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Un ouvrage édité par les Grignoux
La Littérature en pratique
20 exercices d'écriture à l'école

par Michel Condé

CHAPITRE IV
De ce point de vue


Sommaire du chapitre IV (l'ensemble de ce chapitre est reproduit ci-dessous) :

15. Personnification

16. Chacun sa vérité

17. Les Lettres persanes

Table des matières de La Littérature en pratique


15. PERSONNIFICATION

1. Présentation

La personnification d'un objet, qui consiste à prêter une psychologie, des idées et des sentiments à une chose, oblige les élèves à se décentrer et à adopter un point de vue tout à fait étranger sur le monde. Cette animation prolonge par ailleurs les exercices sur la littérature fantastique.

2. Support

Nous proposons d'utiliser quatre textes d'inspiration très différente, mais utilisant tous le procédé de la personnification : Biaise CENDRARS, «Le Vent» dans Petits Contes nègres pour les enfants des blancs. Paris, Gallimard (Folio Junior, 55), pp. 89-91; Henri MICHAUX, «Le Vent» dans La Nuit remue. Paris, Gallimard, 1935, p. 38; Raymond QUENEAU, «L'orage» dans Courir les rues, Battre la campagne, Fendre les flots. Paris, Gallimard (Poésie), 1981, p. 143; et Pierre DAC, L'os à moelle. Carnets mondains. Paris, Presses Pocket (1952), pp. 78-79.

3. Déroulement

Les textes d'illustration permettent de montrer la diversité d'emploi du même procédé, dans un sens humoristique, poétique ou fantastique. Pour écrire ce genre de texte, il faut choisir un objet, aussi banal que possible, repérer ses principaux «comportements», puis interpréter ces «comportements» en fonction d'intentions subjectives, qui seront, bien entendu, fictives. Toute la difficulté réside dans ce dernier point. En effet, le grand risque est de se contenter de décrire la vie de l'objet en adoptant simplement la première personne, en transformant le «il» en «je» : ainsi, au lieu de «le bic court sans arrêt sur la feuille de papier», on aura «je cours sans arrêt sur la feuille de papier». Si cette transformation peut être utile (elle n'est même pas obligatoire), elle n'est cependant pas suffisante. Il faut encore prêter à l'objet des sentiments, des raisonnements et une personnalité qui rendent compte de son comportement; par exemple, «le bic est un être très nerveux, il s'agite énormément sur la feuille de papier, etc

Comme le vocabulaire de la subjectivité et des sentiments est souvent rudimentaire chez les enfants et les adolescents (sinon au niveau de la compréhension, du moins au niveau de la pratique), le professeur aura peut-être intérêt à proposer une liste de termes antithétiques, où les élèves cocheront les traits de personnalité qui paraissent convenir àl'objet en cause (exemples : nerveux/calme; hautain/familier; agressif/doux; courageux/paresseux; versatile/obstiné; craintif/audacieux; franc/sournois; éveillé/obtus; etc.). Cette liste, dont le professeur vérifiera que tous les termes sont compris, risque bien sûr, même si elle est très fournie, de se révéler insuffisante face à la diversité des objets susceptibles d'être retenus; néanmoins, elle permettra de fournir une matière première au texte.

4. Exemples de textes d'élèves

Le bic

Le bic est un personnage très nerveux : il s'agite énormément sur la feuille de papier comme un danseur de rock, courant sans arrêt de gauche à droite, dans tous les sens, sans jamais s'arrêter. Le soir, fatigué, il se repose dans son plumier et s'endort jusqu'au lendemain matin, où il recommence sa danse folle.

Le plumier

Je suis un personnage très gourmand. Je mange tout ce qui se présente à moi : gomme, stylo, taille-crayon...

Quand j'ai trop mangé, je vomis un bic, une cartouche de stylo.

Paresseux, je me couche sur le banc pendant que le crayon et le bic courent et travaillent sur le papier. A la fin de la course, ils viennent s'envelopper dans mes entrailles.


