Un ouvrage édité par les Grignoux
La Littérature en pratique
20 exercices d'écriture à l'école
par Michel Condé
Sommaire du chapitre I (l'ensemble de ce chapitre est reproduit ci-dessous) :
1. Quelques objets introuvables
3. La bonne éducation revue et corrigée
5. L'histoire remise au goût du jour
Table des matières de La Littérature en pratique
Cette animation constitue surtout un exercice d'imagination. Accessoirement, elle peut servir de première approche de la parodie, ici, du discours publicitaire.
On utilisera essentiellement CARELMAN, Catalogue d'objets introuvables 1 et 2. Paris, Le Livre de Poche (4037, 5289).
Par ailleurs, toute la tradition de l'humour absurde, du non sense, peut être évoquée, en particulier P. DAC, Carnets mondains. Paris, Presses Pocket (1952), pp. 39-40.
Pour la parodie du texte publicitaire, nous proposons nous-même les textes suivants :
Cet appareil, résultat de recherches élaborées, est destiné à remplacer dans un proche avenir les anciens modèles de téléphone : il offre l'avantage très appréciable de ne plus vous obliger à retenir les nombreux numéros de vos correspondants. Avec cet appareil, vous décrochez et vous êtes mis immédiatement en communication avec votre correspondant favori. Ainsi, plus de risques d'erreurs, de fausses manoeuvres ou d'oublis de numéros.
Cet objet inédit combine habilement et harmonieusement boîte aux lettres et niche à chien. Dès que le facteur a déposé le courrier, votre animal favori vous l'apporte délicatement entre ses dents.
Modèles disponibles
40 cm pour yorkshires,
60 cm pour caniches,
80 cm pour berger allemand,
pour saint-bernard, uniquement sur commande.
Ce réveil d'une conception révolutionnaire est muni d'une cloche et d'un battant en caoutchouc à l'heure par vous prévue, ni la cloche ni le battant n'émettent le moindre bruit, vous évitant ainsi tous les inconvénients d'un réveil en sursaut.
Feuilleter le Catalogue de Carelman est le point de départ naturel de cette animation. On mettra immédiatement en évidence quelques-uns des procédés utilisés. Par exemple :
Ensuite, toute la classe proposera oralement pendant quelques minutes de nouveaux objets introuvables, et, après lecture des modèles de publicité proposés ci-dessus (au § 2) ou d'autres inventés par le professeur, les élèves seront invités, par petits groupes de deux ou trois personnes, à inventer quelques objets et surtout à rédiger un petit texte expliquant l'usage, absurde bien sûr, de cette invention, vantant ses mérites et détaillant ses caractéristiques.
La lecture des textes doit clore normalement l'heure de cours.
Cette chaise sans pieds vous évitera de rayer votre parquet d'où d'importantes économies de cire. Indispensable pour les magiciens et les personnes capables d'entrer en lévitation.
Ces chaussures vous garantissent un confort idéal : elles vous permettent de faire des bonds même lorsque vous devez payer vos impôts. Elles vous donnent le plaisir de traverser les embouteillages ou de faire le tour du pâté de maisons en quelques secondes.
Monsieur N... arrive toujours en retard à l'école. Nous lui avons proposé d'acheter une montre sans aiguilles qui lui permettra d'arriver toujours à l'heure.
Chers élèves, ce stylo garde les fautes d'orthographe dans sa plume. Il faut le vider une fois par semaine, car les fautes pourraient boucher la plume. Il ne coûte que trois milliards de centimes et est branché sur la dernière édition du Petit Larousse Illustré.(Élèves du premier cycle de l'enseignement secondaire) (1)
Puisque les professeurs en ont assez de répéter chaque fois la même chose, un dentiste a inventé le dentier à répétition pour les classes qui font preuve d'une incompréhension totale
Afin d'éviter le tapage nocturne et de protéger les oreilles de vos voisins, nous vous proposons une radio sans son, objet inédit, muni de tous les perfectionnements modernes, mais sans diffuseur, ni haut-parleur. Les cinquante premiers acheteurs recevront une cassette en prime "Les meilleurs moments de silence de vos vedettes préférées".
Cet objet se présente sous la forme d'un banc ordinaire, muni de deux mains en caoutchouc, fixées sur les côtés. Quand l'élève s'endort et pose la tête sur le banc, les deux mains le giflent vigoureusement(Élèves du troisième cycle de l'enseignement secondaire)
L'humour a plusieurs formes et toutes ne sont pas immédiatement accessibles en particulier, l'absurde, le non sense, suppose une familiarisation progressive, et cette animation peut servir d'introduction à des textes plus difficiles comme ceux de Jarry, d'Ionesco ou de Beckett.
Par ailleurs, les quelques exemples cités révèlent chez les élèves des préoccupations jamais traitées ou toujours traitées de la même manière en classe : ainsi l'orthographe qui n'est jamais considérée évidemment que sous l'angle de la correction. La liberté ludique de l'animation permet à certains élèves de maîtriser fictivement ce problème scolaire quotidien et de lui donner une solution, imaginaire, plus satisfaisante, comme dans l'exemple cité d'un "stylo sans fautes pour les élèves nuls en orthographe". Cette "revanche" de l'esprit, qui n'est pas méprisable, peut être aussi l'occasion de considérer différemment ces problèmes et d'entamer, par exemple, un débat sur l'importance sociale de l'orthographe : sa valorisation constante par l'école et spécialement par les professeurs de français ne doit pas masquer le fait qu'il s'agit d'une convention sociale, qui, comme toutes les conventions, ne peut être négligée, mais ne doit pas non plus constituer un handicap insurmontable à toute pratique de l'écrit. L'animation pourrait ainsi s'inscrire dans une réflexion plus large sur ce qu'on fait en classe et pourquoi on le fait.
