à la carcasse de mouton, jusqu'à l'eau de la rivière dans laquelle elle plonge pour échapper au drône. Quant au fermier qui lui vient en aide, il agit parce qu'il situe Halla dans un hypothétique arbre généalogique proche du sien, ce qui indique la force de la cohésion sociale et familiale, et son aide est d'autant plus efficace qu'il connaît remarquablement sa terre : le paysage lui indique par où Halla va passer dans sa fuite et il la porte dans les sources d'eau chaude pour la réchauffer. Sans parler des moutons , symboles d'un pastoralisme ancestral, qui servent à Halla de cachette et de refuge.

Sans parler non plus de l'indépendance et de la proclamation de la République d'Islande plusieurs fois évoquées dans le film! Elles n'apparaissent que comme des anecdotes dans le chef des politiques, avec la visite touristique du site de Pingvellir où la République fut programmée, alors qu'elles sont chargées de sens pour Halla qui va disperser son manifeste devant le Parlement et au pied de la statue de Jon Sigurdsson, le meneur du mouvement pacifiste pour l'Indépendance de l'Islande, et pour le fermier qui veut récupérer sa voiture avant la fête nationale ! La force de Halla, avec sa spontanéité, sa naïveté, sa sincérité et sa conviction profonde est certainement bien plus convaincante que les manœuvres et les calculs des conseillers du président.

Une profondeur insoupçonnée ?

AfficheLa dernière image du film est un peu énigmatique. Il est curieux que ce film où l'aventure et l'humour tiennent une place certaine se termine sur ce tableau : les personnages, dont Halla qui tient sa petite fille dans ses bras et les six musiciens qui l'ont accompagnée tout au long du film, descendent du bus, marchent dans l'eau et s'éloignent en nous tournant le dos. La fin heureuse du film - Halla rentre chez elle avec la petite Nika - est entachée d'un sentiment étrange, d'une certaine gravité. Leur retour vers l'Islande les oblige à traverser à pied une zone inondée… Ainsi, si l'histoire individuelle de notre héroïne et de sa petite fille finit bien, l'histoire collective, elle, n'est pas finie. A différents endroits du monde, des pauvres gens continuent de perdre leur maison, leurs biens, leur terre, à cause de catastrophes liées au changement climatique.

Quelques questions pour aller plus loin

  • Vous, personnellement, adoptez-vous spontanément plutôt le point de vue de Halla ou celui de Asa? Pensez-vous qu'il vaut mieux « frapper fort » pour faire changer les choses ou que de petites actions quotidiennes permettent d'accomplir des changements en profondeur? Pensez-vous que la lutte contre le réchauffement climatique soit si urgente qu'on ne puisse se contenter de petits gestes quotidiens?
  • Les portraits de Nelson Mandela et de Gandhi dans sa maison indiquent que Halla agit en vertu de la résistance non-violente. Et le film, en utilisant souvent l'humour, nous fait certainement prendre le parti de Halla. Pensez-vous que l'humour peut être une arme? Dans quel contexte? Dans quelles circonstances?
  • Les deux sœurs incarnent chacune à leur manière une forme d'harmonie. Harmonie du chant choral, harmonie des gestes du taï-chi, harmonie de la nature, harmonie du yoga… N'y a-t-il pas aussi une forme d'harmonie à l'autre bout du spectre « philosophique » du film, dans les grandes industries que combat Halla ? Ces lignes à haute tension auxquelles elle s'attaque ne sont-elles pas également les instruments d'une prodigieuse harmonie artificielle ?
  • Etes-vous sensible à la déclaration de Asa : tu vas sauver un enfant et le monde avec ? Selon vous, que signifie cette phrase?

Cette analyse est également disponible gratuitement au format pdflogo pdf en français, ainsi que dans les différentes langues européennes. On trouvera ici les versions :
allemande, autrichienne, anglaise, bulgare, croate, danoise, espagnole, estonienne, finnoise, grecque, hongroise, irlandaise, italienne, lettonne, lituanienne, maltaise, néerlandaise, polonaise, portugaise, roumaine, slovaque, slovène, suédoise, tchèque.

Affiche

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