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Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
Welcome
de Philippe Lioret
France, 2009, 1 h 50

L'analyse proposée ici s'adresse à des animateurs qui verront le film Welcome avec un large public et qui souhaitent approfondir avec les spectateurs les principaux thèmes du film. Cette analyse pourra être menée sous forme de débat avec des groupes de spectateurs : si l'objectif est bien de faire progresser la réflexion des uns et des autres à ce propos, on veillera cependant à laisser aux participants une part active et une nécessaire liberté dans l'interprétation du film.

Le film

À Calais, de nombreux immigrants plus ou moins clandestins tentent de passer en Grande-Bretagne en se cachant notamment dans les camions transportés par les ferries. Mais la répression policière est partout présente, et la justice aussi sommaire qu'expéditive. C'est dans ce contexte que Simon, maître nageur à la piscine, commence à s'intéresser à un jeune Kurde qui veut prendre des leçons intensives de natation : Simon comprend rapidement que le jeune homme a conçu le projet de traverser la Manche à la nage. Mais voyant les falaises de Douvres à l'horizon, il n'imagine pas la difficulté ni les dangers d'une telle équipée.

Welcome est un film politique au sens le plus fort et le plus noble du terme puisqu'il pose la question de l'immigration clandestine, constamment occultée dans les pays européens. Alors que la plupart des gouvernements mêlent la répression à une stratégie du pourrissement, obligeant des hommes et des femmes à une errance sans fin aux marges de la société, beaucoup de citoyens s'offusquent d'une telle situation, et, au nom de la simple humanité, viennent en aide à des clandestins en détresse. Mais ils deviennent à leur tour les cibles désignées de la répression policière. C'est à ces atteintes répétées aux Droits de l'Homme que s'en prend ce film généreux et lucide.

Une affaire de loi, une question de morale

Pour la plupart d'entre nous, l'afflux de réfugiés clandestins en Europe reste un problème relativement abstrait et éloigné, que nous vivons indirectement via les médias qui relayent les actions menées pour leur régularisation mais aussi les accidents souvent dramatiques dont ils sont victimes au cours de leur exode. Par contre, la position à la fois stratégique et «butoir» qu'occupe la ville de Calais dans le parcours de ces exilés en route pour la Grande-Bretagne y rend leur présence beaucoup plus massive et visible qu'ailleurs, ce qui donne au problème un caractère concret et exacerbé qu'on ne retrouve pas dans la plupart des villes continentales. Welcome explore donc de manière approfondie une thématique actuelle importante que nous proposons d'aborder avec les (jeunes) spectateurs en les invitant à s'intéresser au point de vue des principaux personnages du film, amenés à côtoyer quotidiennement — et dans le contexte d'une loi particulièrement répressive — la population des réfugiés.

En pratique: les différents points de vue

Dans la perspective de bien cerner ce problème et la question morale qu'il soulève, demandons aux participants, répartis en petits groupes, de décrire le point de vue des différentes personnes ou instances qui interviennent dans le film (encadré 1, ci-dessous). Rappelons qui sont ces principaux intervenants en leur en fournissant une liste et demandons-leur à combien de reprises ceux-ci interviennent, dans quelles circonstances et pour quelles raisons; demandons-leur aussi de réfléchir à leurs motivations profondes et de trouver l'un ou l'autre argument qu'ils pourraient avancer pour justifier leur attitude dans le film. En guise d'alternative, on pourra alléger l'activité en confiant un seul des huit personnages à de petites équipes de deux ou trois participants.

La réflexion sera suivie d'une discussion en grand groupe où seront échangés les résultats de l'analyse, réflexion qui pourra aussi se nourrir des commentaires développés dans l'encadré 2. Ces commentaires ne doivent pas être considérés comme des modèles mais comme des incitants à la réflexion et au débat.

