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Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
The Broken Circle Breakdown
de Felix van Groeningen
Belgique, 2012, 1 h 52, langue originale : néerlandais
Avec Veerle Baetens (Elise), Johan Heldenbergh (Didier), Nell Cattrysse (Maybelle), Geert Van Rampelberg (William), Nils De Caster (Jock), Robby Cleiren (Jimmy), Bert Huysentruyt (Jef), Jan Bijvoet (Koen), Blanka Heirman (Denise)


Face au morcellement du paysage culturel européen, qui touche tous les arts dont le cinéma, le Prix LUX décerné par le Parlement européen propose de sous-titrer un film dans les 24 langues officielles de l'Union européenne – la version originale donnant lieu à une adaptation pour les handicapés visuels ou auditifs – et d'en fournir une copie numérique dans chacun des 28 pays de l'Union.

Finaliste du Prix LUX 2013, The Broken Circle Breakdown sera ainsi diffusé, avec les deux autres films finalistes, dans les 28 États membres à partir de mi-octobre jusque fin décembre 2013 dans les 28 États membres, au cours d'un événement baptisé les "Journées du Prix LUX". Lors de ces diffusions, les spectateurs voteront afin de déterminer qui devrait recevoir le prix du public. Le film lauréat sera projeté au Festival international du film de Karlovy Vary en 2014.

Pour accompagner cet événement, le centre culturel Les Grignoux propose une analyse de ce film qui s'adresse notamment aux animateurs en éducation permanente qui verront The Broken Circle Breakdown avec un large public et qui souhaiteront approfondir les principaux thèmes du film.

Cette analyse est également disponible gratuitement au format pdf.The Broken Circle Breakdown au format pdf


En quelques mots

Le film débute sur une mauvaise nouvelle : Elise et Didier, deux jeunes parents, apprennent que leur petite fille Maybelle est atteinte d'un cancer. C'est le début d'un long combat contre une maladie sans pitié. Pour l'enfant, pour les parents, c'est bien sûr une épreuve qui va révéler leurs failles et remettre en cause toute leur existence.

Le film pourtant ne se limite pas à l'évocation de la maladie, et il se construit sur des allers-retours incessants entre le passé et le présent, entre l'époque d'un bonheur évanoui et des moments de souffrance et de deuil à peine entrecoupés de quelques lueurs d'espoir. Toute l'histoire du couple formé par Elise et Didier se révèle ainsi par fragments, tandis que se pose avec de plus en plus d'insistance la question centrale : leur amour, malgré son intensité, résistera-t-il à une telle épreuve ?

Au-delà du mélodrame

Le scénario de The Broken Circle Breakdown a toutes les caractéristiques d'un mélodrame avec son évocation de la souffrance et de la mort d'êtres chers qui laissent au final les personnages principaux à leur solitude et à leur chagrin inconsolable. La force d'émotion du film, qui touche la plupart des spectateurs, ne tient cependant pas seulement à une histoire déchirante mais avant tout à une mise en scène qui nous fait entrer progressivement en empathie avec les personnages. En outre, le travail du montage cinématographique permet, comme on va le voir, de relier différentes dimensions - personnages, époques éloignées, thèmes, musique, décorsŠ - d'une manière à la fois sensible et signifiante.

The Broken Circle Breakdown nous entraîne dès les premières images dans le rythme d'une musique country - on apprendra un peu plus tard qu'il s'agit plus précisément du style « bluegrass » - qui nous révèle la passion de son personnage principal, Didier, chanteur et musicien d'un « band » de copains : cette passion deviendra d'ailleurs également celle de son épouse qui l'accompagnera bientôt sur scène avec son groupe. La musique « bluegrass », comme l'expliquera Didier, se signale sans doute par une tonalité principalement mélancolique puisqu'elle traduit d'abord l'espoir d'une vie meilleure, porté par les pauvres et les misérables, mais cette musique peut également se faire beaucoup plus légère et entraînante, ou au contraire déchirante quand elle exprime le deuil. Elle va ainsi jouer un rôle essentiel (mais qui passe facilement inaperçu) dans le film de Felix van Groeningen, en accompagnant et en accentuant l'émotion des personnages, mais également en favorisant notre propre participation émotionnelle aussi bien par ses rythmes que par les paroles de ses chansons (si du moins l'on maîtrise un peu l'anglais).

