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Un ouvrage édité par les Grignoux
La Littérature en pratique
20 exercices d'écriture à l'école

par Michel Condé

CHAPITRE V
La poésie dans tous ses états


Sommaire du chapitre V (l'ensemble de ce chapitre est reproduit ci-dessous) :

18. Pour quelques images de plus

19 Illuminations à bon marché

20. Images du monde

Table des matières de La Littérature en pratique


18. POUR QUELQUES IMAGES DE PLUS

1. Présentation

La métaphore ou l'image poétique est un mécanisme littéraire très fréquemment employé, mais aussi très rarement explicité. Par rapport à une explication théorique (telle qu'on la trouvera par exemple dans GROUPE Mu, Rhétorique générale. Paris, Seuil (Points, 146), 1982, pp. 106 et s.), cette animation offre l'avantage d'une compréhension par la pratique et permet un surgissement d'images inédites dont la variété dépassera toujours le cadre restreint des exemples livresques.

2. Support

Nous nous appuyerons sur un texte de H. MICHAUX, «Iceberg» dans La nuit remue. Paris, Gallimard, 1935, p. 93 et sur un poème en prose de Charles BAUDELAIRE, «Un hémisphère dans une chevelure» (Petits Poèmes en prose. Paris, Gallimard (Poésie), pp. 59-60). Mais de nombreux autres textes peuvent être convoqués, étant donné l'emploi général de cette figure.

3. Déroulement

La lecture du texte de Michaux sera l'occasion d'expliquer le mécanisme de l'image. Quand le poète écrit «Icebergs, Icebergs, cathédrales sans religion de l'hiver éternel», il unit deux réalités apparemment sans rapport : les icebergs et les cathédrales. Cette apposition n'est évidemment possible que sur fond d'analogie : les dimensions imposantes, surhumaines de l'iceberg comme de la cathédrale (rappelons que les voyages de Michaux datent de l'entre-deux-guerres, voyages en bateau où s'imposait de visu la présence énorme et menaçante de ces blocs échappés à la banquise). Mais cette apposition est en outre précisée par l'emploi de deux déterminants : «sans religion» et «de l'hiver éternel». Ceux-ci sont incompatibles sémantiquement avec «cathédrales» et s'appliquent bien sûr aux icebergs, mais l'image résulte précisément de cette conjonction insolite. La même analyse vaut pour «Icebergs, augustes bouddhas gelés sur des mers incontemplées».

Le professeur proposera ensuite un thème suffisamment évocateur comme la mer, la mélancolie, le bonheur, la pluie, l'orage, et demandera aux élèves quelles images ce thème leur inspire : il s'agira d'abord de rapprocher la réalité choisie d'une autre chose ou d'un autre objet, différent mais entretenant cependant un rapport d'analogie avec la première, l'orage pouvant ainsi évoquer un combat, une cacophonie, mais aussi les éclats d'un sabre dans la nuit ou une gerbe d'étincelles obscures. A chaque fois, le nom de l'objet comparant sera accompagné d'un adjectif, d'un complément déterminatif ou circonstanciel qui précisera l'analogie première, pour former finalement une image complète. Les suggestions des élèves seront écrites au tableau, l'une après l'autre, en les faisant précéder du thème choisi.

Ainsi :

Pluie, tourbillon d'eau, saule de soie humide, pépins scintillants.

Pluie, étoiles étincelantes éclatant sur le sol, gouttes de satin caressant la peau.

Dans ce premier texte, il faut veiller à n'accepter que les images proprement dites et rejeter tout ce qui est définition littérale comme «pluie, gouttes humides» ou «ciel tout gris» (dans le texte individuel, la tolérance sera plus grande). Par ailleurs, le professeur aura intérêt à mettre en évidence les multiples aspects de l'objet choisi, sa forme, mais aussi sa texture, sa couleur, le bruit qui peut l'accompagner, son mouvement (s'il en a un), ses dimensions, les diverses parties qui le composent, sinon les images risquent toujours de se cantonner dans un seul domaine sémantique : l'orage appellera uniquement des idées de bataille, de fanfare, de roulements de tambour. Le rôle du professeur sera notamment de suggérer des métaphores audacieuses et inattendues : à quelle fleur, ou à quel animal pourrait-on comparer l'orage? Il veillera aussi à faire préciser des termes qui sont, le plus souvent, très vagues : si l'éclair est un sabre, ce sera encore plus certainement un yatagan, dont la lame est incurvée en deux sens opposés. Ce qui est exposé ici analytiquement, se déroule évidemment de façon beaucoup plus spontanée dans un jeu de questions et réponses où le professeur est d'abord à l'écoute des suggestions souvent surprenantes des élèves, avant d'être un interrogateur. La lecture du texte de Baudelaire pourra clôturer ce premier essai d'écriture.