1. Welcome: qui intervient et comment?

À Calais, la proportion de réfugiés par rapport aux habitants est beaucoup plus importante que dans les autres villes, ce qui induit un rapport particulier entre les deux types de populations amenées à se côtoyer dans un certain nombre de situations de la vie quotidienne. Décrivez le point de vue des principaux intervenants du film en répondant, pour chacun d'entre eux, aux questions suivantes:

  • Quelle est la nature de leur(s) intervention(s)? Quel est l'impact de cette (ces) intervention(s) sur les réfugiés?
  • Dans quelles circonstances et / ou pour quelles raisons interviennent-ils?
  • Quelles sont leurs motivations? Quel est éventuellement l'intérêt personnel qu'ils ont à réagir comme ils le font?
  • Quels sont les arguments que chacun pourrait avancer pour justifier son attitude?
Les principaux intervenants du film
  • le juge, qui règle sommairement le cas de Bilal;
  • les policiers;
  • le gardien du supermarché où Simon et Marion se rencontrent par hasard;
  • Marion, et plus généralement les bénévoles de l'association pour laquelle elle travaille;
  • Simon;
  • le voisin de palier de Simon;
  • Alain, le collègue de Simon, qui travaille à la piscine avec lui;
  • le promeneur au chien que Simon rencontre sur la plage.

*

2. Commentaires

La présence des réfugiés à Calais — clandestine mais visible, plus ou moins massive, mouvante et non ancrée — a pour effet principal l'exacerbation des réactions des uns et des autres à l'égard de la problématique en général et vis-à-vis des individus qui l'incarnent en particulier. De l'indifférence au soutien plus ou moins ouvert en passant par la dénonciation ou l'acharnement, le film offre un éventail représentatif des différentes attitudes qui peuvent se manifester à l'égard de cette population, plongée dans le plus grand dénuement matériel mais aussi psychologique et moral.

La loi et ses représentants

Le juge

Le juge intervient dans le cadre de sa profession, qui consiste à examiner et éventuellement sanctionner les auteurs d'infractions à la loi. En tant que représentant de cette loi, le juge devant lequel Bilal comparaît après l'échec de sa première tentative de passage clandestin en Angleterre, énonce un verdict qui met bien en évidence (et de manière très concise) la substance de cette loi: comme il est ressortissant d'un pays en guerre, Bilal échappe aux mesures de reconduite à la frontière; et comme il n'a pas d'antécédents, il ne sera pas non plus placé en centre de rétention. Le juge l'encourage pourtant à regagner son pays de son plein gré car maintenant c'est fini, on ne passe plus en Angleterre.

Quant à l'avocat de Bilal, censé faire valoir ses droits, il évoque une autre disposition importante que la loi prévoit à l'égard des mineurs qui peuvent, à ce titre, bénéficier d'un hébergement en foyer. Le juge ne prête cependant aucune attention à cette remarque, arguant du fait que «ce n'est pas ça qu'ils veulent». Et en effet, ce n'est pas cela que cherche Bilal, qui tente de mettre tout en œuvre pour passer en Angleterre le plus rapidement possible.

Mais l'attitude expéditive du juge et le manque de conviction de l'avocat qui n'insiste pas montrent bien que la justice en tant qu'institution se contente d'appliquer ou d'évoquer la loi de manière purement mécanique, traitant les cas «à la chaîne» et sans prendre en compte les différents problèmes humains que masque l'étiquette «étranger en situation irrégulière». Pour Bilal, l'infraction à la loi ne donne lieu à aucune sanction (reconduite à la frontière, centre de rétention), et le jeune est tout bonnement renvoyé à la rue, la justice venant cautionner en quelque sorte la «normalité» d'une situation pourtant anormale, sans issue et des plus précaires.

À leur corps défendant, les magistrats pourraient invoquer, pour expliquer ce genre de mesures, des arguments comme une loi dont ils ne sont pas responsables, l'absence d'une prise en charge globale et cohérente du problème au niveau de l'ensemble de la société, une accumulation des dossiers répressifs qui contraint à l'urgence…

Les policiers

Les policiers interviennent dans le film à plusieurs reprises; leur métier consiste à faire respecter la loi en surveillant les voies de passage clandestin, en procédant à des arrestations, à des interpellations de personnes en situation irrégulière mais aussi de personnes qui leur viennent en aide, à répondre par une enquête aux dénonciations éventuelles… La police des frontières intervient une première fois au début du film, lorsque Bilal et les autres passagers clandestins du camion prêt à la traversée sont repérés et arrêtés; l'interpellation de Bilal donne lieu à une prise d'empreintes digitales et au marquage d'un numéro au dos de sa main; un policier profite des circonstances pour déchirer la photo de Mina en deux

.