Si visuellement les prestations musicales n'apparaissent que dans des scènes circonscrites du film, la musique permet en revanche de relier par la bande-son de multiples séquences appartenant à des époques ou à des lieux différents. C'est le cas notamment lors de la mort de la petite Maybelle, une séquence qui débute par la chanson « Wayfaring Stranger » interprétée par Elise vue d'abord seule sur scène, suivie bientôt par un plan sur Didier portant sa fille vers le bus scolaire au tout début de sa maladie, par un autre sur la petite fille couchée sur son lit d'hôpital, intubée et sans cheveux, et enfin par trois courts plans montrant l'arrivée avec son pick-up du père à l'hôpital, découvrant bientôt sa femme couchée dans le lit avec leur fille qui vient de mourirŠ Au moins quatre époques différentes sont ainsi rassemblées en une seule séquence (de moins de trois minutes) grâce à la musique qui lui imprime une tonalité dominante, mélancolique et bientôt dramatique.

Univers musical

Mais, plus largement, cet univers musical est porteur de valeurs et de connotations qui interpellent le spectateur. La passion de Didier apparaît en effet dès les premières images du film comme étrangère au monde où il habite : où sommes-nous quand nous découvrons en ouverture du film le groupe en train d'interpréter sur scène un morceau aux accents country (« Will the Circle Be Unbroken »)  ? Dans un bar en Louisiane ? La séquence qui suit immédiatement se déroule pourtant à Gand en Flandres à hôpital où l'on annonce à Didier et Elise le diagnostic de la maladie de leur enfant.

Deux univers entrent ainsi en relation mais aussi en opposition : le monde « réel » quotidien, présent, qui est marqué essentiellement par la maladie de Maybelle, et un autre univers, « l'Amérique » dont parle Didier, dont il rêve et qu'il transpose par bribes et fragments en Europe autour de lui. Costumes et décors en particulier mettent en scène visuellement ce contraste plus ou moins accentué selon les moments du film. À plusieurs reprises (principalement dans des séquences en flashback), l'on voit ainsi Didier avec un chapeau de cow-boy, ce que rappelle la grand-mère lorsqu'elle demandera à Maybelle si elle aussi deviendra une « cow-girl ». Et le pick-up de Didier, même s'il n'est pas absent des routes européennes, est évidemment beaucoup plus présent dans le sud des Etats-UnisŠ Un très beau plan (répété au moins deux fois au cours film) montre en particulier ce pickup passant derrière un rideau d'arbres échelonnés au bord de la route dans un décor typique des Flandres.

Au cours du film, ce contraste va d'ailleurs s'accentuer avec le choix du groupe musical de porter des costumes impeccablement blancs : il s'agit évidemment de costumes de scène qui n'ont rien à voir avec les vêtements civils que porte Didier en particulier à l'hôpital, et qui soulignent l'aspect artificiel de ce « morceau d'Amérique » importé en Europe.

Ces deux univers ne restent cependant pas totalement étrangers l'un à l'autre, et de multiples passages s'opèrent entre les deux : c'est le cas en particulier d'Elise qui, au départ, ne semble rien connaître de cette musique - elle ne sait pas qui est Bill Monroe à l'origine de la musique « bluegrass » - mais qui, après une première nuit d'amour avec Didier, revient avec un bikini aux couleurs du drapeau américainŠ Et elle va bientôt intégrer le groupe, chantant en duo avec Didier mais également en solo les morceaux les plus émouvants de leur répertoire.

Une musique réconciliatrice?

Jusqu'à la mort de Maybelle, la musique et tout le style de vie qui l'accompagne constituent une passion singulière, celle de Didier, de ses copains et bientôt d'Elise, ce qui permet en particulier à Didier de donner un sens à son existence, de réaliser d'une manière ou d'une autre quelque chose qui apparaît comme son « rêve » propre : le personnage a en effet beaucoup de traits d'un « marginal » dans une Flandre par ailleurs généralement prospère et peu habituée sans doute à voir certains de ses habitants séjourner dans une vieille caravane ou arborer une barbe en broussaille et de longs cheveux mal peignés, mais la musique lui permet précisément de vivre et d'assumer cette relative marginalitéŠ Dans cette première partie du film, on peut même penser que cet univers musical a une vertu consolatrice sinon même d'espoir dans le combat contre la maladie. Cela apparaît notamment dans un plan symbolique montrant de jeunes chevaux courant dans une prairie quand ils sont dépassés par le pick-up de Didier et Elise au retour de l'hôpital : cette image d'un paysage flamand évoque en effet irrésistiblement toute une mythologie westernienne de broncos sauvages, aspirant à la liberté, animés d'une vitalité indomptable qui pourrait être, à ce moment-là encore, celle de Maybelle dans sa lutte contre le cancerŠ

