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Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
Les Chatouilles
d'Andréa Bescond et Éric Métayer
France, 2018, 1h48

Analyse Nuestras Madres au format pdfL'analyse en éducation permanente proposée ici s'attache à décrire et à expliquer une démarche d'animation réalisée autour de la sortie du film Les Chatouilles. Elle permet d'éclairer comment aborder une problématique importante — la pédocriminalité — perçue comme « sensible » ou « difficile » par beaucoup d'intervenants mais également de spectateurs ou spectatrices.

Cette analyse est également disponible gratuitement au format pdf.

La pédocriminalité à l'écran

Une analyse construite autour de deux rencontres publiques avec le film Les Chatouilles, les 8 et 15 janvier 2019 au cinéma Sauvenière.

1. Introduction contextuelle

Pertinence du sujet

2019 fut marquée par plusieurs films importants et tout à fait remarquables, autour du sujet de la pédocriminalité[1], chacun avec une perspective différente et singulière. Ce n'est certes pas la première fois que sont réalisés et diffusés des films sur ce problème[2], mais ils étaient jusqu'à lors, d'après nous, répartis en deux catégories (avec évidemment l'une ou l'autre notable exception) : les films (généralement nord-américains) plutôt « policiers » ou d'enquête[3] et ceux dont la pédocriminalité est une des thématiques abordées mais pas le sujet principal du film[4].

Cette concomitance de plusieurs films importants sur le sujet fut également en concordance avec les questionnements de la société dans son ensemble. 2019 fut notamment marquée en Belgique par la possible libération de Marc Dutroux ; par l'approbation, à la Chambre, d'une proposition de loi « qui vise à rendre imprescriptibles les délits sexuels graves commis sur des mineurs »[5] ; par la prise de parole de l'actrice Adèle Hænel concernant « des agressions sexuelles »[6] qu'elle a subies mineures par un réalisateur ou encore par une nouvelle accusation de viol sur mineure perpétré par le cinéaste Roman Polanski.

Trois sorties de films

La rentrée lança le film Les Chatouilles, d'Andréa Bescond et Eric Metayer. Notre analyse sera plus particulièrement liée à ce titre, dans la mesure où nous l'avons travaillé en profondeur par l'organisation de deux soirées spéciales à une semaine d'intervalle, toutes deux salles combles. Image du filmL'une était l'avant-première en présence du couple de réalisateurs ; l'autre un débat organisé en partenariat avec ImagéSanté en présence d'une inspectrice à la section jeunesse de la Brigade judiciaire de la police de Liège, une infirmière au centre de prise en charge des violences sexuelles de Liège et une psychologue spécialisée dans les cas de pédocriminalité au CHU de Liège.

Après cette sortie de janvier, nous avons diffusé en avril la fiction très documentée de François Ozon, Grâce à Dieu, sur les violences sexuelles commises par un prêtre sur de nombreux enfants, violences couvertes par l'institution ecclésiastique malgré des témoignages accablants et les propres aveux du prêtre.

Enfin, en juin, nous avons accueilli Yolande Zaubermann pour nous parler de son documentaire M, qui suit une victime de violences sexuelles perpétrées dans son enfance au sein d'une communauté juive orthodoxe en Israël.

La thématique a donc été particulièrement visible dans le premier semestre de 2019 et il y a fort à parier que nos spectateurs fidèles se sont confrontés à l'un ou à plusieurs de ces trois films ; nos actions spécifiques ayant encore augmenté l'accent et l'impact sur un public plus large, moins cinéphile mais intéressé plus directement par la problématique soulevée

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Quelques chiffres

En terme de promotion, Les Chatouilles bénéficia d'une large campagne de la part de son distributeur Cinéart renforcée par nos propres outils de communication, notamment la Une de notre journal numéro 270.