C'est Simon qui est ensuite convoqué au commissariat parce qu'il a été vu en train de charger des migrants en situation irrégulière; le policier lui fait remarquer que c'est un délit: «En les aidant, vous en faites venir d'autres!» dit-il, et il ajoute: «On me paye pour que la ville ne devienne pas un camp de réfugiés!»; plus tard, alors que Simon recherche Bilal à l'endroit où sont distribués des repas chauds, les bénévoles lui apprennent que la police a dispersé les réfugiés à l'aide de gaz lacrymogènes, juste pour les «empêcher de bouffer»; la police intervient encore en débarquant chez Simon à l'aube; ils fouillent l'appartement en espérant y trouver Bilal: «La prochaine fois, on passera plus tôt!», dit l'un des policiers; plus tard, un autre annonce à Simon qu'on a repêché «son fils»: comme il entraîne Bilal dans la perspective de l'aider à traverser la Manche à la nage — il a été vu lui donnant des leçons de natation à la piscine —, il sera poursuivi comme passeur et Marion, membre bénévole d'une association d'aide aux réfugiés, comme complice: «Ça fait des mois qu'on me demande de mouiller des bénévoles, Monsieur Calmat… on me lâche pas avec ça… et là, grâce à vous, je vais enfin pouvoir les coincer… enfin une!» Placé sous contrôle judiciaire, Simon ne peut pas quitter le département et doit venir au commissariat tous les jours pour y signer le registre.

Les circonstances du film où les policiers interviennent sont donc nombreuses, constituant un bon indicateur de leur omniprésence sur le terrain; leurs actions ont pour but de faire respecter la loi, mais un peu d'analyse montre aussi qu'ils vont bien souvent au-delà de leur mission en se livrant à des actes gratuits comme, par exemple, le fait de déchirer la photo de Mina ou encore de disperser les réfugiés à l'aide de gaz lacrymogènes, un geste qui constitue par ailleurs une manœuvre d'intimidation évidente à l'égard des associations qui distribuent les repas chauds. Enfin, l'attitude du commissaire qui utilise les cours de natation donnés à Bilal pour assimiler Simon à un passeur et Marion à sa complice (ceci sans tenir compte du fait qu'ils sont maintenant séparés) indique une volonté claire d'utiliser le flou de la loi sur la notion de passeur pour mettre la pression sur quiconque serait tenté d'apporter de l'aide aux réfugiés, qu'il s'agisse de simples individus comme Simon ou d'associations comme celle au sein de laquelle Marion fait du bénévolat.

En cela, les policiers exercent une fonction de répression mais aussi de dissuasion en maintenant un climat d'intimidation permanent sur les habitants de Calais. Leur part d'intérêt personnel à agir de la sorte est évidente dans la mesure où ils sont tenus non seulement de faire respecter la loi mais également de respecter des quotas. Dans un pareil contexte, c'est évidemment l'emploi des policiers qui se trouve en jeu. Ils pourraient ainsi argumenter qu'ils ont une famille à nourrir, qu'ils ne peuvent pas se permettre le moindre écart dans l'exercice de leur profession et même qu'ils sont payés pour agir de la sorte.

Le gardien

Le gardien qui expulse du supermarché deux réfugiés venus faire leurs courses exécute, comme il le dit lui-même à Marion qui s'insurge contre cette mesure, les ordres de la direction; pour justifier cette politique, il invoque que ceux-ci dérangent la clientèle, sous-entendant en somme que les réfugiés n'en font eux-mêmes pas partie. Cette situation évoque sans doute plus généralement l'attitude hostile d'une partie des commerçants pour qui les réfugiés représentent, non pas des clients potentiels, mais une menace permanente pour l'image plus que pour l'ordre des magasins, objectif inavouable qui pousse les directions à jouer sur le sentiment xénophobe en prétextant la sécurité de «leur» clientèle. Comme les policiers, cet employé d'une société de gardiennage obéit à des ordres supérieurs et il pourrait invoquer pour justifier son comportement, qui se confond ici totalement avec son métier, qu'il a lui aussi une famille à nourrir et qu'en cette période de crise de l'emploi, on n'a pas toujours le choix de son travail.

