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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Super Size Me
de Morgan Spurlock
USA, 2003, 1h38

Le dossier pédagogique dont on trouvera un court extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film Super Size Me avec leurs élèves (entre treize et dix-huit ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en œuvre en classe après la vision du film.

Comment va la santé, Morgan Spurlock?

Pourquoi Morgan Spurlock a-t-il choisi de faire un film comme Super Size Me? La réponse semble évidente — dénoncer la mauvaise qualité nutritionnelle de la nourriture des «fast-foods» et des McDonald's® en particulier —, mais, à la réflexion, le projet de Morgan Spurlock apparaît plus problématique: pourquoi manger pendant trente jours uniquement chez McDonald's, ce qu'aucun consommateur, même le plus boulimique, n'a jamais fait? Pourquoi risquer sa vie (selon l'avis des médecins) et avoir prolongé l'expérience alors qu'après deux ou trois semaines, la preuve était faite du caractère néfaste d'une telle alimentation? Pourquoi d'ailleurs se mettre en scène et ne pas avoir simplement fait un documentaire avec des avis d'experts nutritionnistes? Qu'est-ce que cette «expérimentation» du réalisateur sur lui-même a comme effet sur la construction du film et sur son sens?... Ces questions portent, on le voit, aussi bien sur la forme du film que sur son contenu et interrogent ce qu'on pourrait appeler le «projet créateur» du cinéaste.

Le projet créateur

Répondre à la question «pourquoi le cinéaste a-t-il fait ce film?» revient à définir son projet créateur. Plusieurs précisions doivent cependant immédiatement être apportées à ce propos. Le projet créateur ne se résume pas à l'intention explicite du cinéaste, telle que celui-ci peut l'exposer par exemple dans des interviews. Un cinéaste — comme la plupart des artistes et comme la plupart d'entre nous — agit pour une grande part de manière intuitive, et les raisons qui le motivent dans ses différents choix restent largement informulées, vagues et, pour certaines d'entre elles, inconscientes. La psychanalyse ou la sociologie nous ont en effet appris que nos motivations sont souvent multiples, complexes et parfois contradictoires et de ce fait plus ou moins profondément refoulées. Définir le projet créateur d'un cinéaste implique donc, pour le spectateur, un travail de reconstruction, nécessairement hypothétique, en fonction du film mais également de ce qu'il sait de son auteur et du contexte (social, politique, culturel, psychologique, humain...) où ce film est apparu.

Cette reconstruction peut donc mettre au jour des motivations complexes qui feront éclater l'unité apparente d'un projet créateur comme celui de Morgan Spurlock, à savoir «dénoncer la mauvaise qualité nutritionnelle des fast-foods»: l'on doit par exemple s'interroger sur les raisons qui ont poussé Morgan Spurlock à se mettre lui-même en scène, à tenter cette expérience absurde (au moins par certains aspects) mais également à utiliser cette forme cinématographique originale mêlant images de toutes provenances, témoignages, interviews et images presque intimes de lui-même. Sans être trop soupçonneux, l'on remarquera qu'il y a certainement une part d'exhibitionnisme (le toucher rectal), de provocation (le vomi), de jeu (toujours prendre le «Super Size» quand il est proposé), de masochisme (continuer l'expérience jusqu'au bout) dans l'entreprise de Morgan Spurlock. On continuera cependant à parler de projet créateur dans la mesure où l'interprétation se situe au niveau d'ensemble du film et procède par un mouvement «descendant» du plan global vers les éléments locaux: on se posera par exemple la question «pourquoi Morgan Spurlock utilise-t-il une caméra portée?» avant de s'interroger plus avant sur l'utilisation de cette caméra portée dans tel plan ou dans telle séquence.

Par ailleurs, l'interprétation du projet créateur se situe bien au niveau des intentions et non pas des faits objectifs: à la question «pourquoi Morgan Spurlock couvre-t-il la carte de Manhattan de petits drapeaux McDonald's?», la réponse «parce que c'est là que la densité de restaurants McDonald's est la plus élevée au monde» est inadéquate car elle ne tient compte que de la réalité objective; une réponse du type «Morgan Spurlock veut rendre particulièrement visible au spectateur le nombre incroyable de McDonald's à New York» serait plus juste car elle explicite les intentions (supposées) du réalisateur.

Morgan Spurlock et le cinéma

La question directrice de cette animation pourrait donc être très simplement:
Pourquoi Morgan Spurlock a-t-il choisi de faire ce film?

Trop générale cependant, cette question ne suscitera que des réponses banales et évidentes, et d'autres questions plus précises seront sans aucun doute nécessaires pour permettre d'approfondir la réflexion. Ainsi:

Était-il nécessaire de faire un film pour prouver que la nourriture des fast-foods est mal équilibrée d'un point de vue diététique? Est-ce qu'il n'y a pas assez d'enquêtes scientifiques qui prouvent déjà à suffisance cet état de fait? Êtes-vous plus impressionné par le film de Morgan Spurlock que par le discours d'un expert en diététique? Et, de manière générale, est-ce que vous faites confiance aux «experts»?

La crise des experts

Super Size Me repose en fait sur une confrontation de discours: discours de McDonald's, discours d'experts divers, discours de témoins de toutes origines, discours des tribunaux qui ont estimé que McDonald's n'était pas responsable de l'obésité des plaignants... Cette confrontation peut laisser une impression de grande confusion dont le film rend compte mais qui est aussi à l'origine même du projet de Morgan Spurlock: qui a raison? qui se trompe ou qui essaie de tromper l'autre? comment connaître la vérité? L'«expérience» de Morgan Spurlock apparaît donc comme une réponse à cette confusion: puisque tout le monde dit des choses contradictoires, j'essaie par moi-même... Cette expérience n'a rien de scientifique (voir l'encadré page 12 du dossier imprimé non reproduite sur cette page WEB), mais elle permet au cinéaste de se faire une opinion par lui-même, d'acquérir une certitude subjective malgré la confusion apparente des «experts».

