Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
Qu'est-ce qu'on attend ?
de Marie-Monique Robin
France, 2017, 1h59
L'analyse consacrée au film de Marie-Monique Robin, Qu'est-ce qu'on attend ?, propose aux spectateurs et spectatricesde revenir de manière plus détaillée sur les différentes initiatives citoyennes et éco-responsables décrites dans ce film.
Qu'est ce qu'on attend ? raconte comment Ungersheim, une petite ville d'Alsace de 2.200 habitants, s'est engagée dans une démarche de transition vers l'après-pétrole. Sous l'égide de leur maire Jean-Claude Mensch, les citoyens y développent un certain nombre d'initiatives sous forme d'un programme intitulé «21 actions pour le XXIe siècle». L'objectif du projet est de réduire la dépendance aux énergies fossiles par une relocalisation des activités, le développement des énergies renouvelables, la construction de maisons passives, la pratique d'une agriculture biologique et de la permaculture, l'instauration d'une monnaie locale, le remplacement des machines agricoles et autres véhicules motorisés par un cheval…, autant d'actions décidées au sein d'un Conseil participatif rassemblant élus et acteurs issus de la société civile, et mises en perspective à travers leurs témoignages.
Premier long-métrage de la journaliste d'investigation Marie-Monique Robin à sortir au cinéma, Qu'est-ce qu'on attend ? se présente comme une version remaniée d'un documentaire télé diffusé sur France 3 en mai 2016 sous le titre Sacré Village ! Connue pour ses documentaires engagés, la réalisatrice française donne ici les clés pour construire un autre monde, ici et maintenant, en revenant sur le mouvement des villes en transition initié en 2008 par le formateur en permaculture britannique Rob Hopkins.
L'objectif de l'analyse que nous proposons ici est de revenir sur le projet global du maire du village en établissant des liens entre les différentes initiatives développées dans ce projet.
Poiur faciliter la remémoration des elcteurs ou lectrices, nous reproduisons une série d'images du film qui permettent de découvrir :
À travers ces images, il est facile de repérer les différents secteurs qui sont impactés par les actions mises en œuvre à Ungersheim. Au-delà ce village, ces actions pourraient certainement être étendues à d'autres localités. Voici donc les principaux axes de l'action mise en œuvre
Plusieurs illustrations peuvent se rattacher au secteur de l'énergie, directement (images A15, A18, A19, A20, A22 et A24, qui montrent la centrale photovoltaïque, l'installation de panneaux solaires sur le toit d'un bâtiment, trois phases de la conception/construction d'une éolienne et l'établissement d'un cadastre solaire de la commune), mais aussi indirectement avec la plupart des autres images, qui témoignent d'une même volonté d'entrer en résilience et de protéger la terre de l'effet de serre à l'origine du réchauffement climatique.
Ainsi, les images A4 (un champ en agriculture biologique, avec un désherbage manuel) et A13 (un champ en permaculture, où l'intervention humaine est minimale, avec un recours nul aux intrants) indiquent une volonté de se passer des pesticides et engrais chimiques autrement dit de produits à base pétrole également énergivores en matière de distribution (emballage, transport) ou d'épandage.
Les images A6 (bois et terre) et A25 (paille), relatives à la construction de l'éco-hameau et de la Maison des Natures et des Cultures, mettent l'accent sur l'utilisation de matériaux naturels, locaux et naturellement isolants, qui permettent d'obtenir des maisons entièrement passives, dans lesquelles les habitants pourront se passer totalement (ou presque) de chauffage et donc, éviter ou limiter la consommation des énergies fossiles.
Par ailleurs, les images A8 (les habitants d'Ungersheim s'approvisionnent directement sur les lieux de production des légumes du Trèfle Rouge), A10 (à la cantine scolaire, les élèves reçoivent des repas 100 % bio cuisinés avec les légumes du Trèfle Rouge), A21 (les produits du Trèfle Rouge sont vendus directement aux habitants sur un petit marché local) et A27 (les graines issues d'espèces anciennes de blé servent à fabriquer du pain pour les habitants de la localité) montrent des pratiques en lien avec le principe des circuits courts, qui traduisent une volonté de supprimer ou de limiter au maximum les coûts en énergies fossiles liés au transport des marchandises.