Sans accès aux commerces d'alimentation, les réfugiés sont donc amenés à dépendre entièrement des associations et aidants individuels pour se nourrir.

La majorité silencieuse

Le voisin de palier

Un malentendu entre Simon et Bilal crée du remue-ménage dans la cage d'escalier de l'immeuble; le bruit attire l'attention de son voisin de palier, qui menace d'appeler la police: «C'est interdit! C'est tranquille ici… on veut pas de problèmes! Vous n'avez pas le droit de les faire venir ici, c'est tout. Ils sont crasseux, ils ont la gale, ils volent…!»; effectivement, Simon apprend le lendemain qu'il l'a dénoncé comme aidant à personne en situation irrégulière. On se souvient alors de la première fois que Simon a accueilli Bilal et Zoran chez lui; ils avaient alors croisé ce même voisin dans la petite allée de l'immeuble. Par le regard appuyé qu'il avait porté sur le trio en se retournant ostensiblement sur leur passage, l'homme avait déjà à ce moment-là manifesté une forme de réprobation silencieuse, alors qu'il ne s'était encore rien passé qui aurait pu le gêner.

En prenant l'initiative de dénoncer Simon à la police comme aidant à personne en situation irrégulière, cet homme fait donc le choix délibéré de créer de graves ennuis non seulement à son voisin mais aussi à Bilal, son hôte clandestin. Ce voisin semble donc profiter du premier prétexte venu pour dénoncer Simon. Contrairement au gardien du supermarché et aux forces de l'ordre, il n'a aucune obligation d'aucune sorte pour agir comme il le fait et son choix de dénoncer correspond à des motivations purement privées; sans doute est-il préalablement mal disposé à l'égard des réfugiés qui ont «envahi» Calais et peut-être même est-il raciste; quant aux arguments qu'il pourrait avancer, on imagine facilement qu'ils refléteraient probablement un grand nombre d'idées reçues: les étrangers viennent pour prendre notre travail; on vit une crise qui ne nous permet pas de prendre en charge la misère du monde; tous ces gens qui ne vivent pas comme nous peuvent se révéler dangereux; ils insécurisent la ville et en donnent une mauvaise image qui fait, entre autres, fuir les touristes…

Alain

Alain, le collègue de la piscine, ne fait pas de commentaire sur la façon dont Simon prend Bilal sous son aile: certes il ne l'encourage pas ni ne le soutient, mais il ne le dénonce pas non plus. Néanmoins, la remarque qu'il fait quand il s'aperçoit que Bilal a passé la nuit à l'intérieur de la piscine — «Putain y manque pas d'air! tu veux pas un café non plus?» — indique qu'il considère Bilal comme un profiteur, quelqu'un qui abuse, et non comme une victime sans toit qu'il faut tenter de secourir.

Ainsi tant que les initiatives viennent de Simon — l'emprunt de la combinaison de plongée par exemple —, Alain ferme les yeux sur l'aide que son collègue apporte à l'adolescent, sans doute préoccupé d'abord par l'importance d'un climat de bonne entente entre eux, d'autant plus qu'ils travaillent en duo toute la journée. Alors qu'il sait à ce moment-là que Simon et Bilal ne sont plus dans une simple relation moniteur / élève, il s'insurge pourtant contre le jeune homme qui s'est laissé enfermer dans les locaux pour y passer la nuit. On peut penser que c'est en quelque sorte une manière indirecte de faire savoir à Simon qu'il ne partage pas ses préoccupations humanistes et qu'il ne souhaite pas se trouver impliqué même de loin dans son action de solidarité.