De façon plus large, on peut donc interpréter le projet de Morgan Spurlock de la façon suivante: comment se faire une opinion dans une société (démocratique) qui est précisément caractérisée par la diversité parfois contradictoire des opinions? Et il répond à cette question par l'expérimentation individuelle.

[...]

 

Le goût du risque

Dans l'organisation générale de Super Size Me, c'est l'expérience individuelle de Morgan Spurlock qui joue le rôle principal. Comment comprendre alors cette expérience et quel crédit lui accorder?

De nouvelles questions devraient permettre de relancer le débat à ce propos:

Était-il nécessaire que Morgan Spurlock risque sa vie pour prouver que la nourriture des McDonald's est déséquilibrée? S'il n'avait pas fait et tenu ce pari, est-ce que le film aurait été aussi intéressant? Pourquoi prolonge-t-il l'expérience au-delà du vingt-et-unième jour alors que la preuve est déjà faite que son taux de cholestérol explose et qu'il a pris une dizaine de kilos? Quand on a fait un pari, doit-on nécessairement aller jusqu'au bout? Est-ce que vous avez déjà vu — au cinéma ou à la télévision — le même genre d'expérience ou de pari plus ou moins absurde?

De façon un peu brutale, l'on peut dire que Morgan Spurlock risque sa santé pour promouvoir la vie saine autour de lui! Ou encore qu'il est prêt à devenir un «martyr» de la santé comme d'autres deviennent des martyrs de causes qu'ils estiment justes ou sacrées... De manière un peu différente, l'on peut rapprocher ce film de toutes sortes de paris plus ou moins absurdes comme ceux que l'on trouve dans le «Livre des records» (Guinness Book) ou encore dans des émissions comme «Jackass» qui connaît un énorme succès sur MTV. La comparaison avec cette émission bien connue des jeunes spectateurs est sans doute fort éclairante: dans les deux cas, il s'agit de paris plus ou moins absurdes (faire du surf dans l'escalier...), où les acteurs se mettent en scène de façon risquée (ils prennent des coups, se font mal, se retrouvent couverts de plaies et de bosses), s'exhibent souvent de façon ridicule, transforment en exploit une expérience qui semble, aux yeux des autres, absurde et irrationnelle (sinon carrément stupide).

Dans cette perspective, l'on voit qu'il faut distinguer dans le projet de Morgan Spurlock les raisons explicites — prouver que la nourriture des fast-foods est mal équilibrée — des raisons implicites et plus confuses: il y a vraisemblablement dans le chef de Morgan Spurlock une volonté de provocation — David contre le géant McDonald's —, de dérision, d'exhibition mais également comme on vient de le voir le désir de prendre des risques, de tester ses propres limites, de soumettre son propre corps à une expérience extrême qui pourrait d'ailleurs se révéler dangereuse...

Il serait évidemment intéressant de demander d'abord aux jeunes participants s'ils partagent cette analyse et ensuite si eux-mêmes ont déjà éprouvé un tel désir d'expérimenter leurs propres limites ou encore de soumettre leur corps à une épreuve plus ou moins douloureuse: on peut penser à des phénomènes aussi différents que le piercing ou le tatouage, mais aussi les beuveries suscitées souvent par des paris plus ou moins stupides, les sports extrêmes (le saut à l'élastique...), les attractions foraines spectaculaires, certaines formes de boulimies, la pratique intensive d'un sport de compétition (qui entraîne de fréquentes blessures) ou même le simple fait de «chercher la bagarre»... Chacun de nous pourrait sans doute raconter une expérience de ce genre1 qui représente un risque plus ou moins grand pour notre santé: ce serait donc l'occasion de s'interroger sur les raisons d'un tel comportement qui va à l'encontre de notre supposé bien-être mais auquel nous accordons par ailleurs une grande importance (ce sont des expériences que l'on aime souvent raconter). Pour beaucoup, ce sont de telles expériences qui donnent précisément de la valeur à la vie, qui, sans cela, risquerait d'apparaître comme bien morne et sans relief. La question est bien sûr de trouver un équilibre entre le plaisir lié à de telles expériences et le risque qu'elles font éventuellement courir à nous-mêmes ou à d'autres (rouler en état d'ivresse ou à grande vitesse met évidemment en danger la vie des autres usagers de la route).

Après une discussion collective, les participants seraient invités à rédiger individuellement un texte permettant à chacun d'exposer — de façon anonyme — une expérience de ce type. L'enseignant ou l'animateur recueillera ensuite ces textes pour en faire une publication collective (en veillant cependant à ce qu'on ne puisse pas en reconnaître les auteurs). Certains de ces récits pourraient également faire l'objet d'une nouvelle réflexion collective pour essayer d'expliciter les raisons qui nous poussent à adopter de tels comportements: les rédactions individuelle auront en effet peut-être fait apparaître des gestes inattendus, susceptibles de relancer le débat. L'objectif, on le voit, ne sera pas «moraliser» les comportements (ou de les «normaliser») mais de favoriser une prise de conscience de nos motivations plus ou moins inconscientes comme celles qu'on a relevées dans le film de Morgan Spurlock.


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