Mais cet espoir sera déçu, et la mort de l'enfant va remettre en cause le couple des parents et modifier le sens de cet univers musical qui imprègne le film par la bande-son comme par les images. Face à la mort, le couple se déchire de façon violente, d'abord en recherchant chez l'un ou chez l'autre, dans leur vie ou leurs comportements respectifs, des facteurs qui seraient responsables de la maladie de leur enfant, puis sur la croyance en une forme possible ou non d'au-delàŠ Si Didier est profondément athée, refusant toute consolation religieuse, Elise manifeste en revanche son désir de croire d'une façon ou d'une autre, imprécise ou syncrétique, en une vie ou une renaissance après la mort. Différents objets traduisent à nouveau de façon visuelle cette croyance, qu'il s'agisse de la petite croix en pendentif qu'elle donne à sa fille et qu'elle récupère ensuite, de l'espèce d'autel qu'elle fabrique en sa mémoire avec une statue (à peine visible) de Shiva, de l'évocation de ces étoiles lointaines que l'on continue à voir même quand elles sont éteintes et dont Didier manipule de petites images en plastique au-dessus de sa fille malade, et surtout de cette corneille qui apparaît sur l'appui de fenêtre de la chambre de Maybelle, qui vient d'être vidée par ses parents.

Cette différence d'opinion, d'abord secondaire, va devenir un enjeu dramatique et insupportable qui conduira à la rupture du couple lorsque Didier, écoutant un discours du président Bush (qui rejette la recherche sur les cellules souches embryonnaires), rend le fanatisme religieux responsable de la mort de sa filleŠ À ce moment, seule la musique ou plus exactement les prestations musicales de Didier et Elise sur scène permettent encore de relier les deux époux . Mais, lors de cette dernière prestation, Didier laisse exploser sa colère et se lance face au public dans un discours (sans doute malvenu) contre les croyances religieuses qui empêcheraient tout progrès scientifiqueŠ La musique ne relie plus les personnages, elle les désunit, ou plus exactement, l'abandon de la musique par Didier au profit d'un discours intransigeant nie ce qui était le fondement même de leur passion et qui motivait surtout l'amour que la jeune femme lui portait : un flash-back tardif révèle en effet que cet amour était né quand Elise surprise avait découvert Didier sur scène interprétant la chanson titre du film, « Will the Circle Be Unbroken ».

Le suicide de la jeune femme donne alors une issue dramatique sinon mélodramatique à cette rupture. Pour les personnages survivants, la mort et la douleur semblent triompher de la façon la plus noire. Pourtant, à l'issue du film, l'impression des spectateurs est sans doute plus nuancée et surtout plus mélancolique. Alors que, sur l'avis des médecins, Didier vient d'accepter que l'on mette fin aux soins prodigués à la jeune femme en état de mort cérébrale, le groupe de copains se réunit autour de lui, et ils jouent ensemble un dernier morceau instrumental, « Reuben's Train ». Bien que le personnage soit accablé par le chagrin, ce morceau est entraînant et dynamique, et il permet de réconcilier musicalement mais aussi visuellement les deux personnages : la caméra survole lentement le corps de la jeune femme qui semble prêt à revivre, elle découvre que le moniteur de contrôle en principe éteint s'est pourtant rallumé, elle révèle enfin le dernier tatouage qu'Elise y avait inscrit sur sa peau, unissant Alabama et MonroeŠ Le montage cinématographique n'est cependant pas ici trucage, ni magie facile, et il traduit bien plutôt l'ambivalence de cette musique, de tout cet univers musical, qui inscrit le rêve dans la réalité, qui chante la vie et la mort réunies, qui ne décide pas entre l'ici-bas et l'au-delà, qui permet enfin au spectateur de transformer le sentiment de deuil en une émotion de réconfort et de consolation.

Quelques pistes de discussion complémentaire

  • On parle souvent d'une domination culturelle américaine à travers notamment la musique et le cinéma. La vision de The Broken Circle Breakdown confirme-t-elle une telle affirmation ou bien peut-on parler ici d'une réappropriation ou d'une réinterprétation par l'Europe de cette culture ?
  • Dans The Broken Circle Breakdown, la passion de Didier pour la musique « bluegrass » joue un rôle central. Mais quand est-il de la passion qu'Elise semble avoir pour le tatouage ? Quel rôle joue-t-elle dans le film ? Peut-on lui trouver éventuellement un sens symbolique ?
  • Didier et Elise sont sans doute très proches l'un de l'autre, mais l'on observe des différences de réactions psychologiques face aux événements qu'ils vivent, qu'il s'agisse de l'annonce du cancer de leur fille au début du film, de la grossesse de la jeune femme à l'occasion d'un flash-back, ou enfin de la mort de leur enfant et du deuil qui s'ensuit. Peut-on décrire notamment de façon plus précise la place que cette enfant occupe dans leur vie à l'un et à l'autre ? Peut-on relier ces différences de réactions à des différences de genre (masculin/féminin) plus larges et sans doute moins visibles ?

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