Le fil du téléphone ressemble fort à une corde à sauter, mais c'est un sournois qui est immobile, patient et discret pour que quelqu'un tombe dans son piège. Il se croit le plus fort car c'est lui qui transmet les appels téléphoniques. Alors, pour se faire remarquer, il fait des croche-pieds aux hommes. Aussi, le matin quand vous vous levez, faites attention à ne pas être sa prochaine victime !

La batterie

Je vis dans un orchestre où tous mes compagnons sont jaloux de moi, car je suis le plus fort, et j'ai la plus grosse voix. Je suis la batterie et chaque fois que je suis sur scène, les spectateurs m'entendent mieux que les autres.

Pour ennuyer mes compagnons, je m'agite de tous mes membres, et je me fais résonner pour que tout le monde m'entende.

Mais je me fatigue énormément et je m'endors d'un profond sommeil à la fin de la soirée.

(Elèves du premier cycle de l'enseignement secondaire.)

Le chewing-gum martyrisé

D'une vulgaire pâte à mastiquer, on fit une délicieuse friandise parfumée à la menthe. C'est ainsi que je naquis. Étant très pudique, j'étais enveloppé de la tête au pied. Imaginez ma honte lorsque des doigts avides me déshabillèrent. Je fus jeté sans ménagements dans une cavité obscure.

C'est alors que commença le calvaire. Une odeur épouvantable de charnier m'assaillit. Les restes de mes congénères pourrissaient entre les rochers. Soudain, je fus envahi par un raz de marée. Je tentai vainement de m'accrocher aux rochers, mais mes forces m'abandonnèrent. Je fus broyé, malaxé, pétri sans pitié. Puis j'aperçus une ouverture : j'essayai de m'élancer vers cette planche de salut, mais ne pus y parvenir. Subitement, je fus écartelé. Mon tyran prenait un malin plaisir à me faire souffrir, j'atteignis des proportions gigantesques. La liberté était là devant moi, mais mon tortionnaire me retenait prisonnier. Avec la force du désespoir et la rage au coeur, j'éclatai.., sur le nez de la brute. A moi de lui infliger des souffrances !


Je me présente : Maximilien Faucul, je suis le siège du taxi immatriculé 128. Voyez-vous, lorsque vous prenez le taxi, vous êtes installé confortablement sur ma personne, sans même penser que vous êtes en train d'écraser mes pauvres ressorts, surtout si vous êtes une de ces vieilles mégères qui pèsent plus de cent kilos, sans compter les deux kilos de bijoux. Celles-là, elles sentent la transpiration, et parfois s'oublient sur moi et me laissent tout trempé, si bien qu'avec les courants d'air et ces portes qui s'ouvrent et se ferment sans arrêt, j'attrape immanquablement un affreux rhume. Certaines personnes possèdent en plus un de ces animaux à longs poils, qui me font éternuer et me salissent. Souvent, ces maudites bestioles griffent mon pauvre manteau de cuir, et m'infligent d'atroces douleurs, sans compter qu'il faut me racheter un nouvel habit (ceux-ci sont d'ailleurs hors de prix de nos jours). Je pourrais aussi citer les ivrognes qui crachent, renversent leur whisky, qui me donne une odeur épouvantable pendant des jours et des jours. Quelle honte de devoir transporter des individus aussi mal soignés ! Croyez bien que ce n'est pas facile d'être un siège de taxi. Si j'avais eu le choix, j'aurais voulu être le trône de Louis XIV ou un petit sopha Louis XV; alors là, j'aurais été cajolé et soigné !

(Elèves du second cycle de l'enseignement secondaire.)

5. Prolongements

Outre les textes d'illustration, on lira au moins quelques extraits du «Bateau ivre» d'Arthur RIMBAUD, texte aussi difficile que célèbre (Oeuvres complétes. Paris, Gallimard (La Pléiade), 1972, pp. 66-69).

Moins obscure, mais tout aussi déroutante, est la nouvelle de Franz KAFKA, «Le Pont» (Oeuvres complètes II. Paris, Gallimard (La Pléiade), 1980, pp. 451-452).