Ensuite, les élèves seront invités à choisir un thème qui les touche personnellement et à le traiter individuellement, comme la classe entière l'aura fait pour le thème collectif. Pour terminer, chacun lira sa production.

L'ensemble de l'exercice occupera certainement deux heures de cours.

4. Exemples de textes d'élèves

Arc-en-ciel, pluie de rubis et de saphir, harpe multicolore, pont de mille fleurs.

Arc-en-ciel, cascade de soie chatoyante, souffle de tendresse, chemin de traverse conduisant au bonheur.


Crépuscule, pensées et souvenirs comme une vie qui s'éteint.

Crépuscule, cri désespéré d'une jeunesse solitaire, avenir sans promesse bouleversé de nostalgie et de mélancolie.

Crépuscule, je ne suis plus au monde.


Tonnerre, gisement de feu dans la plaine noire, terreur des enfants les soirs d'orage, un sabre d'argent égorge la nuit.

Tonnerre, manifestation macabre sous le déluge, une forteresse de cristal défie la pénombre.


Neige, robe de satin glacée, oasis gelée, des perles roulent les unes sur les autres.

Neige, cascade de diamants, tapis douillet, colombes qui s'envolent dans le ciel.

(Elèves du premier cycle de l'enseignement secondaire.)

Yeux, miroir des états d'âme, reflet d'un voile translucide.

Yeux, saphirs opaques, mer fluorescente dans laquelle on se noierait, une toile d'araignée dans deux sphères étoilées.


École, noire prison d'automates, odeur d'encre qui cogne : des voix sèches rythment ma colère.


L'ennui, nuit noire et sans fin, usine sale et abandonnée, tristes paysages des amours lointains.

L'ennui, longue solitude fade, odeur de sang âcre, vagues opaques frappant les rochers.

(Elèves du second cycle de l'enseignement secondaire.)

5. Prolongements

Cette animation est une étape indispensable avant les deux propositions qui suivent.

Par ailleurs, on trouve chez d'autres auteurs comme J-H. MALINEAU (Des jeux pour dire, des mots pour jouer. Paris, L'École, 1975) des animations basées sur d'autres procédés mais qui visent au même résultat, la maîtrise de l'image poétique, et qui peuvent constituer un utile complément à celle-ci («Si c'était», «Le dictionnaire imagé», «L'un dans l'autre», jeux 11, 12, 13 de MALINEAU).

Enfin, même si elle n'est pas nécessairement employée, comme ici, de manière systématique, la métaphore traverse toute la poésie moderne : l'explication de textes pourra certainement s'appuyer sur la compréhension par la pratique de ce phénomène, que devrait assurer cette animation.

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19. ILLUMINATIONS A BON MARCHE

1. Présentation

L'image poétique peut être utilisée de diverses manières. Rimbaud, dans ses Illuminations, multiplie les images du même objet sans révéler la nature de celui-ci, entraînant ainsi l'ambiguïté du texte poétique : ce faisant, il ne détruit cependant pas toute signification car la multiplicité des images produit un «halo» sémantique permettant d'approcher l'objet en cause (ou le sens que Rimbaud lui attribue). Ce procédé s'est largement répandu dans la poésie moderne, notamment surréaliste, et cette animation doit en assurer la maîtrise.

2. Support

On lira bien sûr Arthur RIMBAUD, notamment «Parade», «Ornières» et «Fleurs» dans oeuvres complètes. Paris, Gallimard (La Pléiade), 1972, pp. 126, 135, 141. Il est aussi intéressant de se reporter à la définition que Rimbaud donne lui-même de son activité poétique dans Une saison en enfer (op. cit., p. 108): «Je m'habituai à l'hallucination simple : je voyais très franchement une mosquée à la place d'une usine, une école de tambours faite par des anges, des calèches sur les routes du ciel . Même si cette explication ne s'applique pas aux Illuminations (mais aux Poésies), elle éclaire utilement certains procédés utilisés dans les dernières productions rimbaldiennes.

3. Déroulement

Écrire des «Illuminations» suppose la maîtrise de la métaphore : cette animation fera donc suite à celle sur l'image («Pour quelques images de plus»). Après avoir relu un poème produit à cette occasion, on lira un texte du même genre, mais inconnu des élèves (un texte d'une autre classe par exemple) et sans révéler le thème choisi; ce texte se réduira donc à la seule suite des métaphores : «pluie de rubis et de saphir, harpe multicolore, pont de mille fleurs , pour reprendre un des exemples cités. Les élèves seront invités à deviner le thème caché ou du moins l'ensemble sémantique auquel il appartient. Le professeur fera remarquer que le poème, bien qu'amputé, garde une partie de son pouvoir évocateur. La lecture des Illuminations de Rimbaud sera dès lors possible.