Enfin, les images A3 (une machine ancienne est utilisée pour replanter les pommes de terres, une méthode souvent utilisée en permaculture pour améliorer la qualité du produit 4), A11 (Jean-Sébastien utilise le cheval pour effectuer les travaux de débardage en forêt), A14 (le foin est transporté sur un chariot tiré par Richelieu et Cosaque) et A17 (Jean-Sébastien dirige une machine ancienne tirée par Richelieu pour déterrer les pommes de terre qui vont être récoltées) mettent en évidence un même souci de se passer des énergies fossiles en remplaçant les machines agricoles et autres véhicules motorisés par d'autres forces : des outils mécaniques anciens, la force humaine et la force animale, en l'occurrence ici le cheval, également utilisé pour assurer le transport des élèves entre leur domicile et l'école.
Les images A8, A10, A16, A21, A23 et A27 révèlent toutes un changement des habitudes alimentaires au sein de la population du village, qui résulte de choix de vie individuels mais aussi de choix collectifs en ce qui concerne, par exemple, les repas fournis aux cantines scolaires ou le recyclage en produits de consommation divers (soupes, ratatouilles…) des légumes « invendables ».
Manger local et bio, jeter le moins possible, éduquer les enfants à une alimentation saine, tous ces gestes témoignent du souci des habitants d'Ungersheim de « se reconnecter avec la caractère vivrier de la nature » qu'évoque Jean-Sébastien dans le film.
Les images A6 et A25 témoignent quant à elles d'une volonté de vivre de façon résiliente et respectueuse de la nature et de ses ressources. Devenir propriétaire d'une maison de l'éco-hameau requiert d'ailleurs un véritable engagement de la part des candidats, invités à signer préalablement une charte reprenant les dix principes de BedZED. Les futurs habitants font ainsi le choix d'éviter toute consommation d'énergies fossiles et de protéger l'environnement face à leur épuisement à terme et au réchauffement climatique dû aux gaz à effet de serre. Ces illustrations mettent également en évidence la volonté des futurs résidents de s'impliquer activement dans la construction de leur habitation (images A11 et A25) ou encore celle de vivre ensemble, au sein d'une communauté d'échanges et de partage fondée sur la mixité sociale (inauguration d'une maison de l'éco-hameau en présence du maire et des voisins ou futurs voisins sur l'image A28).
Sur un autre plan, le choix de payer ses achats et prestations de service en Radis est également révélateur d'une volonté des utilisateurs de privilégier les circuits courts (comme, par exemple, les produits de la filière « De la graine à l'assiette », dont font partie les Jardins du Trèfle Rouge) et l'économie locale. De leur côté, les prestataires engagés dans ce processus alternatif (commerçants, producteurs, vignerons…) témoignent d'un même engagement citoyen avec des réductions ou promotions accordées aux clients payant en Radis. C'est de tout cela dont il est question lors de l'Assemblée Générale constitutive de l'association « Radisol », chargée de gérer cette monnaie locale complémentaire en circulation à Ungersheim (image A12).
Comme le fait remarquer Rob Hopkins lorsqu'il arrive à Ungersheim, il y encore beaucoup de voitures en circulation dans le village. Les images A7, A14 et A26 montrent pourtant qu'il existe chez certains habitants un réel souci de se déplacer autrement qu'en recourant aux véhicules consommant de l'énergie fossile (pétrole sous forme d'essence ou de diesel, gaz). Le maire se déplace ainsi en vélo (image A7), comme d'autres citoyens d'ailleurs (entre autres, Lili et Christophe Moyses, le couple de boulangers permaculteurs), tandis que Jean-Sébastien, ex-vétérinaire reconverti en permaculteur, utilise une charrette tractée par un cheval pour transporter le foin après la moisson (image A14) ou livrer les habitants en légumes (image A26). De la même façon, le cheval tire une diligence pour assurer le transport des élèves entre leur domicile et l'école ou, plus ponctuellement, les déplacements de Rob Hopkins lors de sa visite des infrastructures mises en place à Ungersheim dans le cadre de la transition.
