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Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
Looking for Eric
de Ken Loach
Grande-Bretagne/Belgique/France, 2009, 1h59


L'analyse proposée ici s'adresse à des animateurs qui verront le film Looking for Eric avec un large public et qui souhaitent approfondir avec les spectateurs les principaux thèmes du film. Cette analyse pourra être menée sous forme de débat avec des groupes de spectateurs : si l'objectif est bien de faire progresser la réflexion des uns et des autres à ce propos, on veillera cependant à laisser aux participants une part active et une nécessaire liberté dans l'interprétation du film.

Le film

Avec Looking for Eric réalisé en 2009, le cinéaste britannique Ken Loach renoue avec bonheur avec la comédie. En effet, il s'agit d'une fable pleine d'humour centrée sur un facteur dépressif, qui va retrouver le goût de vivre en s'adressant à son idole, le footballeur Eric Cantona, dont le poster est punaisé dans sa chambre.

Bien sûr, ce scénario permet au réalisateur d'aborder toutes sortes de sujets qui lui sont chers: certains sont inédits dans son œuvre, comme le football et l'esprit de camaraderie des supporters, et d'autres sont en quelque sorte sa marque de fabrique, comme la solidarité des travailleurs ou la primauté des relations sociales dans un monde dominé par l'argent. Ainsi, c'est avant tout grâce à ses collègues-amis qu'Eric va affronter et finalement surmonter ses démons: sa lâcheté passée, son laisser-aller actuel, qu'il soit sentimental, familial ou professionnel.

Dégager le propos du film

Entre les premières images du film (Eric roule à contresens sur un rond-point) et les dernières (il se fait photographier avec Lily et la prend par la taille), c'est tout un chemin qu'aura parcouru le personnage principal. Pour parvenir à ce changement, il aura dû dépasser ses limites et faire preuve de qualités jusque-là inexercées.

Ces changements, Eric les doit notamment aux conseils de Cantona, qui prennent la forme d'aphorismes. Invitons les spectateurs à revenir sur ces sentences pour tenter d'en dégager quelques idées-forces.

Les spectateurs pourront sans doute citer de mémoire certaines d'entre elles, mais voici un rappel des plus marquantes.

  • « Si on n'affronte pas le passé, on ne peut pas le surmonter. »
  • « Parfois les plus beaux souvenirs sont les plus difficiles à supporter. »
  • « Les femmes sont le plus grand mystère des hommes. »
  • « Celui qui anticipe tous les dangers ne prend jamais la mer. »
  • « Celui qui ne lance pas les dés ne fera jamais de double six. »
  • « La plus noble des vengeances, c'est de pardonner. »
  • « On a toujours plus de choix qu'on ne le pense. »
  • « Il faut toujours faire confiance à tes coéquipiers, sinon tu es foutu ! »
  • « Quand on sait faire du vélo, ou lancer un ballon, c'est pour la vie. »
  • « Celui qui sème les chardons récolte les épines. »
  • « Si ton adversaire est plus rapide, n'essaie pas de le dépasser ; s'il est plus fort à gauche, pars à droite. »

À quels mots pourrait-on résumer ces aphorismes ?

Examinons ensuite comment Eric Bishop applique ces conseils.

Commentaires

On pourrait synthétiser le message du film en quatre mots, qui émergent des aphorismes de Cantona et du comportement d'Eric Bishop.

De l'audace !

Avec des maximes comme « celui qui anticipe tous les dangers ne prend jamais la mer » ou « celui qui ne lance pas les dés ne fera jamais de double six », Eric Cantona encourage Eric Bishop à oser. Dépasser des craintes intimes, largement irrationnelles, voilà ce qui attend Eric. De tout petits pas (prononcer le nom de « Lily », ouvrir la malle aux souvenirs, ...) en grandes avancées (aller à la rencontre de Lily après qu'elle s'en est allée fâchée de chez lui ; parler de ses problèmes à ses amis...), Eric fait preuve de plus en plus de courage et cela vaut pour ses différents cercles de relations.