L'écriture se déroulera en deux temps.

Le professeur propose un thème, par exemple le marché, et demande aux élèves ce qu'on peut y voir habituellement. Chaque suggestion sera écrite au tableau sous la forme d'un complément d'objet direct suivi d'un complément circonstanciel :

J'ai vu

des bananes accrochées à une tringle d'acier

des fleurs sous cellophane

...

Après chaque suggestion, le professeur demande qu'on remplace soit le complément d'objet, soit le complément circonstanciel par une image. Il efface le terme propre et le remplace par le terme figuré :

J'ai vu

des croissants de lune accrochés à une tringle d'acier

des fleurs dans un torrent immobile

...

Après écriture de six ou sept propositions, on relit le texte obtenu en demandant à chaque auditeur d'oublier les termes effacés, pour apprécier l'illumination à proprement parler, c'est-à-dire la transfiguration du monde quotidien.

Dans un second temps, les élèves répartis en petits groupes choisiront un thème et essaieront de l'exploiter de la façon décrite ci-dessus. Cela se fera cependant beaucoup plus spontanément et sans recourir au procédé de la suggestion littérale effacée et remplacée par l'expression figurée.

L'ensemble de l'animation prend certainement deux heures de cours et l'expérience apprend qu'il vaut mieux faire se succéder ces deux heures sans interruption : dans ce cas, les groupes les plus actifs se mettent spontanément à l'oeuvre, et le professeur peut se consacrer aux groupes ayant peu ou mal suivi le processus collectif. Dans le cas inverse, l'interruption entraîné l'oubli et la nécessité de réexpliquer à tous le procédé à utiliser.

4. Exemples de textes d'élèves

Le marché

J'ai vu
des poissons argentés sur la rosée du matin
des chiens ravalant leurs larmes dorées
des cloches de velours au fond d'un torrent immobile
des pierres brillamment déguisées
des croissants de lune accrochés à des tringles d'acier.


La mer

J'ai vu
des étoiles filantes sur le fond de la mer
des diamants brûlants sur le sable chaud
des milliers de personnes se baignant dans un flot de lumière
un tapis jaunâtre descendant sur la mer
un tambour frappant continuellement le sol
des étoiles tombées du ciel sur la plage


La forêt

J'ai vu
De grosses boules noires suspendues à de gigantesques obélisques verts
Un torrent de perles et de diamants
Mille aiguilles fichées sur une branche brune
Une fusée rousse courir derrière les poules
Un vieillard emplumé soudé sur une branche


La foire

J'ai vu
un tourbillon de lumière dans un ciel gris,
une avalanche de scooters dansant sur une patinoire d'aluminium,
des nuages de couleur douce,
un labyrinthe métallique où skiait une chenille à toute allure,
et, sur son dos, de joyeuses fourmis riant aux reflets illuminés de l'arc-en-ciel qui les entourait.


Dans la poche d'un veston, j'ai entendu des cloches allègres, j'ai vu une pieuvre solitaire laissant sa signature sur le tissu, et un peu plus loin, un annuaire toujours bavard et le voile d'une mariée caché dans l'étui à lunettes.

(Elèves du premier cycle de l'enseignement secondaire.)

5. Prolongements

A la fin de l'animation, il n'est peut-être pas inutile de faire remarquer l'obscurité apparente des textes obtenus pour qui ne connaît pas le procédé employé. La pratique conduit ainsi les élèves à surmonter l'étrangeté qui entoure tout texte hermétique, et constitue une première approche de ce phénomène central dans la littérature moderne. Certes, le procédé décrit ne suffit pas pour expliquer des textes comme ceux de Joyce ou de Mallarmé, ni même certaines des Illuminations de Rimbaud, mais cette explication, de valeur limitée, devrait permettre de lever, en partie, l'incompréhension qui entoure trop souvent les recherches de l'avant-garde esthétique, et d'éviter les rejets massifs qui en résultent.

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20. IMAGES DU MONDE

1. Présentation

Cette animation constitue à la fois un exercice sur la métaphore et un travail sur le point de vue : elle représente une sorte d'aboutissement conjuguant diverses techniques abordées antérieurement.