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16. CHACUN SA VÉRITÉ

1. Présentation

Cette animation consiste à imaginer une situation où deux personnages ont un point de vue diamétralement opposé sur le monde, ce contraste produisant un effet comique. Le texte se présente sous la forme d'un dialogue (en fait un double monologue intérieur), prolongeant ainsi les exercices sur l'expression théâtrale.

2. Support

Le texte d'illustration est un sketch célèbre de Guy BEDOS, «La drague» (Je craque. Paris, Le Livre de Poche (4929), pp. 241-242), qui réunit, à l'occasion d'un slow, un jeune homme et une jeune fille, le premier espérant naïvement «emballer» sa cavalière, et la seconde ne pensant qu'à se débarrasser de son encombrant partenaire.

3. Déroulement

Le procédé est fort simple : deux personnages muets, face à face, tiennent un double monologue intérieur, où chacun exprime un point de vue absolument opposé à celui de l'autre. L'effet comique résulte évidemment de ce contraste. Après lecture du texte d'illustration, le professeur expliquera succinctement le procédé, en insistant sur le fait qu'il s'agit là d'un double monologue intérieur, et non d'un véritable dialogue. Ensuite, il demandera aux élèves d'imaginer une situation permettant aux personnages à la fois d'être face à face et de tenir leurs monologues muets : par exemple, deux voyageurs dans le bus, le policier réglant la circulation et l'automobiliste pris dans un embouteillage, un trapéziste ou un prestidigitateur minable et un spectateur méprisant, le voyageur et l'hôtesse de l'air, Monsieur et Madame regardent la télévision, mais n'en pensent pas moins... La situation la plus parlante pour beaucoup d'adolescent(e)s reste cependant celle imaginée par Guy BEDOS (ou vaguement décalquée) : un jeune homme et une jeune fille en «amoureuse et sexuelle. Sur ce thème, qui paraît bien difficile à exploiter après l'exemple de Bedos, les variations sont encore souvent étonnantes et pleines d'imagination.

L'effet comique sera évidemment encore accentué si la différence de point de vue se double d'un contraste de style (vulgaire/raffiné par exemple).

4. Exemples de textes d'élèves

Dans le bus, face à face, un jeune homme et une jeune fille.

Lui - Mais qu'est-ce qu'elle a, celle-là ? Qu'est-ce qu'elle veut ? Ma photo ou quoi ? Évidemment, je les fais toutes craquer, ces gonzes !
Elle- Oh, mais quel genre il se paie, ce mec ! Il se croit beau, peut-être, avec son noeud à la con. En plus, il me regarde tout le temps... m'fait chier à la fin.
- Oh la la, quel boudin ! J'me demande même comment elle ose me regarder, moi,le play-boy du quartier.
- Non mais, regardez-moi ça, et ça se croit beau, et ça se croit beau... Oh saleté de bus, il aurait pu freiner plus doucement, je me suis presque retrouvée dans ses bras. Et en plus, il pue la transpiration !
- Eh mais, doucement là. Comme si elle ne l'avait pas fait exprès; faut pas me prendre pour un con non plus. C'est tout juste si elle ne m'a pas violé.
- Heureusement qu'il ne reste plus que deux arrêts avant de descendre. Il m'énerve, mais il m'énerve...
- Ah, enfin arrivé, quelques instants de plus et elle me sautait dessus: mon image de marque en aurait pris un coup ! Eh ! Elle ne va tout de même pas recommencer, il suffit que je sonne et elle en profite pour me caresser la main.
- Eh zut ! il descend au même arrêt que moi, j'ai vraiment pas de chance aujourd'hui ! Eh ben, j'ai une idée; je vais faire semblant de descendre et je remonterai en vitesse dans le bus.
- Si je descends, je parie qu'elle va descendre aussi. Ben... je vais descendre puis je remonterai dans le bus en marche. Et zut, elle a réussi à me suivre. Quel pot de colle !


Dans une bande de jeunes, Thierry présente les nouveaux venus, Pascal et Carine.