En tout cas, on sera sensible à ces choses que le rire permet de dire, de manière détournée, et dont le fonctionnement de la classe interdit habituellement l'expression.
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Exercice d'imagination, cette animation permet en outre un approfondissement des procédés de la parodie le poisson d'avril, tel qu'il est pratiqué dans les journaux, suppose en effet une maîtrise suffisante du style journalistique pour que le canular soit, au moins dans un premier moment, crédible.
On trouvera évidemment des exemples dans tous les journaux datés du premier avril. Il est souhaitable d'en récolter plusieurs, très différents les uns des autres, afin d'illustrer la diversité possible de l'invention.
Le professeur distribue aux élèves les photocopies de différents exemples de poisson d'avril qu'il a pu recueillir. Les élèves ne disposent pas tous du même texte, et, après la lecture, les uns et les autres font le résumé de ce qu'ils ont lu.
Généralement, après un moment d'hésitation, les élèves découvrent le canular, et repèrent assez facilement les absurdités dont ces textes sont émaillés. Le professeur soulignera cependant toute l'habileté et toutes les finesses du procédé la nouvelle annoncée dans le titre est suffisamment formidable pour retenir l'attention, mais elle n'est pas incroyable ou absurde; seule l'accumulation des détails du texte permet au lecteur de deviner, souvent très tardivement, la supercherie. Il y a donc là toute une progression qu'il faut maîtriser pour que le poisson d'avril fonctionne correctement.
Par petits groupes de trois ou quatre personnes, les élèves peuvent ensuite mettre en pratique ces principes.
Deux problèmes principaux se posent pour la rédaction de ce genre de texte. D'abord, adultes et jeunes gens n'ont pas, étant donné leurs connaissances différentes du monde, la même conception du vraisemblable pour un enfant de douze ans, il est tout à fait imaginable de démolir un monument aussi prestigieux que la Tour Eiffel, parce qu'elle serait rouillée, et le professeur aura beaucoup de difficultés à faire apercevoir les raisons, souvent complexes et subtiles, qui rendent un tel événement hautement improbable. Si une discussion est toujours possible, l'enseignant évitera cependant d'imposer ses normes et ses critères du réel à des élèves qui ne peuvent pas toujours comprendre toute la logique sous-jacente à la définition adulte du vraisemblable (variable d'ailleurs selon les individus et les groupes sociaux).
D'autre part, il ne faut pas espérer que les élèves acquerront spontanément le style journalistique en particulier, l'adresse à un public anonyme et l'effacement du narrateur, qui donnent aux articles leur ton impersonnel, sont étrangers aux pratiques habituelles de la communication chez les enfants. Ceux-ci se mettent en scène et apostrophent souvent leur lecteur avec une spontanéité inconnue des véritables journalistes (comme on le verra à la fin du premier exemple cité). Si le professeur veut prendre en compte ces critères stylistiques, il devra consacrer une deuxième heure à cette explication et à la correction des travaux dans ce sens.
Une enquête réalisée récemment a démontré que les étudiants d'aujourd'hui sont de plus en plus dissipés. Les absences volontaires ou involontaires vont croissant. Le phénomène devient inquiétant, car, de nos jours, les études sont un des facteurs les plus importants pour réussir dans la vie.
Les directeurs, préfets et responsables des écoles du pays se sont réunis et ont pris des mesures draconiennes. Tout d'abord, la liste complète des élèves, avec leurs nom, prénom et adresse, sera introduite dans un ordinateur. Celui-ci, pourvu des derniers gadgets inventés par la télématique, téléphonera chez l'absent pour demander une justification.
Les élèves soupçonnés de brossage devront porter une petite ceinture qui ne pourra être retirée que par les surveillants qui, seuls, en posséderont la clé. Cette ceinture est très particulière : elle est programmée d'après l'horaire de l'élève, et si celui-ci ne se présente pas à l'heure juste devant la surveillante, une sirène, tout ce qu'il y a de plus bruyant, se déclenche et dure aussi longtemps que l'élève reste au-dehors de l'école.
Autant vous entraîner pour pouvoir piquer un sprint digne de Carl Lewis, le jour où vous vous serez un peu trop éloigné de votre établissement. De plus, vous risquez d'avoir l'air bête si la sirène se met en marche.
À voir vos têtes, je sens que tout cela va vous plaire.(Élèves du deuxième cycle de l'enseignement secondaire.)
Au cours du dernier Conseil communal, l'Echevin du Tourisme et des Affaires culturelles a proposé aux citoyens une solution originale pour sauver les finances communales et donner un coup de fouet à l'économie régionale.
Cette solution consiste à ramener la Meuse dans son ancien cours le fleuve traverserait ainsi le boulevard d'Avroy, le boulevard de la Sauvenière et la rue de l'Université, en somme tout le centre de la ville.
Toutefois, des modifications pourraient être envisagées suivant les résultats qu'apportera l'applaudimètre situé dans le nouveau port de Liège (actuellement la place Cathédrale).
Les avantages sont évidents.
D'abord, un développement du tourisme qui permettra à la ville de Liège de concurrencer efficacement la ville de Bruges; en particulier, les touristes pourraient acheter des albums de photos représentant la ville dans son état actuel, destiné à disparaître.