Il osera d'abord s'opposer à ses beaux-fils et leur dire non, puis les priver de télé, et ensuite de nourriture cuisinée... Il sera de plus en plus audacieux dans ses relations avec Lily, du simple regard au toucher, en passant par une parole de plus en plus sincère. Et même avec ses amis qui sont aussi ses collègues, on le verra passer de la honte et du secret (il ne distribue pas tout le courrier qui lui est confié...) à une sincérité pleine de confiance (il leur révèle le pétrin dans lequel s'est fourré Ryan et leur demande de l'aide...)

De la confiance !

L'audace ne serait rien sans la confiance : confiance en soi et confiance dans les autres. « La plus noble des vengeances, c'est de pardonner » ou encore « Quand on sait faire du vélo, ou lancer un ballon, c'est pour la vie. » traduisent à peu près cette idée. Et Eric Bishop va mettre cette idée en œuvre, par exemple en invitant Lily à dîner (même s'il commence par raccrocher le téléphone après avoir composé le numéro...) ou en allant à la rencontre de Zac pour lui rendre son arme.

De l'imagination !

Cantona encourage également Eric à faire preuve d'imagination, à ne pas se focaliser sur les premières idées venues. « On a toujours plus de choix qu'on ne le pense » dit-il ou encore « Si ton adversaire est plus rapide, n'essaie pas de le dépasser ». Ces maximes, qui s'appliquent bien dans le monde du football, valent aussi dans la vie de tous les jours. Elles correspondent à l'idée de ne pas s'avouer vaincu, de résister.

Eric fait preuve d'imagination en organisant l'opération Cantona, mais aussi en changeant l'arme de Zac de cachette ! De la même manière, porter les chaussures de daim bleu à la remise de diplôme de Sam, à laquelle assistera Lily, c'est également une manière originale de lui faire passer un message...

De la solidarité !

Enfin, la solidarité, l'esprit d'équipe que Cantona évoque avec son conseil « Il faut toujours faire confiance à tes coéquipiers, sinon tu es foutu », mais plus encore avec son plus beau souvenir - « Ce n'était pas un goal, c'était une passe » - , est peut-être l'idée la plus importante du film, celle qui donne tout son sens aux autres... Elle s'illustre quand Eric demande de l'aide à ses copains (et l'obtient) pour faire disparaître les postes de télévision de son domicile, pour faire un brainstorming pour trouver une solution au problème de Ryan et pour mener à bien « l'opération Cantona ».

Il faut dire qu'Eric est bien entouré, puisque dès le début du film, ses collègues-amis sont là pour lui venir en aide : aller le chercher à l'hôpital après son accident, appliquer la thérapie par le rire au boulot et organiser cette séance de thérapie collective, assez peu sérieuse et pourtant efficace, puisqu'elle donnera à Eric l'idée de s'identifier à son idole, Eric Cantona.

Cette trouvaille elle-même, que les collègues d'Eric soient aussi ses amis, est sans doute l'expression la plus pure de cette notion de solidarité, à l'heure où le monde du travail est bien plus souvent vécu comme un lieu de compétition et de rivalité qu'un lieu de solidarité.

Prolongement : et Lily dans tout ça ?

Si Eric Bishop est bien sûr le personnage principal de Looking for Eric, le personnage de Lily est également exemplaire. En effet, elle a évidemment souffert d'être abandonnée par Eric peu après la naissance de leur enfant : une épreuve dont la blessure est encore parfois douloureuse. (En témoigne la scène où Lily arrive chez Eric sans s'être annoncée et où elle découvre la carte qu'elle lui avait envoyée au début de leur séparation : la carte a été déchirée puis recollée et encadrée. Bouleversée, elle quitte alors la pièce en disant « Sam devra trouver quelqu'un d'autre ».)

Mais cette épreuve a déclenché un changement pour elle : seule, avec un enfant à élever, elle a dû affronter les difficultés, construire une nouvelle vie. « Tu m'as obligée à changer » dit-elle à Eric.

Même si l'on sait assez peu de choses de Lily, on peut imaginer l'évolution de la jeune fille un peu timide qui participait au concours de danse à « la femme mûre aux mains agiles » comme la décrit Cantona. Anecdotiquement, l'on sait qu'elle est devenue végétarienne - ce qui suppose une réflexion sur ses propres comportements, ses choix de vie, une sorte d'engagement par rapport au monde - ; elle a un travail ; elle pratique des massages sur les bébés et les personnes âgées (Eric dit d'elle qu'elle insuffle de la vie à tout ce qu'elle touche...), ce qui témoigne d'une grande sensibilité, d'empathie et de confiance ; et enfin, elle s'évade une fois par trimestre en partant pour un week-end, jamais au même endroit, seule ou avec un amant... ce qui illustre son désir assumé d'avoir du plaisir pour elle-même mais aussi un esprit d'ouverture à l'inconnu, à l'aventure, au hasard.