P. J'ai bien fait de suivre Thierry jusqu'ici : il y a des affaires intéressantes ! La petite Carine n'est pas mal...
C. Oh la la, quel mec ! Jamais vu une mocheté pareille. Les oreilles décollées, les cheveux rasés, un nez comme une patate, le regard en tir croisé ! Jamais vu ça !
P. Ça y est, ça y est, je suis repéré... j'en profite pour lui envoyer mon plus beau sourire !
C. Ferme ta bouche, les mouches pourraient y entrer ! T'as des trous comme des cavernes. (Elle lui rend son sourire). Mon sourire à moi, faut pas le prendre pour de l'argent comptant !
P. Allez, offre-lui un verre et dis lui quelque chose de gentil.
C. Oh non ! v'là qui s'amène ! Qu'est-ce que je vais faire ? Vite, aux toilettes.
P. Qu'est-ce qui lui prend ? Elle est peut-être malade, je l'ai vue pâlir. Ça ne fait rien, je vais l'attendre...
C Mais qu'est-ce qu'il attend ? Dégage, dégage mon vieux.
P . . Mais qu'est-ce qu'elle fait ? Tout le monde s'en va. Tant pis, je vais la chercher.
C. Merde ! C'est pas vrai ! Mais c'est pas vrai ! Où me cacher ? Tant pis, en dessous de l'évier.
P. Mais qu'est-ce qu'elle fait là ? Elle est malade ou quoi ?
«ÇA NE VA PAS? CARINE ?»
C. Qu'est-ce que je vais dire ? Qu'est-ce que je vais dire ?
«BEN, VAl PERDU MON DENFIER».
P. «QUOI ?»
Ouais, ben c'est bien ma veine. Celle-là, elle a pas de dents.

(Elèves du second cycle de l'enseignement secondaire.)

Chez le gynécologue

- J'y vais ou j'y vais pas ? J'oserais jamais entrer. Ah la la. . . qu'est-ce que je viens foutre ici ? Colette a beau dire : ce qu'il ne faut pas faire pour avoir des pilules... Et en plus, i m' dit de me déshabiller ! Mais qu'est-ce qu'i croit ?
- Elle en met du temps celle-là. J'ai pas que ça à faire.
- C'est pas possible, j'attrape des sueurs froides, j'oserais jamais enlever ma culotte !
- Elle a beau être jeune, je crois que c'est une habituée, celle-là. N'empêche, si elle croit que je vais venir l'aider...
- Ah ! mais qu'est-ce qu'il a à me dévisager comme ça ? Tant pis, faut bien que je m'allonge !
- Quelle façon de se coucher ! Les jeunes n'ont plus de moralité.
- Ah la la la la la... le voilà qui s'approche.
- Un examen de routine : avec un peu de chance, je serai à l'heure au restaurant.
- I'prend son temps ! Il a vraiment un regard vicieux. J'ai vraiment trop peur, j'ferme les yeux !
- Ça y est, elle s'y croit.
- Ouf ! c'est fini. Je m'habille, vite fait... Quoi ! sept cent balles ! I'prend cher. Quand je pense que s'il était allé au bordel, c'est lui qui aurait dû débourser !

(Elèves du troisième cycle de l'enseignement secondaire.)

5. Prolongements

Cette animation permet d'approcher un phénomène central de la littérature moderne, le monologue intérieur. On se rappellera par exemple Le Bruit et la Fureur où William FAULKNER fait parler d'abord Benji, le débile mental, puis Quentin qui est au bord du suicide, deux personnages peu ordinaires dont les monologues constituent de véritables tours de force.

En France, Claude SIMON a beaucoup pratiqué le monologue inté-rieur, par exemple dans Histoire. Paris, Gallimard (Folio, 388).

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17. LES LETTRES PERSANES

1. Présentation

Voir notre monde quotidien avec une certaine distance, faire apparaître l'arbitraire des us et coutumes qui nous paraissent naturels, sont les deux grands principes, toujours d'actualité, mis en oeuvre par MONTESQUIEU dans son célèbre roman. Cet exercice suppose à la fois observation et regard critique.

