Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
Pride
de Matthew Warchus
Grande-Bretagne, 2014, 1 h 57
L'analyse proposée ici et consacrée au film Pride entend revenir sur la dimension historique du film, en particulier sur la rencontre entre deux mouvements sociaux en apparence très différents (notamment en ce qui concerne leurs objectifs) mais qui se sont croisés à un moment particulier de l'histoire britannique. L'originalité de cette analyse réside notamment dans l'utilisation de documents iconographiques de l'époque qui entrent facilement en « résonance » avec les images du film.
Inspiré d'une page authentique de l'histoire britannique récente, le film de Matthew Warchus dépeint très justement la rencontre entre un groupe londonien de militants gay et lesbien et la population d'un petit village minier du Pays de Galles. Cette expérience riche d'enseignement en matière de tolérance et de respect mutuels plonge en réalité ses racines dans la décision que prennent quelques homosexuels de récolter lors de la Gay Pride de juin 1984 des fonds pour les familles des mineurs alors en grève. Il faut dire qu'à l'époque, le gouvernement ultralibéral de Margaret Thatcher s'apprête à fermer un grand nombre de puits de charbon jugés non rentables, notamment dans des régions où il n'existe que très peu sinon aucune perspective de reconversion, en même temps qu'il ignore magistralement les revendications d'égalité et de liberté du mouvement gay et lesbien. Face à cet ennemi commun, les deux communautés qu'au départ rien ne prédisposait à se rencontrer vont peu à peu tisser de vrais liens de solidarité mais aussi d'amitié, réussissant chacune à dépasser leurs propres a priori et réticences.
Cette analyse consacrée à Pride souhaite commenter la mise en scène du contexte historique du film en observant notammentquelques documents d'époque.
Le générique de fin nous apprend qu'un certain nombre de personnages du film - Mark, Jonathan, Sian, Dai - incarnent plus précisément que les autres des hommes et des femmes qui ont réellement existé et joué un rôle important dans cet épisode de l'histoire britannique. L'objectif de cette analyse n'est pas de revenir sur ces figures emblématiques mais bien d'identifier la manière dont le film a intégré des éléments du contexte social, économique et culturel de l'époque.
À cette fin, l'on proposera ici deux documents de synthèse, l'un étant consacré à la grève des mineurs britanniques et l'autre à l'histoire du mouvement homosexuel, qu'on complétera par une série de photographies d'époque ou d'images relatives aux événements relatés dans Pride.
Pour chacun de ces deux thèmes la grève des mineurs, le combat homosexuel , l'on essaiera ensuite de déterminer les éléments de la mise en scène, du scénario ou du décor qui participent à la description du contexte général tel qu'il apparaît dans les documents proposés.
Rappel historique [1]
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Rappel historique [2]
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Des images du film à comparer | ||
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avec des images d'archive | ||
All Out! Dancing in Dulais - Lesbians and Gays Support the Miners from Upekshapriya Jeff Cole on Vimeo.
La grève des mineurs est évoquée dès les premières images du film, à travers une séquence télévisée montrant une manifestation violemment réprimée par la police. Arthur Scargill, le leader du National Union of Miners, s'exclame : « Les mineurs pourront se rappeler avec fierté qu'ils ont eu le privilège de participer au plus grand des combats ! » Margaret Thatcher apparaît ensuite et annonce son intention de rester ferme. La grève est donc abordée de façon biaisée, grâce à un dispositif particulier qui nous permet, à nous spectateurs du film, d'entrer directement en contact avec Mark, futur leader du groupe LGSM précisément en train de regarder le reportage chez lui à Londres, le jour de la Gay Pride 1984. L'ampleur de la grève et ses enjeux, la détermination des uns et des autres ou encore les violences policières sont donc cernées en quelques images particulièrement représentatives du climat politique et socioéconomique extrêmement tendu de l'époque, comme le confirment les documents fournis pour réaliser cette animation.