Ensuite, l'industrie, et notamment Cockerill, seraient relancés par la construction de gondoles métalliques. En effet, pour pouvoir circuler dans la ville, les Liégeois utiliseront des moyens de transport maritimes ; des gondoles, des canots, des barquettes et d'autres modèles qui feront l'objet d'une prochaine exposition au Palais (bâtiment entièrement construit sur pilotis).
Enfin, de nouvelles écoles s'ouvriront pour former des pilotes, des sauveteurs et des personnes chargées de l'entretien des canaux. Par conséquent, la Wallonie verra son taux de chômage diminuer, de même que diminuera la pollution provoquée par les véhicules à moteur.(Élèves du troisième cycle de l'enseignement secondaire.)
Le canular n'est possible que sur fond de conventions : l'information diffusée dans les journaux est supposée vraie. Cet exercice est alors l'occasion de mettre au jour les règles souvent peu conscientes qui régissent nos moeurs et nos écrits. Les gags de la caméra cachée, par exemple, qui placent souvent les individus dans une situation où les usages de la vie quotidienne deviennent contradictoires ou perdent de leur pertinence, constituent de puissants révélateurs de toutes ces règles implicites ordonnant notre comportement habituel (cf. J. ROULAND, Les employés du gag. Paris, Le Livre de Poche (3237), pp. 108-115).
Dans le domaine littéraire, le canular a surtout pris la forme de la supercherie depuis GUILLERAGUES, auteur des Lettres d'une prétendue religieuse portugaise jusqu'à Boris VIAN qui, sous le nom de Vernon SULLIVAN, publia J'irai cracher sur vos tombes, faux roman policier nord-américain, en passant par Le théâtre de Clara Gazul de Prosper MÈRIMÉE ou les Poésies et Pensées de Joseph Delorme de SAINTE-BEUVE.
Dans un esprit plus proche de la parodie, Jacques PREVERT a réécrit un article de journal à sensation, pour mettre en lumière, par ses excès, l'horreur d'événements banalisés comme la guerre ou la dictature (" ... Fors l'horreur", Fatras, Paris, Gallimard (Folio, 877), pp. 64-69).
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Cette animation est un exercice de parodie consistant à transformer un règlement d'école, de police ou de savoir-vivre, de manière absurde et parodique.
On lira quelques extraits significatifs de P. DESPROGES, Manuel de savoir-vivre à l'usage des rustres et des malpolis. Paris, Seuil (Pointvirgule, 1), pp. 99-104 (par exemple). Comme exemples d'humour absurde, les pensées et maximes de P. DAC sont également remarquables (L'os à moelle. Paris, Le Livre de Poche (397), pp. 69-72).
La lecture des "oeuvres" de Desproges ou de Pierre Dac servira surtout d'incitation à l'écriture, mais ne permettra sans doute pas de donner un modèle unique de texte humoristique. Le rire repose en effet sur des procédés multiples, dont la diversité même permet seule de produire une suite de séquences comiques sans monotonie. L'utilisation d'un procédé unique serait vite perçue par l'auditeur et engendrerait rapidement sa lassitude.
Il faut donc travailler collectivement pour qu'un maximum d'idées soient échangées et un maximum de voies explorées. Cette discussion partira des principes les plus connus du savoir-vivre, du code de la route, du règlement de l'école, des consignes en cas d'incendie ou des conseils pour éduquer un enfant, et essaiera de les transformer, par des modifications absurdes ou l'adjonction de détails saugrenus, jusqu'à l'obtention d'un résultat comique qui sera rapidement noté.
Si certains groupes ne parviennent pas à un tel résultat, le professeur pourra, au moins pour débloquer la situation, donner quelques procédés plus précis et généralement efficaces (cette efficacité n'est évidemment jamais totale) :
D'autres procédés existent certainement, mais aucune énumération ne sera jamais exhaustive, l'intuition restant souvent la meilleure voie d'accès à l'humour.
Enfin, comme les résultats sont généralement brefs, on mettra l'accent sur la correction, au sens d'une réécriture, souvent négligée par les élèves : de façon beaucoup plus nette que dans d'autres écrits, la qualité du texte, à savoir sa vertu comique, dépend ici de détails minimes de l'expression. On comparera par exemple : "faire attention aux enfants qui jouent sur le trottoir, c'est éviter aux parents une trop grande joie s'ils s'étaient fait écraser" à "En voiture, évitez d'écraser les enfants jouant sur les trottoirs : vous épargnerez aux parents la trop grande joie d'être enfin débarrassés de leur ennuyeuse progéniture". (L'humour noir en particulier, pour être "acceptable", demande une telle réécriture).
Il est facile de ne pas mettre les coudes sur la table lorsqu'on est manchot. Les enfants ne doivent jamais mentir aux grandes personnes, même lorsqu'un individu masqué leur demande où se trouvent les bijoux de maman.
Désormais, vous ne devez plus laver votre linge qu'à moitié, puisque Dash lave deux fois plus blanc.
Quand il y a du verglas sur la route, roulez à toute vitesse, puis freinez d'un coup sec, et vous voilà reparti en sens inverse. Mais faites attention, car maintenant vous roulez à gauche !
Arrêtez-vous avant les passages cloutés. Pour éviter la crevaison.
Que faut-il faire quand il y a un incendie en hiver ? Laissez brûler ! Ainsi, quand les pompiers arrivent, il fait bien chaud. Et au milieu du feu, faites griller quelques saucisses.(Élèves du premier cycle de l'enseignement secondaire).
Dans un bus bondé, n'hésitez pas à conseiller aux personnes qui voudraient s'asseoir à la place de votre paquet, de rester debout pour garder la forme.
À l'école, pour les demandes de sortie, seuls les motifs sérieux seront retenus. Par exemple, les enterrements de frères, parents et grands-parents ne pourront excéder quatre par année et par élève.