2. Support

Le roman de MONTESQUIEU, chargé de références historiques est devenu illisible sans une multitude de commentaires et de notes en bas de page. Les lettres 24 sur le roi de France et 99 sur la mode parisienne sont peut-être suffisamment accessibles pour pouvoir être lues en classe sans une introduction historique trop importante.

Mais l'exercice a aussi tenté des écrivains contemporains, ainsi Jean TARDIEU qui imagine un professeur Froeppel retombé dans une espèce d'enfance de l'âme où il s'étonne des gestes les plus communs, mais néanmoins profondément socialisés, comme les poignées de main (Jean TARDIEU, Un poète. Paris, Gallimard (Folio junior en poé-sie, 16), pp. 99-101).

3. Déroulement

Après lecture d'un ou deux textes d'illustration, le professeur expliquera le procédé. Il s'agit d'adopter le point de vue d'un étranger «absolu» (un martien, un Indien d'Amérique du Sud) qui découvre la société européenne contemporaine : il décrit minutieusement ce qu'il voit et ce qui l'étonne, mais donne une interprétation erronée du phénomène. Par exemple, il décrira une manifestation comme un grand jeu de cirque, ou les poteaux de signalisation routière comme des fétiches sacrés devant lesquels les automobilistes doivent s'arrêter avec respect...

La démarche la plus simple consiste sans doute à entamer une discussion, avec l'ensemble de la classe, pour trouver quelques exemples de fausse interprétation; on remarquera tout de suite que les phénomènes collectifs, manifestations officielles, rencontres sportives, sont les plus favorables à ce genre de description à la fois étonnée et erronée, même si, avec un peu d'exercice, toute réalité quotidienne peut être l'objet d'un tel «reportage»; les règles du savoir-vivre (qui

ont déjà été parodiées dans la troisième animation) sont également une proie facile de ce regard faussement naïf

Après cette discussion, les élèves se répartiront par petits groupes et entameront la rédaction d'un texte à la manière des Lettres persanes. Une stratégie fort utile consiste à diviser, même de façon un peu artificielle, ce texte en deux parties : dans la première, les rédacteurs se limitent à une description aussi objective que possible, au point par exemple de ne pas nommer le phénomène décrit (parler d'un tram comme d'une grande chenille mécanique) et de montrer ainsi de façon étonnée ce qui est banal et bien connu; dans la seconde, le voyageur étrange venu d'ailleurs donne son interprétation des faits, qui bien sûr, doit être fausse et provoquer l'effet comique.

Trouver une telle interprétation n'est pas toujours facile. On peut alors se contenter de marquer l'étonnement du spectateur, c'est-à-dire souligner simplement le fait que nous pourrions nous comporter autrement, que nos plus chères habitudes pourraient être différentes : ainsi, le Persan peut s'étonner que les Belges passent tout leur temps dans des cafés bruyants et enfumés alors qu'ils pourraient profiter du soleil et de l'air pur, ou bien que les Français ont pour seule distraction une télévision insipide et monotone et qu'ils sont incapables de fournir un effort physique dix fois moindre que ceux des sportifs qu'ils admirent dans la petite lucarne magique.

4. Exemples de textes d'élèves

Boula arrive du fin fond de la jungle africaine, à Liège. Se promenant sur le boulevard d'Avroy*, il remarque, parmi toutes les machines roulantes, une qui le frappe particulièrement par sa taille et par le nombre de personnes qu'elle renferme. Il décrit ses impressions à des amis.

«Je me demandais ce que c'était. Ça ressemblait à une énorme chenille renfermant des dizaines de personnes. Curieux comme je le suis (vous me connaissez), j'essayai de rentrer dans son corps. Mais ce n'était pas si facile que ça, elle ne s'arrête pas, cette sale bête. Elle avait ses petites habitudes, et comme les chiens, elle s'arrêtait aux poteaux où elle ouvrait les bras. Je pus me faufiler à l'intérieur, non sans peine d'ailleurs, car il y avait beaucoup de monde. Je me demandais vraiment ce que tout le monde faisait là : certains assis, d'autres debout, et quelques-uns introduisaient un bout de carton dans une boite. Je ne comprenais pas pourquoi les gens restaient immobiles et avaient l'air de s'ennuyer si profondément. Sans raison, certains se levaient de leur siège et descendaient, tandis que d'autres montaient dans la chenille.