Un promeneur

Une autre attitude relativement choquante est celle du promeneur que Simon croise sur la plage alors qu'il est à la recherche de Bilal. Des policiers sont venus visiter son appartement à l'aube avec l'espoir d'y trouver le jeune homme. Mais à la grande surprise de Simon, celui-ci a disparu avec la combinaison de plongée empruntée à la piscine. Sur la plage déserte, un chien s'approche de lui avec, dans la gueule, une chaussure que Simon reconnaît immédiatement comme étant celle de Bilal. Lorsqu'il demande au maître du chien où l'animal l'a trouvée, celui-ci désigne du doigt un tas de vêtements amassés à quelques dizaines de mètres d'eux.

Sans doute à ce moment-là la plupart des spectateurs sont-ils heurtés par l'attitude profondément indifférente de ce promeneur, qui semble ne s'être posé aucune question à la vue des habits entassés sur la plage en plein hiver, au point de laisser son chien s'emparer de l'une des deux chaussures sans se soucier aucunement du fait qu'il va en priver le propriétaire et sans chercher non plus à savoir si ledit propriétaire ne se trouve pas en difficulté dans l'eau. Il est assez difficile de déterminer si son comportement reflète une attitude indifférente (il devine que la chaussure appartient à un réfugié et il sait que celui-ci ne reviendra pas, soit qu'il se noie, soit qu'il réussisse sa tentative: tout cela ne le concerne pas et il s'en fout), individualiste (il n'a pas envie de «se mouiller» dans une affaire qui non seulement ne le concerne pas mais qui pourrait de plus lui apporter des ennuis) ou simplement inconsciente (ce qui paraît tout de même fort peu probable). «Ce n'est pas mon problème» ou «Je ne veux pas d'ennuis» sont des remarques qui, chez lui, pourraient se substituer à de véritables arguments.

L'engagement humanitaire : Marion et Simon

Simon

En s'impliquant tout entier dans l'action humanitaire, Simon se met forcément en porte-à-faux vis-à-vis de la loi, aggravant sa situation à chaque nouvelle initiative qu'il prend: le lendemain de la scène au supermarché où Marion lui avait reproché son inertie, Simon charge Bilal et Zoran dans sa voiture pour les conduire au port; finalement, il les invite chez lui et les héberge tous les deux; lors d'une première visite au commissariat où il doit s'expliquer sur les raisons qui l'ont amené à charger dans sa voiture des migrants en situation irrégulière, il répond avec beaucoup d'ironie qu'il les a emmenés au cinéma pour voir un film en anglais, histoire de les préparer à la langue; à peine revenu à la piscine, il fait sortir Bilal de l'eau, emprunte une combinaison de plongée et emmène le jeune homme sur la plage.

Bien qu'il ait été repéré comme aidant et qu'à ce titre, il soit sans doute tenu à l'œil, Simon, inquiet de savoir Bilal sans logement, part à sa recherche et l'accueille à nouveau chez lui, mais, le lendemain matin, le jeune homme a disparu avec la combinaison de plongée, ce qui conduit Simon à contacter les Affaires maritimes en le faisant passer pour son propre fils: Bilal Calmat.

Lorsqu'on retrouve l'adolescent, Simon est accusé d'aide au passage et il est placé sous contrôle judiciaire; ceci ne l'empêche pas de reprendre contact avec Bilal ni, un peu plus tard, d'outrepasser l'interdiction de quitter le département pour se rendre en Angleterre et y rencontrer Mina. Au début du film pourtant, on avait eu l'occasion de remarquer au cours de la scène du supermarché le fossé qui existait entre Simon et la réalité des réfugiés en situation irrégulière.

Dès lors, on peut se demander pourquoi Simon s'est soudainement impliqué corps et âme dans le soutien qu'il apporte à Bilal. Bien sûr Marion l'a secoué en lui reprochant son inertie mais est-ce vraiment d'une prise de conscience dont il s'agit ici? N'est-ce pas plutôt l'arrivée impromptue de l'adolescent dans sa vie qui va lui donner une occasion rêvée de reconquérir sa femme, en lui montrant que lui aussi est capable de se dévouer à la cause des réfugiés? C'est en tous cas ce qui semble arriver au départ: lorsqu'elle exprime son étonnement en voyant chez lui Bilal et Zoran, il lui répond assez distraitement, en affectant le genre de quelqu'un pour qui cela est tout à fait normal.