L'école décline toute responsabilité en cas de disparition d'un professeur lors d'un chambard en classe.(Élèves du second cycle de l'enseignement secondaire).
Si le potage est moins insipide que les propos de votre voisin, n'hésitez pas à aspirer le liquide avec force bruit pour couvrir la conversation.
Lors d'un repas très apprécié, il n'est pas conseillé de lécher votre assiette : c'est très impoli ! Léchez plutôt celle de votre voisin.(Élèves du troisième cycle de l'enseignement secondaire.)
Toutes les formes culturelles figées, les proverbes, le savoir-vivre, les classiques de la littérature, peuvent être objet de parodie. La correspondance est une cible facile et souvent amusante pour les élèves : avec Pierre Dac, ils pourront écrire "un modèle de lettre à Monsieur le Préfet de police pour solliciter une place de Président de la République", ou un "modèle de lettre anonyme ", ou encore un "modèle de lettre à écrire pour ne rien dire" (L'os à moelle. Paris, Le Livre de Poche (3937), pp. 146-151. Voir aussi M. CONDÉ et P. POPOVIC, "Quelques expériences d'écriture à l'école", Enjeux (Labor-Nathan), 2, janvier 1983, p. 24).
Par ailleurs, comme cette animation entraîne facilement des audaces de langage, il faudra souligner qu'il ne s'agit là que d'une fiction littéraire dont les conseils ne doivent pas être pris au sérieux et ne peuvent trouver d'application dans la vie quotidienne. C'est une bonne occasion d'approcher un phénomène comme l'humour noir, qui fait rire de choses dramatiques et apparemment non comiques. On lira à cette occasion quelques extraits de l'Anthologie de l'humour noir d'André BRETON (Paris, Le Livre de Poche (biblio, 3043), pp. 427-430). La littérature est un espace de liberté, où toutes les audaces, tous les excès, toutes les transgressions et même les perversions ont pu trouver leur expression. Il serait dès lors naïf, sinon impossible, d'étudier la littérature en écartant ou en cachant de tels phénomènes, mais il importe, encore une fois, d'apprendre aux élèves à bien faire le partage entre les parenthèses qu'ouvre la fiction, et la vie quotidienne où de telles audaces ne sont évidemment ni permises, ni recommandables.
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La fable-express constitue une première approche du jeu de mots, mais sa démarche rigoureuse permet d'éviter les aléas du hasard ou de l'inspiration, liés habituellement à ce genre d'humour.
Alphonse ALLAIS est un des maîtres du genre, et l'on trouvera facilement des exemples dans les rééditions de ses oeuvres, par exemple dans Contes. Paris, Presses de la Renaissance (Club Géant), 1972, pp. 114-121. Un autre ouvrage est facilement disponible, celui de M. LACLOS, Jeux de lettres, jeux d'esprit, Verviers, Marabout (Service, 346), pp. 85-94.
La caractéristique essentielle de la fable-express est que l'écriture procède dans un ordre exactement inverse de celui de la lecture. Alors que l'auditeur commence par l'histoire ("Lorsque tu vois un chat, de sa patte légère / Laver son nez rosé, lisser son poil si fin, / Bien fraternellement embrasse ce félin "), débouche sur la moralité ("s'il se nettoie, c'est donc ton frère"), et reconnaît une expression proverbiale déformée ("Si ce n'est toi, c'est donc ton frère"), l'écrivain, lui, doit partir d'un proverbe, le modifier et "remonter" enfin au récit justifiant la moralité.
Le professeur commencera bien sûr par la lecture de quelques fables-express, en s'assurant cependant que tous les élèves connaissent les proverbes mis en cause dans ces fables : il ne peut y avoir d'effet comique que si l'auditeur aperçoit bien dans la moralité apparente de l'histoire, la déformation d'une expression figée.
Le professeur aura certainement avantage à écrire au tableau l'une ou l'autre de ces fables et à expliciter par un système de flèches et de parenthèses, la structure de l'histoire. Par exemple :
Ordre de lecture : De haut en bas |
Un jeune enfant sur un pot, s'efforçait,
Moralité : Le petit poussait |
= la fable-express | Ordre de l'écriture : De bas en haut |
(Le petit poucet) | = l'expression figée sous-jacente |
Après explication du procédé, il est sans doute préférable de procéder à un premier essai d'écriture avec l'ensemble de la classe. Le professeur propose un proverbe (ou retient une suggestion de la classe) et demande aux élèves de le transformer oralement : cette transformation ne doit pas se faire par écrit, car la contrainte essentielle est de respecter le rythme de l'expression de départ. Ainsi, "Toute peine mérite salaire" peut devenir "Trop de veine irrite ma mère", mais non "Toute peine me grignote mon salaire". Bien entendu, la meilleure transformation est celle qui, conservant le rythme, respecte également la sonorité générale de l'expression de départ, mais parvient cependant à une signification aussi éloignée que possible de l'original ("Le petit pouce" devenant "le petit poussait"). Lorsque cette transformation est effectuée, les élèves proposent, toujours oralement, les grandes lignes de l'histoire permettant d'aboutir à cette moralité renouvelée. (On ne tiendra cependant pas compte d'une des contraintes habituelles de la fable-express, la versification de l'histoire. Il existe des procédés beaucoup plus simples, comme l'imitation des comptines traditionnelles, pour faire découvrir aux élèves les règles essentielles de la versification : on se reportera par exemple aux jeux 6 et 7 de J.-H. MALINEAU, Des jeux pour dire, des mots pour jouer. Paris, l'Ecole, 1975).
