Caméra d’Or au Festival de Cannes 2019
Après Lukas Dhont pour Girl (un autre film belge), César Díaz a remporté cette année la Caméra d’Or, qui récompense le meilleur premier film au festival de Cannes. Mêlant brillamment l’intime et le politique, Nuestras madres revient sur les traumatismes liés à l’histoire guatémaltèque
De notre côté du globe, nous connaissons fort peu cette histoire, celle de la guerre civile au Guatemala qui opposa, des années 1960 au milieu des années 1990, plusieurs guérillas marxistes au gouvernement. Mais peu importent finalement les origines et l’endroit du conflit. Quand il s’agit de rébellions populaires face aux répressions gouvernementales, de conflits armés et de violences inouïes, les récits sont malheureusement souvent identiques, et les traumatismes qu’ils engendrent sur un peuple et ses futures générations le sont tout autant. Sans gommer le caractère propre de l’histoire du Guatemala, César Díaz nous y transporte par la bande, à travers le personnage d’Ernesto, jeune anthropologue dont le père, ancien guérillero, fut probablement tué durant la guerre, sans que son corps ait jamais été retrouvé… Laissant un enfant en quête de réponses et d’apaisement face à la mort d’un père dont il n’a jamais pu faire le deuil.
Nous sommes en 2018 et sur les postes de radio et de télévision on ne parle que des procès des militaires responsables de la guerre civile, tandis que dans tout le pays, on découvre chaque jour de nouvelles fosses communes creusées à l’époque par les autorités pour y enfouir les corps des combattants rebelles. Justement, Ernesto travaille pour la fondation médico-légale et est chargé d’identifier les corps exhumés de ces fosses, cherchant à travers son travail à réajuster les pièces d’une mémoire familiale qui lui manque cruellement. Un jour, le récit d’une vieille femme l’amène à penser qu’il a peut-être retrouvé la trace de son père. Contre l’avis de sa mère, il plonge à corps perdu dans le dossier, à la recherche de la vérité et de la résilience…
S’il s’agit de son premier film en tant que réalisateur, César Díaz a déjà une longue carrière de monteur, durant laquelle il a notamment travaillé avec des réalisateurs tels que Jayro Bustamante (Tremblements, Ixcanul) ou encore Alejandro González Iñárritu, rien de moins ! Il signe une première œuvre incroyable, parvenant, sans en faire un film-fleuve, à nous immerger dans une histoire située sur plusieurs décennies. Les conflits sont terminés, mais l’heure de l’après, de la justice, a désormais sonné. Que fait-on des fantômes du passé ? Comment réconcilier un peuple avec son histoire ? Réparer les injustices ? Si les autorités cherchent encore une réponse, le jeune cinéaste en énonce une à sa façon : en créant une œuvre qui rend hommage à toutes les victimes. Il dédie son film à « nos mères », toutes ces femmes qui ont enterré leur mari, leurs enfants, qui ont été battues et violées, et dont les voix sont restées bien trop longtemps endormies.
ALICIA DEL PUPPO, LES GRIGNOUX
Une analyse plus fouillée de ce film est disponible (gratuitement) dans notre catalogue de publications en éducation permanente.