Finalement, quand Eric se présentera chez elle pour s'expliquer, c'est elle qui prendra la parole, c'est elle qui dira ce qu'elle a ressenti à l'époque, avant de le congédier en disant grosso modo que ce qu'il a à dire ne l'intéresse pas. Puis, c'est elle encore qui lui donnera rendez-vous au pub pour qu'il puisse lui parler enfin. À cette occasion, elle lui demandera pourquoi il ne lui a rien dit de son malaise à l'époque..

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Ainsi, à la différence d'Eric qui au début semble subir beaucoup de choses et être relativement passif, Lily agit, par le geste et par la parole.

La dépression

On pourrait dire de Looking for Eric qu'il s'agit du portrait d'un homme qui souffre de dépression et qui va progressivement sortir de cet état. Les symptômes de la dépression sont nombreux. L'on peut rapidement former l'hypothèse que sa course à contresens dans un rond-point est une tentative de suicide. Cette hypothèse se confirme quand Eric, s'adressant au poster de Cantona, lui demande s'il a déjà pensé à se supprimer, ce qui indique que l'idée lui est venue à lui, Eric Bishop. Cette interpellation de l'image de Cantona nous en apprend beaucoup sur l'état psychologique d'Eric Bishop. Il évoque sa consultation chez le psy et demande à Cantona s'il a déjà fait appel à un psychothérapeute. Il explique que le psy lui a demandé quand il avait été heureux pour la dernière fois et manifestement ses derniers souvenirs de bonheur remontent à très loin. Il se compare au footballeur en ces termes «Flawed genius, eh? Flawed postman !» (L'adjectif «flawed» a ici le sens de «qui présente des défauts, des faiblesses»). Il demande également à l'image de Cantona s'il compte pour quelqu'un, ce dont on peut conclure que lui a l'impression de ne compter pour personne. De la même manière, Eric demande à son idole s'il a des raisons d'avoir honte…

Son état dépressif se mesure aussi au travail où Eric semble ne plus savoir s'y prendre: ses collègues l'observent au centre de tri postal et décident de lui venir en aide par «la thérapie du rire»! Un peu plus tard, précisément lors d'une séance de thérapie collective au domicile d'Eric, l'un d'eux découvre une grande quantité de courrier non distribué… Comme si Eric se sentait incapable de faire face à ses responsabilités.

À la maison également, Eric est dépassé, il ne sait pas comment s'y prendre avec ses beaux-fils qui semblent rendre sa maison sinon sa vie invivables.

«Faire face», voilà bien le problème d'Eric, qui ne peut pas affronter le passé, au point de se sentir incapable de prononcer le nom de Lily et qui fuit devant elle, alors qu'il s'est engagé à la rencontrer pour venir en aide à sa fille.

Les causes de cet état sont à chercher dans le passé d'Eric: l'événement principal qui a tout déclenché semble être l'abandon de Lily, dont Eric gardera une honte permanente, une honte qui paralyse, une honte qui empêche toute démarche de retour.

Le remède sera en quelque sorte administré par les amis d'Eric. En effet, c'est lors de cette séance de thérapie de groupe pourtant un peu loufoque que lui viendra l'idée de s'identifier à Eric Cantona. Ensuite, une petite cigarette de haschich aidant, Eric verra apparaître le célèbre footballeur, qui lui prodiguera bien des conseils. En réalité, ces conseils, Eric les a au fond de lui, puisque ses dialogues avec Cantona ne sont qu'imaginaires. Le postier va ainsi dépasser ses craintes et ses blocages, en un mot: oser. Oser parler du passé, oser rencontrer Lily, oser dire non à Ryan et Jess, oser dire à Lily ce qu'il a ressenti à l'époque, oser la reconquérir, oser affronter Zac, oser, enfin, demander de l'aide à ses amis et se confier à eux.

Un dossier pédagogique complémentaire à l'animation proposée ici est présenté à la page suivante.
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