Après un ou deux essais avec l'ensemble de la classe, essais qui devront bien mettre en évidence la logique de l'écriture de la fable-express, à rebours du sens de la lecture, les élèves s'essaieront, par petits groupes de trois ou quatre, à cet exercice d'humour.
Dans une basse-cour, une dispute a lieu entre une pie et une oie. L'oie dit :
"Pourquoi restes-tu perchée sur un arbre ?
Pourquoi ne vas-tu jamais dans la boue ?
Pourquoi ne respectes-tu pas les lois des oies ? "
Mais la pie n'en fait qu'à sa tête.
Moralité : La pie ne fait pas l'oie.
Des bandits cambriolent une banque et volent tout l'argent. À peine sont-ils sortis, leur sac s'ouvre et l'argent tombe par terre.
Moralité : Les durs n'ont pas d'oseille.
Un fermier, qui vivait dans une petite ferme, avait, pour plus grande richesse, des oies.
Un jour, il vit qu'une de ses oies n'était pas normale, car elle ne mangeait pas d'herbe comme les autres oies. Il se tracassait pour la pauvre bête. Il cherchait un moyen pour la nourrir, mais sans succès.
Puis un jour, après son souper, le fermier mit à la poubelle une assiette de riz : la jeune oie le vit, elle se précipita sur la poubelle et dévora le riz. Ainsi, le fermier comprit qu'elle raffolait du riz.
Moralité : On a toujours besoin d'un peu de riz pour l'oie.
Il était une fois un petit grain de blé qui ne voulait pas éclore. Son papa lui disait : tu dois éclore au printemps, comme tous tes petits camarades. Mais le petit grain de blé ne voulait pas obéir à son papa. Le printemps venu, il mourut de pourriture.
Moralité : Rien ne sert de pourrir, il faut éclore à point.
Un cuisinier faisait frire un steak dans sa poêle. Il s'absenta un moment et le steak brûla.
Moralité : Rien ne sert de le frire, il faut manger le steak à point.
Les proverbes, le savoir gnomique ont été souvent la cible de la parodie et de l'humour. Les pensées de Pierre Dac sont célèbres (Essais, Maximes, Conférences. Paris, Presses Pocket (1995), pp. 67-93), mais un poète comme Jean TARDIEU, dans Le Professeur Froeppel, raille lui aussi à sa manière les prétentions au sérieux et à la sagesse (Jean TARDIEU, Un poète, Paris, Gallimard (Folio junior en poésie, 16), pp. 110-115).
Plus déroutantes encore sont les Poésies de LAUTREAMONT qui réécrivent les Pensées de PASCAL, sans que le lecteur puisse facilement faire le partage entre le sérieux et l'humour à froid.
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Écrire différentes versions d'une même histoire est un procédé largement répandu dans l'histoire de la littérature : ici, la réécriture s'accompagne en plus d'une dimension humoristique.
Dans "l'histoire de Peut-Mieux-Faire", Roland TOPOR propose une nouvelle version de la vie de Jésus : celui-ci tombe amoureux, à trente-deux ans, d'une jeune romaine, Lacrima-Christi, et abandonne ses apôtres qui, furieux, le dénoncent aux autorités romaines; comme dans l'histoire "officielle", Jésus est condamné et mis en croix (Café Panique. Paris, Seuil (Point Virgule, 5) pp. 129-133). L'on peut aussi choisir l'un des épisodes de L'histoire de France vue par SAN ANTONIO (Paris, Presses Pocket (289), pp. 303-306, par exemple), même si l'on n'y retrouve pas la finesse et l'économie de moyens propres a Topor.
Après la lecture d'un texte d'illustration, le professeur demandera aux élèves de choisir un épisode célèbre de l'histoire universelle ou même un récit ou un conte littéraire, connu de tous, et de le réécrire de façon comique : il faut cependant conserver le début et la fin cette histoire, ainsi que quelques faits saillants. Pour le reste, l'imagination se donnera libre cours. Ce travail pourra très bien se faire par petits groupes de trois ou quatre personnes.
Cet exercice, loin d'être innocent, est profondément "sacrilège" et tend à un renversement général des valeurs, le glorieux devenant ridicule, le sérieux comique, le noble vulgaire. Les élèves hésitent d'ailleurs souvent devant certaines audaces de leur imagination. Il faut dès lors bien insister sur le fait que la fiction autorise certaines libertés (avec la politesse, la décence, la morale, la vérité) inconnues dans un discours "sérieux" : le professeur devra d'ailleurs lui-même se méfier de ses propres réactions, car, si chacun tolère facilement qu'on se moque des croyances des autres, une telle tolérance est beaucoup plus rare lorsque ce sont ses propres certitudes qui sont mises en cause. Si la fiction permet aux élèves de s'exprimer beaucoup plus librement, sans tenir compte des contraintes habituelles du discours, on soulignera que cette liberté n'est pas absolue, mais bien relative au contexte littéraire : d'aucuns considèrent que l'oeuvre du marquis de Sade est géniale, mais personne n'a jamais affirmé qu'un sadisme gratuit et s'exerçant sur des victimes innocentes est une conduite honorable et respectable.
Par ailleurs, cette animation peut présenter de grosses difficultés pour des élèves trop jeunes dont les connaissances historiques sont encore très vagues et incertaines : dans ce cas, la parodie prendra plutôt comme objet des contes ou des fables, plus familiers aux enfants. Même avec des élèves plus âgés, le professeur aura sans doute intérêt à se munir d'un bon dictionnaire : rares sont ceux qui peuvent citer de mémoire les douze travaux d'Hercule ou le détail des campagnes napoléoniennes.