Les images A1, A5, A12 et A18 mettent chacune en évidence une volonté d'impliquer le citoyen dans la vie politique, qu'il s'agisse des enfants ou des adultes. À Ungersheim, les 21 actions pour le xxie siècle ont en effet été menées grâce à la mise sur pied de cinq commissions consultatives composées de citoyens et d'élus. Le maire, écologiste convaincu, a joué un grand rôle dans l'éveil des consciences des habitants de son village ainsi qu'en témoignent dans le film un certain nombre d'élus municipaux comme Marie-Hélène, première adjointe, qui en est à son quatrième mandat et qui a vu l'évolution des projets au fil du temps, ou Sophie, la benjamine du Conseil municipal en charge du développement des énergies renouvelables. Sur l'image A5, le maire anime la réunion qui clôture une douzaine de rencontres entre élus et citoyens ayant abouti à un certain nombre de décisions et d'orientations dans trois secteurs d'autonomie (alimentaire, énergétique et intellectuelle).
Plus tard (image A12) nous assistons à l'Assemblée Générale constitutive de l'association « Radisol », chargée de gérer la monnaie locale complémentaire en circulation à Ungersheim depuis deux ans : le Radis. Cette association regroupe des usagers mais aussi des prestataires : commerçants, producteurs, vignerons… Enfin, les images A1 et A18 confirment la participation des jeunes élèves à la vie politique locale : installés à la mairie comme peuvent l'être les véritables élus, ils sont venus faire part de leurs inquiétudes et de leurs souhaits pour l'avenir (le leur, mais également celui de la planète), s'informer, prendre connaissance des projets en cours et s'exprimer à leur propos (A1) ; à l'inverse, sur l'image A18, c'est le maire qui s'est déplacé à l'école pour faire découvrir aux enfants le safran de l'éolienne, dont la forme correspond aux souhaits qu'ils avaient exprimés. Ces quatre moments du film montrent donc comment la démocratie participative s'exerce concrètement à Ungersheim et contribue à l'autonomie intellectuelle.
Sans toutes les citer, on remarque que de nombreuses images montrent des personnes en train de travailler. À travers ces images et les moments du film auxquels elles renvoient, il est possible de déterminer quelques particularités du travail tel qu'il est envisagé à Ungersheim :
De manière générale, on observe toutefois que peu de véritables emplois sont créés, les contrats d'insertion n'offrant aux personnes précarisées qu'un contrat de travail de durée limitée (de 6 à 18 mois). Tout au long du contrat, le travailleur temporaire reçoit un salaire correspondant au moins au Smic (salaire minimum interprofessionnel de croissance) et proportionnel au nombre d'heures prestées. En plus des aides reçues, l'employeur bénéficie par ailleurs d'un allègement des cotisations sociales. Même s'il présente des avantages certains pour les personnes précarisées, comme l'explique Sophie dans le film – au terme de son contrat, elle voudrait avoir elle-même son propre champ pour permettre à d'autres de s'en sortir comme on lui a permis à elle de s'en sortir?–, ce type de contrat est donc surtout un contrat précaire intéressant pour les employeurs.
Concernant ce secteur, les images peuvent se répartir en deux catégories selon l'âge des enfants, filmés ici dans leurs activités quotidiennes. Si les illustrations A1, A2, A3, A10 et A18 montrent des enfants en âge d'école primaire, les images A20 et A22 montrent quant à elles des adolescents de l'enseignement secondaire. Dans chacune des deux catégories, il est assez frappant de remarquer que nous ne voyons jamais ces jeunes élèves en cours alors même que la plupart des illustrations les montrent à l'école ou dans une activité scolaire extérieure, comme si l'important se trouvait en réalité en dehors de la classe : apprendre à se nourrir sainement et de façon durable, à se conduire de façon éco-responsable en participant aux projets de la municipalité, à travailler de ses mains et mieux comprendre les phénomènes naturels en aidant aux champs pour les petits, apprendre sur le terrain en installant des panneaux solaires ou en calculant le potentiel énergétique des toits des habitations pour les adolescents de l'école suisse en transition, tous ces apprentissages semblent ici dessiner les contours d'une autre manière d'enseigner et d'éduquer les jeunes, beaucoup plus axée sur l'expérience de terrain et la responsabilisation que sur les contenus livresques plus ou moins abstraits et à intégrer de façon passive.
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