En termes de fréquentation, Les Chatouilles cumula à Liège et Namur un total de 4600 spectateurs, nombre tout à fait remarquable (dans notre top 20), surtout si on le compare aux chiffres globaux : il cumula 16500 spectateurs en Belgique[7]. Nos cinémas ont donc enregistré plus de 30% des entrées, chiffre supérieur à la moyenne, qu'on peut attribuer en partie à notre travail propre de visibilité et de défense du film.

Grâce à Dieu put compter sur une visibilité renforcée à cause du procès du cardinal Barbarin et de la tentative de la part des avocats du prêtre Preynat de faire interdire le film à une semaine de la sortie française de janvier (parfait exemple d'effet Streisand). Le distributeur Benelux (September films, dont les bureaux se trouvent à Amsterdam) relança une importante campagne de promotion pas loin de trois mois après la sortie en France. Il fit 25.000 spectateurs en Belgique[8], dont 3.500 à Liège et à Namur, soit 13 % de ses entrées sur notre territoire.

Quant à M, de Yolande Zaubermann, il réalisa « seulement » 300 entrées chez nous, mais cela reste un documentaire plus difficile d'accès, sans aucune campagne promotionnelle pour aider à sa visibilité. Le film n'a pas bénéficié de la force de frappe d'un distributeur – le cinéma Galeries s'est occupé de le sortir à Bruxelles et lui assurer un minimum de visibilité médiatique, tandis que nous le sortions à Liège et Namur - et est donc sorti quasiment sans aucun accompagnement, la seule visibilité étant celle que nous avons pu lui donner grâce à nos outils.

Traitement du sujet dans ces films

On commencera par remarquer que ces films, aux sorties successives et rapprochées comme on l'a vu, ont rendu possible une nouvelle manière de traiter la pédocriminalité au cinéma. Il s'agit de films français ou d'une co-production française (pour M), ce qui est déjà en soi à souligner, car ils sont notablement plus rares sur le sujet que les films nord-américains ; de films à vocation grand public (tout du moins pour les deux premiers, cf. supra) et basés chacun sur le témoignage et le ressenti des victimes, c'est-à-dire que chacun des films prennent pour sujet la parole non médiée des premier·e·s concerné·e·s par les violences sexuelles sur mineurs.

En effet, les trois films, tous remarqués en festival et bénéficiant d'une très bonne presse[9], se basent sur des histoires vécues et racontées par les victimes elles-mêmes ou dont le scénario a été conçu grâce à leur témoignage extensif.

Image du filmAinsi, Andréa Bescond adapte son propre « one woman show », spectacle mêlant humour, tendresse, dureté et danse dans lequel elle endosse – selon la tradition du one wo/man show – tous les rôles, de celui de sa mère à celui de son agresseur.

L'adaptation au cinéma d'un tel spectacle reste quelque chose d'assez singulier (un des seuls autres exemples qui nous vient à l'esprit étant Guillaume et les garçons, à table !), qui plus est lorsqu'on sait que ce n'était pas une perspective qu'Andréa Bescond envisageait. Cette adaptation lui a été suggérée par ses producteurs, qui voulaient que ce soit elle-même qui réalise le film, bien qu'elle n'ait aucune expérience dans ce domaine.

François Ozon quant à lui, a basé cette fiction sur des faits réels dont il a gardé les éléments les plus saillants[10], après un travail monumental de documentation et d'écoute des victimes. Il a même gardé le nom des coupables et utilisé abondamment, dans la première partie du film, la lecture en voix off de véritables échanges de mail entre un des protagonistes et le cardinal Barbarin, tout comme il a basé tous ses personnages de victimes sur des victimes existantes qui lui ont confié leur histoire.

Quant à Yolande Zauberman, elle a suivi le protagoniste principal lors d'un retour dans sa communauté et partagé son cheminement, son histoire, ses interrogations, dans le cadre d'un film documentaire, c'est-à-dire certes monté et mis en scène, mais où les protagonistes ne jouent d'autre rôle que le leur.