Un vieux légionnaire raconte, à son petit-fils, la merveilleuse histoire de Jules César :
"Je me rappelle, il y a une cinquantaine d'années, je traînais dans un bar de Rome, quand un jeune gaillard, dénommé Julius, offrit un pot à tous les clients. Ce Julius était tellement bourré qu'il nous dit :
"Si on allait conquérir les Gaules ?" Et tout le monde a crié en choeur :
"Ouais, Goal ! Goal !"
Le lendemain, je me retrouvais sur les chemins avec un pylône à la main et une plaque de four à l'autre. Je demandai à mon voisin ce qu'on foutait là; il me répondit qu'on allait voir un match de foot entre la Julius Roma et Cingétorix, du moins c'est ce qu'on lui avait dit. En moi-même, je pensais que c'était drôlement loin.
Une nuit, en passant par la forêt de Sherwood, une bande de supporters de l'équipe de Cingétorix nous sauta dessus, et on s'est cogné sauvagement pendant toute la nuit. Enfin, au petit matin, on arriva sur le terrain, mais là, surprise, pas de ballon : tout le monde se fâcha, et on se rentra tous dedans. Bientôt les supporters adverses furent refoulés et s'enfuirent à toutes jambes. Leur chef dut bien admettre sa défaite, et il remit ses armes à Julius. Ce fut émouvant, la coupe nous revenait donc, on pouvait enfin retourner à Rome en vainqueurs. Mais là, peu de gens nous attendaient, car ils râlaient tous de n'avoir pu suivre le match en direct, et ils faisaient la gueule à Julius.
Alors Julius décida d'inaugurer un comité monarchique dont il serait le chef, mais comme les gens l'énervaient, il devint dictatorial... Enfin, je ne me souviens plus très bien des détails. Malheureusement, un jour, Julius qui se rendait à un match, fut assassiné.
- As-tu vu le dernier film de Jane Birkin ?
- Non, pourquoi ?
- Parce que, où il y a de la Jane, il y a du plaisir.
- Oh la la, si Jeanne d'Arc t'entendait !
- Qui c'est, celle-là ?
- Ah, tu ne connais pas l'histoire, je vais te la raconter :
Jeanne d'Arc était une jeune bergère qui passait son temps dans les pâturages avec ses moutons. Un jour qu'elle était assise sur une butte, elle entendit soudain une voix qui criait : "Jeanneton, que fais-tu donc ? Rien Papa, je compte les moutons". À ce moment, elle réalisa que le monde avait besoin d'elle.
- Qu'est-ce qu'elle a fait ?
- Rien, absolument rien. Elle est restée dans son patelin en se disant : ici, j'ai du travail, pourquoi aller grossir la file du chômage ?
- Et cette voix ne l'a jamais rappelée ?
- Si, plusieurs fois. Mais elle l'avait prévu, et elle avait acheté des boules Quiès, afin de ne plus rien entendre.
- Et que faisait-elle pendant ses moments de loisir ?
- Elle était rédactrice en chef d'une campagne publicitaire pour cigarettes. Son slogan : Si vous voulez être dans le vent et entendre des voix, fumez...
- Oui, et alors, que s'est-il passé ?
La Fédération anti-tabac l'a condamnée à être brûlée sur un bûcher.
- Oh, c'est pas vrai !
- Ah si ! Ce sont les risques du métier. Il faut les consumer.
- Et personne n'a réagi ?
- Si, il y a plein de gens que la colère enflammait et qui ont dit :
Touche pas à mon pote...
- Et Jeanne, elle ne disait rien ?
- Ben d'abord, elle a demandé qui avait vendu la mèche.
- Quelqu'un s'est dénoncé ?
- Ben non !
- Et personne n'a crié ?
- Si. Il y a une fanatique du M.L.F. qui a crié : Tout feu, tout femme.
- Et Jeanne-d'Arc, elle n'a plus rien dit ?
- Ben, attends : si haut qu'on monte, on finit toujours par des... cendres.
- Et ses partisans, qu'est-ce qu'ils ont pensé de tout ça ?
- Ils ont dit que c'était dégoûtant de brûler une gauloise en public !
"Ma petite fille, pourrais-tu aller chez Mère-grand porter ce petit panier plein de pourri de nourriture, je veux dire.
- Oui, maman, j'y vais tout de suite, mais je vais d'abord me refaire une beauté."
Contrairement aux apparences, le petit Chaperon rouge allait gaillardement sur ses quinze ans, et était déjà une jeune fille très délurée.
"Elle m'énerve, pensa-t-elle, à toujours m'appeler ma petite fille. Est-ce que je l'appelle ma grand Maman, moi ? Enfin, quand faut y aller, faut y aller."
Voilà le petit Chaperon rouge parti sur les grands chemins de la forêt. Sa mère lui avait pourtant bien dit d'éviter ces lieux mal fréquentés. Au loin, elle voit le gentil loup.
" Oh, mais c'est mon petit poussin adoré, dit-elle.
- Je dois partir, je dois aller chez Mère-grand, dit-il.
- Mais moi aussi, ça tombe bien, nous allons pouvoir faire le chemin ensemble."
En disant cela, elle voulu poser la main sur... mais le loup se recula vivement en criant : "Mademoiselle, on n'a pas élevé les cochons ensemble.
- Eh bien, ne prends pas tes airs de sainte nitouche !"
Le loup rougit en ne sachant que répondre, et il fut obligé de faire le reste du chemin avec le petit Chaperon rouge. Quand ils arrivèrent chez la grand-mère, la jeune fille invita le loup à prendre une tasse de thé.