Enfin, je compris : c'est un lieu où les Belges se réunissent pour ne pas être tout le temps seuls. A l'intérieur de cette chenille, ils ont le grand plaisir d'être entassés les uns sur les autres. Les mouvements de l'animal les projettent dans les bras de leur voisin, sans qu'ils doivent s'excuser : c'est leur jouissance suprême. En réalité, les Blancs ne savent pas danser, et ils sont obligés de se rendre dans un tel véhicule pour connaître les plaisirs du mouvement et du rythme.»

C'est sur ce boulevard que se tient une foire annuelle avec des attractions comme des chenilles mécaniques...


Le peuple belge est étrange et a des coutumes bizarres. Ce peuple est excessivement croyant.

Dès l'âge de deux ans, les petits Belges se rendent à l'église tous les jours de la semaine, excepté le samedi et le dimanche; et cela dure pendant des années, normalement jusqu'à l'âge de dix-huit ans :

mais certains sont encore plus religieux et vont à l'église jusqu'à vingt-quatre ou vingt-cinq ans.

Voici le déroulement de leur journée :

Huit heures quinze, le grand gong ! Tout le monde se rassemble et ils partent en petits groupes précédés d'un prêtre, féminin ou masculin. L'égalité des sexes est totale, même à l'église.

Durant cinquante minutes, tout le monde est attentif et écoute le prêtre dire son sermon; il se tient généralement à côté d'un tableau où il écrit des signes cabalistiques.

Après cela, les petits Belges quittent le local et sont pris en charge par un autre prêtre qui leur enseignera la foi.

Vers dix heures, c'est le grand rassemblement où ils s'unissent pour prier.

Dix heures dix, ils retournent s'instruire.

Leurs journées se terminent après huit heures d'instruction religieuse, et une fois au foyer, ils étudient et relisent leurs notes afin d'être de bons croyants et pour pouvoir réciter leurs prières sans erreur le lendemain.

(Elèves du second cycle de l'enseignement secondaire.)

Un couple d'Esquimaux, venus en voyage de noces dans notre bonne ville de Liège, est arrivé le jour du marché à «la Batte». Comme il faisait bon, il y avait beaucoup de monde, les badauds se marchaient sur les pieds. A un moment, nos Esquimaux sentent l'odeur de volailles, à un autre, l'odeur du poisson, puis une odeur d'olive et de fromage chez les marchands italiens. Contents d'arriver à la fin de leur promenade, ils rentrent à l'hôtel où ils boivent un verre à la terrasse, avant de reprendre l'avion. Ils écrivent à leurs amis et racontent que les habitants de ce pays se rassemblent dans de grands espaces pour sentir des odeurs spéciales, qu'ils restent des dizaines de minutes pour sentir les différences d'odeurs d'un endroit à l'autre, et qu'ils sont là' au bord de la jouissance, les narines écartées pour sentir et apprécier les délicieuses effluves des échoppes.


Les jeux de cirque à Bruxelles

Le lundi 15 mai, j'ai remarqué en passant rue de la Loi à Bruxelles, une étrange coutume des habitants de ce pays. Un rendez-vous avait été organisé par deux groupes différents : à ma gauche, se trouvaient rassemblés des hommes en képi et en uniforme, armés de matraques et soutenus par des pompiers qui avaient pour but de jeter de l'eau sur l'autre groupe, formé de civils qui, eux-mêmes, essayaient de toucher leurs adversaires avec des pavés qu'ils prenaient à la route (elle était souvent mise à contribution, à voir son état). Ce groupe avait beaucoup de difficultés, car il devait éviter les jets d'eau, et si certains s'approchaient trop près, ils devaient craindre les coups de matraque. Les cinq premières minutes furent très partagées, mais par la suite les pavés diminuèrent et le groupe de civils dut se replier. Lorsque l'un de ceux-ci était attrapé par l'adversaire, il était transporté hors des limites de jeu, dans une camionnette prévue à cet effet. Je n'ai toujours pas compris où étaient comptabilisés les points obtenus par les deux équipes, mais cela ne diminue en rien le charme du spectacle.