Par ailleurs, le rôle solidaire que les femmes ont joué pendant toute l'année de grève, comme on peut également l'observer sur les illustrations où l'on voit celles-ci prendre part à diverses manifestations, a été pris en compte dans Pride notamment à travers les personnages féminins du Comité du village minier : Hefina, Gwen, Sian mais aussi Maureen, considérée comme l'« âme » du Comité même si, sur le plan de l'accueil des gays londoniens, elle se révèle particulièrement hostile et intolérante en raison de son homophobie ; ce sont ces femmes qui coordonnent diverses actions de solidarité, préparent des repas pour les grévistes occupant leur site de travail, réceptionnent les caisses de vêtements et de vivres collectés à Londres par les membres de LGSM Très actives dans le soutien qu'elles apportent à leurs époux, pères ou frères, elles joueront par ailleurs un rôle déterminant dans la manière d'accueillir ce groupe homosexuel, même si c'est Dai qui se rend à Londres pour les rencontrer et qui les reçoit officiellement à Onllwyn lors de leur première visite.
D'autre part, l'affaiblissement de la mobilisation durant l'hiver 1984-85 - dû entre autres à la mise sous séquestre de tous les fonds appartenant aux syndicats - apparaît dans le film au lendemain de Noël, lorsque le petit groupe retourne à Onllwyn pour la seconde fois. La mine sombre, Dai avoue aux visiteurs que, malgré l'aide substantielle de LGSM, les mineurs sont prêts à reprendre le travail car leurs familles ne s'en sortent pas : manque d'argent, coupures de gaz, bus en panne Cette période très dure prend une dimension tragique dans l'une des scènes les plus émouvantes et les plus fortes du film, lorsqu'une jeune villageoise entame « Bread and Roses »[1], une chanson que les autres habitants, rassemblés au Hall pour passer la soirée, reprennent en chœur les uns après les autres. « Rien n'est pire que de perdre espoir », murmurera Mike en aparté après ce moment intense brutalement interrompu par l'entrée violente des fils de Maureen.
Comme on le voit sur les images d'archives, les gays et les lesbiennes ont effectivement fondé un mouvement de soutien aux mineurs en grève appelé LGSM (« Lesbians and Gays Support the Miners »). Le pin's, signe d'affichage identitaire très emblématique des années quatre-vingts, mais aussi les pancartes, banderoles, T-shirts, et autres supports de l'action visibles sur les documents apparaissent également dans le film, témoignant d'un souci particulier du réalisateur de donner un caractère authentique à la reconstitution de cet épisode historique.
Quant à l'homophobie ambiante, on en prend la mesure à travers le comportement individuel de personnages comme Maureen mais aussi plus généralement à travers l'attitude hostile des spectateurs qui regardent défiler le cortège au début du film, avec des insultes homophobes lancées en direction des participants, des slogans écrits sur des pancartes - ainsi « brûlez en enfer ! » -, les propos de la presse réactionnaire, comme en témoigne l'article publié par les journalistes contactés anonymement par Maureen, les moqueries des policiers suite à cette publication, ou encore en observant les séquelles physiques de la violente agression dont Gethin a été victime en rue lors de la collecte de fonds en faveur des mineurs, sans oublier bien sûr la réaction des parents de Joe.
L'apparition du sida et les ravages que cette maladie alors inconnue provoque au sein de la communauté homosexuelle sont en revanche abordés avec beaucoup de pudeur, de retenue et du seul point de vue des membres appartenant à cette communauté. Même si certains d'entre eux soulignent ouvertement le fait qu'il serait plus judicieux de s'intéresser à cette question que de se préoccuper du sort des mineurs, il n'y a pas dans le film de conversation franche autour de la maladie et les personnes atteintes n'y font elles-mêmes jamais allusion directement, comme s'il y avait une volonté commune de maintenir la maladie à distance. Ainsi, après l'action « Pits and Perverts », on ne peut qu'être ému lorsque Mark rencontre Tim, un ancien amant, à la sortie d'une boîte de nuit. Sans révéler qu'il est atteint du sida, Tim, qui semble très mal en point, lui confie qu'il est en train de faire sa tournée des adieux. Si nous, spectateurs, comprenons immédiatement ce qui lui arrive[2], Mark quant à lui, ne le réalise pas tout de suite et, incrédule, il lui demande où il part en voyage. La mine sombre qu'affiche Mark suite à cette scène indique qu'il n'a perçu le message implicite de Tim que dans un second temps, et qu'il se trouve ainsi confronté personnellement au sida pour la première fois. Cette hypothèse est confirmée par la suite, lorsque le petit groupe venu d'Onllwyn s'apprête à quitter Londres et que Mark, leur chauffeur, fixe gravement une affiche de prévention (« Le Sida tue »).