"Je vais déranger ta grand-mère, répliqua-t-il en pensant s'éclipser.
- Mais non, elle est malade, et dort dans une des chambres."
Après le goûter, le petit Chaperon rouge emmena le loup dans sa chambre, pour lui faire entendre des disques. Ils s'assirent sur le lit, puis la jeune fille obligea le loup à se coucher, en le menaçant de réveiller grand-mère :
- Comme tu as de grands yeux !
- C'est pour mieux te voir, mon enfant.
- Comme tu as de grandes oreilles !
- C'est pour mieux t'entendre, mon enfant
- Comme tu as une grande queue !
- C'est...
- Je suppose que c'est pour mieux me baiser, mon cher loup !"
Le pauvre animal ne savait plus comment s'en débarrasser. Une petite adolescente, ça ne devait pas être mauvais ! Bonne idée, se dit-il. Et il se jeta sur le petit Chaperon rouge, et la mangea.(Élèves du second cycle de l'enseignement secondaire.)
La parodie de l'histoire ou des histoires célèbres est devenue un véritable genre de la littérature, du cinéma ou de la bande dessinée. Nous ne citerons que deux textes, moins célèbres que d'autres, mais peut-être plus subtils, " Une histoire vraie" de Roald DAHL (Kiss Kiss, Paris, Gallimard (Folio, 1029), pp. 204-212) et "Pauvre petit garçon" de Dino BUZZATI (Le K, Paris, Le Livre de Poche (2535); pp. 80-86) : ces nouvelles racontent l'histoire d'un bébé prêt à mourir au grand désespoir de sa mère et les souffrances qu'infligent des garnements à un enfant disgracié physiquement; à la fin du texte, le lecteur apprend que ce pauvre enfant s'appelle Adolf Hitler. L'habileté romanesque dépasse ici largement le cadre de la parodie.
Plus fondamentalement, cette animation entraîne une interrogation sur l'écriture de l'histoire et le point de vue, souvent limité, qu'elle adopte sur son objet : La Guerre des Gaules de César vaut-elle vraiment mieux que le récit d'un simple légionnaire ? La littérature, avant certaines formes récentes de l'histoire, a souvent privilégié un point de vue moins " officiel " sur les événements : on se souvient évidemment du récit de Fabrice del Dongo à Waterloo, dans La Chartreuse de Parme de Stendhal, ou des tribulations de Bardamu pendant la grande guerre dans Voyage au bout de la nuit de Céline.
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Le langage permet, on le sait bien, de parler pour ne rien dire, et nombre d'écrivains ont usé, sinon abusé, de cette capacité, même si ce "délire" verbal pouvait prendre, à un second niveau, une signification plus profonde que la seule dérision. L'exercice suppose cependant une parfaite maîtrise linguistique et n'a que l'apparence de la facilité.
Parler pour ne rien dire est un exercice qui a séduit beaucoup d'humoristes, notamment Raymond DEVOS (Sens dessus dessous. Paris, Le Livre de Poche (5102), pp. 73-75) et Pierre DAC (L'os à moelle. Paris, Le Livre de Poche (3937), p. 150). Alphonse ALLAIS a, quant à lui, fourni un bel exemple de la manière de vendre du vent ou d'exploiter le bleu du ciel comme source de teinture ("Excellente idée" dans Contes. Paris, Presses de la Renaissance (Club Géant), 1972, pp. 147-149).
Il s'agit ici d'écrire un texte publicitaire vantant les mérites d'un "produit" invendable le vent, la bonne humeur, le temps, le passé, l'être, le néant, les mots, l'espoir, les nuages, Dieu, le vide, le plein, les souvenirs oubliés... Il n'y a donc pas, dans ce texte, d'invention du "produit" comme dans le catalogue des objets introuvables l'imagination doit se concentrer sur les avantages, fictifs bien sûr, qu'il est possible de trouver à une réalité (ou une "non-réalité" comme le néant) par ailleurs bien connue.
Pour la recherche de qualités publicitaires, le procédé le plus simple consiste à trouver dans un premier temps le maximum d'expressions courantes qui reprennent le mot ou la chose à vendre ainsi, si l'on a décidé de ne rien vendre, il faut sans doute se rappeler qu'il suffit d'un petit rien pour être heureux, et qu'il vaut mieux ne rien avoir qu'être un moins que rien. Certaines de ces locutions peuvent fournir un bon argument de vente, argument qui, bien sûr, reposera toujours sur un jeu de mots et donc sur l'humour.
Outre les différentes utilisations absurdes du produit, on insistera sur la qualité même de la marchandise proposée le néant sera garanti pur de toute trace d'être, le passé remis à l'état neuf, les nuages cent pour cent naturels...
D'autres effets comiques peuvent être facilement obtenus en détaillant les caractéristiques du produit, les tailles disponibles, les différents modèles adaptés aux besoins spécifiques de chacun le vide se débitera au mètre ou au kilo, et les souvenirs se diviseront en bons et en mauvais selon le caractère optimiste ou pessimiste du client.
Enfin, une attention particulière sera apportée au style publicitaire qui apostrophe le lecteur, privilégie les phrases courtes et multiplie les points d'exclamation.
Le déroulement de l'animation est fort simple après lecture des textes d'illustration et explication du procédé, le professeur invitera les élèves à se répartir en petits groupes, à choisir un thème et à en faire la publicité. En cours de rédaction, si un blocage apparaît, il pourra toujours rappeler les trois principaux moyens qui viennent d'être cités la recherche d'expressions figées permettant de trouver des utilisations inédites de l'objet, l'affirmation des qualités du produit et la description de ses différents modèles.