La question de la légitimité de ces réalisatrices·eurs ne s'est donc pas posée, contrairement à d'autres films récents (voir à ce sujet notre analyse 2018 sur la réception de Girl, de Lukas Dhont, à partir de l'avant-première liégeoise en novembre 2018)

2. Les rencontres

But et organisation

Il s'agit d'abord de relayer la parole (au sens le plus large) d'Andréa Bescond. Le cinéma, le travail sur l'image, le travail du montage (présent/passé), la mise en scène, permettent au public de comprendre sur le vif, de façon concrète ce qu'a vécu Andréa, de comprendre notamment les phénomènes de déni et de refoulement : il n'est pas facile pour la victime de mettre des mots sur ce qu'elle a vécu, et c'est par des gestes (la danse), des attitudes (le conflit avec son amant, les « querelles » avec la psy), des images (la porte de la salle de bain fermée) qu'elle « dit » ce qu'elle a vécu et qu'elle se réconcilie au moins en partie avec elle-même, notamment dans la scène finale extrêmement émouvante.

La rencontre avec la cinéaste a pour objectif de prolonger cette « parole », ces images, de répondre aussi aux questionnements légitimes des spectateurs et spectatrices.

Image du filmIl est alors important de réfléchir en amont au public auquel on s'adresse : il y aura certainement des victimes dans ce public, des proches de ces victimes, mais aussi de « simples » spectateurs ou spectatrices qui ne sont pas concernés directement par ces crimes mais qui peuvent être témoins un jour ou l'autre de ces crimes : on pense notamment aux enseignants, aux éducateurs, aux assistants sociaux, aux psychologues (notamment scolaires). Le dialogue respectueux avec la réalisatrice concerne sans doute d'abord certaines victimes qui voudront notamment s'entretenir avec elle après la séance dans le cadre d'un échange plus personnel à la brasserie.

Pour d'autres spectateurs et spectatrices, la vision du film comme le dialogue dans la salle avec la réalisatrice permet de mesurer, si besoin en était, la gravité des faits pédocriminels, mais également d'éclairer des phénomènes plus énigmatiques comme le silence des victimes (très belle scène dans le film quand Andréa adulte, à la vue d'un drap de bain, dit à ses deux amies qu'elle a été violée, mais, non, finalement elle ne leur a pas dit), les effets sur leur futur (par exemple les différentes prises de risque à l'âge adulte) ou encore les chemins de la résilience (qui ici passe par la prise en charge psychologique mais aussi par la création artistique).

À l'issue de cette rencontre, l'on pressent que beaucoup de personnes restent en questionnement par rapport à l'attitude à adopter par rapport à des tels faits : si tout le monde dénonce (on l'espère !) de tels crimes, les personnes susceptibles d'être les témoins de tels faits s'interrogent sur les démarches à entreprendre. C'est dans cette perspective notamment qu'est organisée une deuxième rencontre avec des intervenants spécialisés dans le domaine. Le regard est sans doute plus objectif mais il n'est pas pédant : les intervenants font part des difficultés rencontrées pour accueillir les victimes et surtout les accompagner. Il y a à Liège aussi bien dans le monde judiciaire et policier qu'au CHU des équipes spécialisées qui sont en charge des faits de pédocriminalité. Leurs réponses aux questions du public sont certainement éclairantes et donnent aux personnes présentes des pistes d'action (ne serait-ce que savoir à qui s'adresser).

À notre initiative, et dans la perspective de construire cette deuxième soirée, nous avons proposé à ImagéSanté, un de nos partenaires réguliers, d'être co-organisateur. Nous avons ainsi pu co-construire la soirée, eux en amenant grâce à leur réseau du personnel médical de grande qualité (nous avions décidé en commun d'avoir au moins un·e psychologue et un·e policier·e), nous en préparant la rencontre et en discutant en amont avec les intervenants pour « défricher » quelque peu le sujet.