Quand je raconte à mes frères du pays que les Belges se réunissent en voiture tous les matins et tous les soirs au même endroit, ils ne me croient pas et me prennent pour un fou. Et pourtant, c'est vrai. Ainsi réunis, les Belges échangent des coups de klaxon, dans un grondement de mécaniques infernal : on croirait la septième symphonie de Beethoven. Je n'ai toujours pas bien compris les raisons de ces réunions. De temps à autre, il y a un type vêtu bizarrement qui fait des gestes en l'air, en bas, à gauche, à droite... et les voitures obéissent et changent de direction, comme s'il s'agissait d'une danse. Il y a aussi une espèce d'objet de trois couleurs différentes qui signale quand la danse commence et quand elle doit s'arrêter. Il y a même des panneaux avec des dessins : les automobilistes s'arrêtent en dessous et se font la révérence. Et cela dure ainsi pendant des heures; puis petit à petit, tout se disperse dans la ville.

(Elèves du troisième cycle de l'enseignement secondaire.)

5. Prolongements

Un point de vue très particulier, comme celui du Persan de Montesquieu, est le regard de l'enfant sur le monde qu'étudie Henry JAMES dans Ce que savait Maisie. Paris, 10/18 (401). Moins élaborées, mais sans doute plus accessibles, sont les aventures du petit Nicolas imaginées par SEMPÉ et GOSCINNY (par exemple, Les récrés du petit Nicolas. Paris, Gallimard (Folio junior, 47), pp. 43-48).

Dans Ailleurs (Paris, Gallimard, 1967), Henri MICHAUX renverse, si l'on veut, le procédé qui vient d'être expliqué, et il décrit des peuplades aux moeurs étranges, qui sortent tout entières de son imagination :

L'intérêt de ces textes réside dans la comparaison implicite entre nos habitudes et ces coutumes à la fois «impossibles» (chez les Hacs, toute la vie est un spectacle) et révélatrices des limites de notre univers.

Par ailleurs, il peut être intéressant de dissocier les deux étapes du processus (description objective et fausse interprétation); ces deux moments permettent de produire un effet comique, mais faire la description purement objective d'un phénomène, sans aucune interprétation du sujet, est un exercice qui, s'il est mené rigoureusement, permet de montrer que nous appréhendons tout objet à travers des systèmes d'interprétation a priori qui, à la fois, ajoutent et retranchent des informations à la réalité donnée. Un moyen fort simple dé mettre cela en évidence consiste à demander aux élèves de décrire, de la façon la plus objectivé possible, une photo «réaliste» (c'est-à-dire prisé en milieu «naturel» et sans modèles posant consciemment pour l'appareil) : lors de la lecture de ces textes, le professeur montrera facilement que la plupart dés rédacteurs font dés suppositions quant aux personnages, quant aux lieux apparaissant sur la photo, qui, si elles ne sont pas invraisemblables, débordent largement des données fournies par cette seule photo : par exemple, de trois morceaux de maisons vues sur le cliché, on conclut qu'il s'agit d'une ville (et s'il s'agissait d'un décor de cinéma ?), d'un hall rempli d'individus marchant en tous sens, on conclut que c'est une aérogare pleine de voyageurs, etc. Inversement, certaines informations n'auront été retenues par personne parce que non pertinentes : combien y avait-il de personnes dans ce hall ? quel était le nombre d'étages dés maisons à l'arrière-plan ? etc. Ce petit essai, qui doit à peine durer un quart d'heure, montrera facilement aux élèves que la description réaliste n'est qu'un idéal difficile à atteindre et toujours menacé par les a priori et les préjugés du sujet qui fait cette description : cet idéal nourrit, on le sait, un courant scientifique et un mouvement littéraire appelés «behavioristes», dont cet exercice permet de saisir la pertinence générale.

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