Petit à petit cependant, Simon va réellement s'attacher à Bilal, en qui il trouve une sorte de double de l'homme qu'il voudrait être lui-même: comme lui, Bilal est amoureux et cherche à retrouver la femme qu'il aime; comme lui, il est seul et vit à l'écart de sa famille; comme lui enfin, il a un passé de champion sportif. Bilal renvoie ainsi à un Simon vieillissant, désillusionné et apathique, l'image du jeune homme qu'il a sans doute été: idéaliste, romantique et passionné.

C'est un peu comme si, en l'aidant à réaliser son rêve — retrouver la femme de sa vie à l'autre bout du monde —, Simon réalisait de manière détournée un rêve propre pour lequel il est incapable de mettre concrètement quoi que ce soit en œuvre: retrouver Marion. Un tel rapport d'identification le pousse ainsi à placer toute son énergie dans la réussite du projet de Bilal, allant même jusqu'à prendre le risque, après son décès, de conclure ce projet en se rendant lui-même illégalement en Angleterre pour y retrouver Mina et lui expliquer la situation. L'engagement humanitaire incontestable de Simon s'explique donc partiellement par des motivations psychologiques profondes d'ordre personnel.

Marion

On remarque par contre que Marion, engagée dans le soutien aux réfugiés comme en témoigne son action bénévole au sein de l'association qui leur prépare des repas chauds, s'implique beaucoup moins à titre personnel que Simon, qui était pourtant au départ complètement indifférent à leur sort. En outrepassant la loi, Simon s'expose à une amende de 30 000 euros et à une peine d'emprisonnement de cinq ans. Il prend donc une responsabilité importante, qui pousse son ex-épouse à le mettre en garde: «Tu sais que tu peux avoir des problèmes en faisant ça… avec tes Kurdes là?» lui dit-elle en remarquant qu'il héberge des réfugiés en situation irrégulière.

L'attitude de Marion, limitée et beaucoup plus mesurée que celle de son ex-mari, peut d'ailleurs paraître ambiguë à première vue. Lorsque le spectateur la rencontre pour la première fois, il découvre une femme vindicative, révoltée par l'attitude du gardien qui empêche deux réfugiés d'entrer dans le supermarché où elle se trouve en compagnie de Simon. Elle n'hésite pas alors à interpeller les gens en leur demandant si, comme le prétend le gardien, ils se sentent gênés par la présence de réfugiés en train de faire leurs courses dans le même magasin qu'eux. Une fois dans la rue, elle reproche vivement à Simon son indifférence et son manque de réaction en lui demandant s'il a oublié l'histoire, s'il ne se souvient pas de ce que ça veut dire, quand on commence à interdire l'accès de certains lieux à certaines catégories de personnes.

Or un peu plus tard, on remarque que son implication se limite strictement à la distribution de repas dans le cadre de son bénévolat à l'association. Au-delà de cette action plus ou moins tolérée par les autorités, elle s'en tient à l'écart et tente à plusieurs reprises de dissuader Simon de prendre autant de risques, lui demandant notamment : «Tout ça pour quoi?». L'engagement humanitaire de Marion est donc également incontestable mais il reste inscrit dans le cadre de la légalité; il semble qu'elle incarne ainsi le personnage le plus représentatif de la «bonne» attitude à adopter si l'on veut à la fois se protéger d'éventuelles poursuites pénales et venir en aide aux réfugiés.

C'est une position psychologique extrêmement inconfortable qui oblige le citoyen à vivre son engagement comme un dilemme permanent soumis à des pressions morales et légales contradictoires. On peut imaginer que Marion a envie de s'investir à d'autres niveaux pour améliorer le quotidien des réfugiés ou s'engager dans la défense de leurs droits et de leurs intérêts, mais qu'en pesant le pour et le contre, elle réalise que prendre un tel risque au niveau individuel l'expose à une arrestation qui aurait à son tour pour effet la paralysie de l'action bénévole collective au sein des associations plus ou moins reconnues officiellement.

Image du film

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