Enfin, c'est seulement au moment où la grève se termine, lorsque Sian se rend à l'hôpital pour rendre visite à Gethin, que nous découvrons à travers ses confidences la maladie de Jonathan, membre haut-en-couleurs de LGSM atteint du sida, sans que lui-même n'en ait jamais rien laissé paraître. Cette révélation tardive nous oblige donc à revenir sur notre perception première du personnage en découvrant sa fragilité et la souffrance qu'il dissimule sous une apparence de boute-en-train, une conduite qui, sans doute, le protège tout en lui permettant de rester socialement intégré.
Quant aux tensions qui apparaissent entre la communauté gay et les lesbiennes féministes, qui se sentent dépendantes des hommes dans le mouvement de libération homosexuelle mixte, elles se répercutent au sein même de LGSM au point que les lesbiennes du groupe vont effectivement fonder une branche dissidente dès le mois de novembre 1984 : « Lesbians Against Pit Closures ». Dans le film, cette réalité apparaît grâce aux personnages des lesbiennes qui rejoignent Stephanie au sein de LGSM mais qui décident toutefois rapidement de faire dissidence en fondant un mouvement de soutien indépendant totalement séparé du mouvement d'origine. C'est donc par le truchement de ces deux personnages et de leur conduite que le réalisateur a choisi de donner un écho aux tensions qui animaient alors le mouvement homosexuel autour des place et rôle des uns (les hommes) et des autres (les femmes).
L'arrivée inattendue et en nombre des mineurs gallois pendant la mise en place de la Gay Pride londonienne de juin 1985 ainsi que leur participation au défilé sont mises en scène dans la dernière séquence du film. Par une telle position finale en clôture du film, cette séquence bénéficie d'un statut particulier, un peu comme si elle venait en conclusion de cette grande aventure humaine et sociale. Fondus en tête du cortège, les deux groupes profitent de la visibilité de l'événement pour afficher publiquement leurs liens d'amitié et de solidarité, faisant fi des préjugés et du regard des autres.
L'on peut sans doute interpréter une telle fin comme une apothéose au sens théâtral du terme, autrement dit une scène triomphale à laquelle participe toute la troupe - ici l'ensemble des personnages principaux du film, sans que l'une ou l'autre figure ne soit mise plus particulièrement en évidence - et qui comporte d'autre part, comme toute manifestation de ce genre, une importante dimension spectaculaire. En effet, faire l'impasse sur un tel événement authentique, qui a lieu trois mois après la fin de la grève, ou prolonger le film au-delà de cet événement aurait immanquablement conduit, dans un cas comme dans l'autre, le réalisateur à terminer son film sur le retour de chacun à sa propre vie et à son quotidien, déplaçant quelque peu le propos du film en mettant l'accent sur le caractère ponctuel de cette expérience solidaire, aussi exceptionnelle soit-elle[3].
1. « Du pain et des roses », d'après la phrase de Rose Schneiderman « The worker must have bread, but she must have roses, too ». Ce thème a été repris dans plusieurs chansons, mais l'expression est surtout devenue un slogan exigeant un salaire juste et des conditions de travail décentes.
2. Il se peut néanmoins que certains spectateurs perçoivent cette rencontre comme énigmatique, surtout s'ils n'ont pas connu les effets dévastateurs de cette maladie. Mais tous comprennent certainement le sens de cette rencontre avec la révélation de la maladie qui touche Mark à son tour.
3. On soulignera toutefois que les liens tissés entre la communauté homosexuelle et le mouvement ouvrier, même s'ils se sont distendus par la suite, se sont avérés importants dans la tournure qu'allait prendre le traitement des questions LGBT au Royaume-Uni. Ainsi dès 1985, lors d'une conférence du parti travailliste, une résolution du parti visant à soutenir l'égalité des droits des personnes LGBT passe pour la première fois en raison d'un vote de soutien massif venant du Syndicat national des mineurs.
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Un dossier pédagogique complémentaire à cette analyse est présenté à la page suivante.