Enfin, la neige au bon moment.
Ce n'est pas au milieu de l'hiver, quand nous avons froid et que nous claquons des dents, que nous avons envie de voir la neige. Mais c'est en plein été, au moment où nous transpirons et où nous nous desséchons, qu'on souhaiterait un peu de fraîcheur.
Lorsque vous allez à la plage et qu'il fait quarante degrés à l'ombre, n'oubliez jamais votre petit seau de neige, non seulement pour vous rafraîchir, mais aussi pour amuser de façon originale vos camarades de plage canardez-les à coup de boules de neige au moment où ils s'y attendent le moins. Vous serez étonnés de leurs chaudes réactions. Vous pouvez également remplacer l'eau de la piscine par de la neige poudreuse, où vous pousserez vos camarades qui s'ébattront avec joie.
Nous avons également un modèle de neige intérieure, spécialement conçue pour rafraîchir les lits en été.
Nos catalogues imprimés sur papier glacé sont disponibles dans toutes nos agences. Une pièce conditionnée à moins vingt degrés vous est réservée, mais rassurez-vous, il y a un radiateur pour vous permettre une lecture aussi agréable que possible.(Élèves du second cycle de l'enseignement secondaire.)
Le brouillard gênant ? Quelle erreur Vous n'imaginez pas tous les services qu'il peut vous rendre.
Footballeurs, vous avez fait la fête, vous n'êtes pas en forme le jour du championnat. Qu'importe ! Vous installez une couche de brouillard au-dessus du stade, et les adversaires y perdent leur ballon.
Automobilistes, justifiez votre retard par une bonne purée de pois.
Écoliers, facilitez vos expériences sexuelles, en enveloppant de brume les vestiaires et les douches.
Voleurs, vous souhaitez échapper à vos poursuivants, disposez autour de vous quelques kilomètres de brouillard.
Enfin, assassins, tuez à l'aise, une nappe de brume déroutera les témoins.
Brouillard disponible en toutes dimensions.
Quelques conseils techniques :
Pour l'intérieur : 60 m3. L'isolation est conseillée.
Pour stades et autoroutes : dimensions à fournir au vendeur.
Brouillard neuf : 200 F. le m3.
Brouillard de réemploi :100 F. le m3.
Odeur disponible pour un supplément de 10 F. par m3.
Vous, les gens timides, vous sur les pieds desquels on marche toujours dans les autobus, vous qui n'obtenez jamais une promotion, vous que le service militaire terrorise, cessez d'être doux et dociles grâce à notre élixir miracle. Cet élixir miracle est uniquement composé de produits naturels : un brin de mensonge, quelques grammes d'agressivité, quelques molécules de vanité et d'hypocrisie, le tout parfumé à l'ortie et au venin de cobra.
Si vous n'avez pas au moins cassé une côte à votre voisin dans la semaine qui suit, notre produit vous sera remboursé. Cet élixir existe en faibles concentrations pour les enfants en bas âge.
On dit toujours que le temps perdu ne se rattrape jamais. Or nos techniciens ont réussi une performance inouïe : non seulement, ils l'ont rattrapé, mais ils l'ont concentré en petits comprimés.
Ces heures gaspillées en papotages, en attentes vaines, en inactivités diverses, elles sont là dans un flacon, prêtes à l'emploi pour un prix modique, car le temps, c'est quand même un peu d'argent.
Prenez donc, grâce à nos pilules, le temps d'aimer, celui des cerises et celui d'apprendre à vivre. Pour vous, il ne sera plus jamais trop tard !(Élèves du troisième cycle de l'enseignement secondaire.)
Cette animation permet d'approcher un phénomène important de la littérature moderne, le détournement de discours isolés de leur contexte normal ou habituel : l'écrivain recueille des phrases ou des morceaux de phrases dans des situations aussi diverses que possible, conversations courantes, messages publicitaires, propos de salon ou de café, débats politiques, arguments philosophiques, et recompose avec ces bribes et morceaux un nouveau texte, comique, absurde ou même simplement réaliste (le collage fonctionnant alors comme une image de la multiplicité des messages que le sujet peut recevoir dans la vie quotidienne d'aujourd'hui). Dans un tel texte, le langage n'est évidemment plus utilisé dans un but immédiatement référentiel ou dans l'intention de communiquer une signification claire mais plutôt d'une façon ludique, jouant sur les rencontres hasardeuses et délirantes entre les mots, renvoyant négativement et souvent parodiquement aux conventions habituelles du discours. La fin de la Cantatrice Chauve d'Eugène IONESCO est un exemple célèbre de cette pratique (Paris, Gallimard (Folio, 236), pp. 75-80), mais L'Impromptu de l'Alma, du même IONESCO, parodie, de manière spécifique, les propos souvent dogmatiques de la critique moderne (Paris, Gallimard Folio, 401).
Très proches de cette animation sont aussi les exercices de " Publicité transfigurée" de Paul NOUGÉ (Fragments. Bruxelles, Labor (Espace Nord, 7), pp. 43-73), qui énonce des vérités " philosophiques" ou "poétiques" dans le style des annonces commerciales.
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1 En Belgique, l'enseignement secondaire regroupe normalement les enfants de douze à dix-huit ans, et est divisé en trois cycles (dits d'observation, d'orientation et de détermination) de deux années : le premier cycle désigne donc des élèves ayant entre douze et quatorze ans, et ainsi de suite (s'ils n'ont pas redoublé). [Cliquez ici pour revenir au texte principal]
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