Bayard d'Or au FIFF 2018
Documentaire remarqué (Bayard d’or au festival de Namur 2018) et remarquable, M. est une plongée vertigineuse dans l’intimité de Menahem, qui retourne où il a grandi, chez les Juifs ultras orthodoxes, dans cette ville de Bneï Brak où il a été un enfant victime de violences sexuelles. Bouleversant
La réalisatrice Yolande Zauberman le confie au début : « J’entre dans le monde de mes ancêtres à travers une blessure, celle de Menahem. » Le monde de ses ancêtres ? Celui des hommes en noir, juifs, ultra-orthodoxes, ceux de Bneï Brak, la capitale mondiale des haredim, littéralement les « Craignant-Dieu », plus composites et complexes qu’il n’y paraît sous les tenues faussement uniformes. Un monde effarant, qui n’ose pas regarder une femme dévêtue, où chaque moment d’intimité avec ces êtres impurs est calibré, enseveli dans la plus sombre obscurité. Ce monde qui suffoque à force de ne pouvoir respirer, prêt à imploser à la moindre étincelle, c’est aussi celui de l’enfance de Menahem. Celui vers lequel le jeune homme retourne comme vers une impossible réconciliation. Il se souvient de la moiteur des bains, des ablutions entre hommes, soudain troublés, propulsés par un irrépressible tourbillon de sensualité, de désirs inavouables. Il se souvient de ces membres virils, comme aimantés par la chair fraîche, incapables de dominer leurs pulsions, trop forts pour être repoussés par un petit garçon.
Menahem est un personnage haut en couleur, drôle, extraverti. Pourtant sous ses allures un brin délurées, on devine les cicatrices mal refermées. D’abord intimidé, il gagne peu à peu en assurance au contact de Yolande Zauberman. Cet être assoiffé de justice vient réclamer à sa communauté la reconnaissance de sa souffrance, l’obliger à entendre sa vérité d’enfant violé.
L’homme progressivement nous épate, par sa liberté de ton, par son courage. La réalisatrice aussi, par la qualité de son attention, par sa douceur tranchante. L’un et l’autre non violents, malgré la rage rentrée, le venin qui les ronge. L’un et l’autre dignes, admirables. Ne cédant pas à la haine, ne refoulant pas la tendresse qui monte envers cette communauté malgré tout aimée. La caméra pénètre toujours plus profondément dans l’intimité de Menahem, respectueusement, sans la violenter. On s’étonne de découvrir ce microcosme masculin, tellement tactile, ses danses endiablées, très éloignées des clichés réchauffés qu’on peut s’en faire. Une parole jubilatoire, libératrice qui va en entraîner d’autres, réparer les vivants, du moins leur permettre de relever la tête pour conjurer la honte qui les empoisonne, briser les cercles vicieux qui les entravent. Laver les enfances souillées…