Ce partenaire, d'habitude très impliqué et vite enthousiaste, n'a de prime abord pas manifesté d'intérêt. En tous les cas, il restait dubitatif même s'il n'a pas rechigné à co-organiser les choses avec nous. Après la projection et la rencontre, il a reconnu que ç'avait été une excellente idée. Leur première réaction est un bon indicateur de la manière dont les institutions qui ne sont pas directement confrontées à ces problématiques peuvent réagir : avec crainte (la peur que ce soit trop « dur » pour le public ou « trop » larmoyant) et doute (sur la pertinence et le succès de l'événement, à cause d'un sujet jugé trop difficile dans un contexte cinématographique, c'est à dire en partie de « divertissement »).

Qu'avons-nous abordé lors de ces soirées ?

Lors de ces deux soirées, quatre caractéristiques majeures liées à la pédocriminalité ont été abordées et méritent une analyse plus détaillée.

1. le silence ;
2. le déni ;
3. le refoulement ;
4. l'impuissance des tiers.

1. Le silence

Le silence reste la réaction majoritaire dans ce type de faits. Silence par exemple de la victime qui n'a pas les mots pour dire ce qui lui arrive ou qui ressent une honte trop forte pour en parler, mais aussi silence du violeur et pression sur sa victime pour qu'elle se taise, silence d'éventuels témoins…

Tous ces silences sont illustrés dans le film : celui d'Andréa elle-même qui ne parlera qu'une fois adulte et après un travail sur elle-même, et silence et pression du violeur qui crée la fausse intimité du « petit secret ». Il n'y a pas de témoins directs, mais des indicateurs clairs qui sont ignorés par les proches (le père qui surprend presque l'ami de la famille avec sa fille, la mère qui remarque du sang dans la culotte de sa fille). Il s'agit là, non pas d'un silence, mais d'un déni, d'un refus inconscient de comprendre.

Lors de l'avant-première, plusieurs personnes ont fait part de leur propre expérience vécue sur un mode réflexif, destiné à poser le contexte d'une question particulière. Pour plusieurs d'entre elles, si ce n'était sans doute pas la première fois qu'elles brisaient le silence, il s'agissait manifestement de la première fois qu'elles prenaient la parole en public pour exprimer une réflexion autour de leur vécu, et elles le faisaient encouragées par force tranquille d'Andréa Bescond.

2. Déni vs libération de la parole

Il est généralement admis que mettre en mot une expérience traumatique telle qu'une violence sexuelle est une des voies qui permet un travail sur soi, une acceptation des violences subies tout comme la conscience qu'il s'agit bien de violences.

La littérature psychologique et psychiatrique se base sur cette parole, sur la capacité à l'exprimer[11].

Reste que bien trop souvent, la parole, même libérée, fait l'objet constant de doutes et de remises en question, à tous les niveaux, qu'ils soient familiaux ou sociaux. Ainsi, l'inspectrice de la brigade jeunesse de la police témoignait que de très nombreuses mères, apprenant que leurs filles ont été violées par un proche, ont soit une position de déni, accusant de mensonges leur progéniture, soit une position de « vengeance » (elle l'a bien cherché), voire même de jalousie lorsqu'il s'agit d'agression par le beau-père (la fille vole à la mère son compagnon).

Faire entendre sa parole

Par ailleurs, l'impact de cette parole libérée est limité. Elle s'adresse au cercle de proches, aux amis, et le dépasse rarement. Pour toucher une « audience » plus large, les victimes peuvent avoir recours au témoignage sur les réseaux sociaux ou dans les médias de manière générale (voir par exemple le témoignage d'Adèle Haenel).

Il faut accepter d'être sur la place publique en tant que victime. C'est là que le témoignage d'Andréa Bescond prend tout son sens. Elle raconte comment elle a transformé sa parole en combat, pour conscientiser un maximum de personnes, pour toucher des parents ou des proches, pour rappeler aux enfants[12] la limite infranchissable que constitue leur propre corps.

3. Refoulement et amnésie traumatique

Le refoulement est un mécanisme de survie par lequel une personne oublie les faits traumatisants dont elle a été victime. Le terme étant particulièrement utilisé en psychanalyse, les études actuelles tendent à utiliser le concept d'amnésie traumatique.