2. Support

Dans «La Seine a rencontré Paris» de Jacques PRÉVERT (Choses et autres. Paris, Gallimard (Folio, 646), pp. 203-207), différents personnages, un enfant, un chat, un manoeuvre, donnent des images de ce que représente, pour chacun d'eux, la Seine : pour l'enfant, ce sera un jeu, pour le chat, une chatte sinueuse, pour le manoeuvre, une usine pleine de peine et de labeur.

3. Déroulement

La lecture du poème de Prévert sera précédée d'une courte explication de ce texte et notamment de la notion de point de vue (si celle-ci n'a pas encore été abordée) : chacun voyant le monde différemment, en fonction de ce qu'il est, de ce qu'il sent, de ce qu'il pense, ne peut que donner des images différentes de ce monde. On rappellera aux élèves que, dans les deux animations précédentes, les suggestions variaient selon les participants, et que des métaphores pertinentes aux yeux de certains apparaissaient incongrues aux yeux des autres, et inversement.

La démarche la plus simple consiste à proposer à l'ensemble de la classe un thème suffisamment riche pour donner lieu à une exploitation semblable à celle de Prévert, comme, par exemple, les grands éléments «naturels» : la neige, le soleil, la pluie, la ville... Les élèves suggèrent alors plusieurs personnages aussi contrastés que possible, et essaient d'imaginer le discours qu'ils tiendraient sur le thème choisi. Il convient, sans doute, d'abord, de définir le sens général de ces propos : pour l'enfant, la neige sera surtout un jeu, tandis que le vieillard n'y verra que des inconvénients. Ensuite, lorsqu'un certain accord s'est manifesté sur le sens général de l'intervention, les élèves chercheront une ou deux métaphores du thème, choisies en fonction du point de vue d'un individu particulier, suggestions que le professeur écrira au tableau, sous la même forme que le poème de Prévert.

Celui-ci est écrit en vers libres : le professeur n'hésitera pas à recourir à la même technique pour marquer la scansion du discours (la fin du

vers correspondant à une pause). Ici encore, la pratique éclairera plus le procédé qu'une théorie abstraite.

Ensuite, les élèves se répartiront en petits groupes et choisiront un nouveau thème qu'ils exploiteront à la façon de Prévert : idéalement, à l'intérieur de chaque groupe, chaque élève devrait adopter un point de vue différent et rédiger ainsi une strophe du poème collectif.

L'ensemble de l'animation prendra certainement deux bonnes heures de cours.

4. Exemples de textes d'élèves

La mer dit l'adolescent
C'est un jeu avec les vagues et les poissons
C'est un tableau animé
Où l'on trouve de splendides formes
Scintillantes et multicolores

La mer dit la mouette
C'est une réserve de provisions
C'est un champ de bataille
Où tout le monde se bat
Pour avoir la vie sauve

La mer dit un pêcheur
C'est le paradis des poissons
Un remue-ménage avec ses vagues immenses

La mer dit un noyé
C'est l'enfer des bateaux
Qui habitent sous l'eau
C'est l'habitation d'un diable
Cruel et sans pitié
Une prison d'où personne ne revient


La foire dit l'enfant
C'est une plaine de jeux perfectionnée
C'est une foule d'individus
Noyés dans une lumière multicolore

La foire dit le chien
C'est une ruée d'ennemis
C'est une piétinnoire (1)
Un restaurant gratuit où l'on avale
La pierre avec la boulette
Le papier avec la tartine

La foire dit le riverain
C'est une discothèque ambulante
C'est un dépotoir d'aliments
Un monstre gigotant et gigantesque
Qui chaque nuit hante mes rêves

(1) Le mot-valise est volontaire.

Le soleil dit le vacancier
C'est une orange bien juteuse
Un pamplemousse sucré de chaleur
Un citron jaune rempli de lumière

Le soleil dit la grand-mère
C'est un poêle
Qui ne chauffe pas tous les jours

Le soleil dit la starlette
C'est un maquillage naturel
Qui attire le regard des hommes


Les étoiles dit le bijoutier
Ce sont des diamants lumineux
Qui éclairent la nuit de tout leur éclat

Les étoiles dit l'enfant
C'est un jouet à faces scintillantes
Qui le soir éclaire mes leçons

Les étoiles dit la chouette
Ce sont des lumières
Qui guident mon chemin à travers la forêt
Qui m'éclairent en douceur
Avant de partir à l'aventure

(Elèves du premier cycle de l'enseignement secondaire)

5. Prolongements

Beaucoup d'auteurs ont proposé des animations de type poétique. Si cette voie rencontre l'intérêt des élèves, on pourra donc poursuivre, notamment avec les propositions de Jean-Hugues MALINEAU, Des jeux pour dire, des mots pour jouer. Paris, L'École, 1975.

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