Nous en avons eu à la fois une explication par Andréa Bescond et par la psychologue, deux explications qui se rejoignaient et décrivent un mécanisme peu connu mais indispensable à connaître pour mieux appréhender les difficultés éprouvées par les victimes de violences sexuelles.

Image du filmL'amnésie traumatique explique que des victimes ne se souviennent pas du tout, ou très partiellement, ou partiellement, des violences subies. Il s'agit d'un mécanisme de défense, voire de survie, pour surmonter le traumatisme[13]. Seul un travail psychologique (comme celui évoqué par Andréa Bescond) permet alors de surmonter ce refoulement et faire émerger les souvenirs enfouis. Mais ce travail — qui peut survenir de façon accidentelle à l'occasion d'un événement qui peut paraître mineur — s'effectue parfois des dizaines d'années après les faits. Il est évidemment important que le public prenne conscience de ce phénomène qui est difficile à appréhender pour des personnes qui ne l'ont pas vécue de façon personnelle où à travers l'expérience (difficile) de proches.

Au niveau judiciaire, cela pose évidemment la question des délais de prescription des faits pédocriminels.

À l'époque des rencontres, la loi concernant l'imprescriptibilité n'avait pas encore été votée. Si Andréa Bescond, sans aborder la question directement, défendait une telle proposition, notamment à cause de ce phénomène d'amnésie traumatique qui peut durer plusieurs décennies, l'inspectrice a livré un sentiment plus circonspect. Le système judiciaire, basé majoritairement sur un système de preuves, ne permet de ne condamner que très peu d'inculpés pour des violences (pédo)sexuelles. Plus le temps écoulé entre la plainte et les faits est grand, plus petite est la possibilité qu'un procès aboutisse. Par conséquent, beaucoup de plaintes aboutissent à un non-lieu. Permettre aux victimes de déposer plainte des décennies plus tard, et revivre une expérience traumatique à travers la complexité d'un procès aux faibles chances d'aboutir n'est selon elle pas une bonne solution. Elle n'avait malheureusement aucune autre solution à proposer.

Le refoulement concerne aussi l'espace public où l'on considérait jusqu'il y a peu qu'il s'agissait d'une question privée, ou d'une question judiciaire : ce n'était dès lors évoqué au cinéma que sous l'angle de l'enquête judiciaire (comme nous l'avons signalé au début de notre analyse).

Maintenant, un certain nombre de personnes comme Andréa Bescond font surgir la question dans l'espace public. Pourquoi le fait-elle? Pas seulement pour punir son violeur (elle dépose plainte pour cela et il sera condamné, comme le montre d'ailleurs le film). Sans aucun doute pour prévenir d'autres crimes : elle veut alerter l'opinion publique sur la gravité du crime (ce dont elle témoigne personnellement) et sur l'importance de ces crimes qui font l'objet d'un silence, d'un déni et d'un refoulement.

Mais elle transforme aussi le regard que l'on porte sur la pédocriminalité en en faisant une question sociale et politique (au sens le plus fort du terme). Porter cette problématique dans l'espace public désigne l'histoire personnelle comme révélatrice d'un problème beaucoup plus général où sont sans doute impliqués victimes et coupables, mais également proches, témoins et intervenants multiples.

4. Impuissance des tiers

Là où la rencontre avec Andréa Bescond avait permis une parole des victimes, la deuxième rencontre vit surtout la prise de parole de témoins indirects. Une institutrice voulait savoir les possibilités d'alerter sur des suspicions de violence ou encore un homme voulait des conseils sur la manière de réagir face à un·e proche victime. Une partie des questions du public, face au panel d'expertes, porta donc sur leur sentiment d'impuissance à aider des victimes potentielles ou à les identifier correctement. Tous pointaient le manque d'outils – ou à tout le moins de connaissance des outils à disposition -, et de références.

Les intervenantes prirent le temps d'expliquer les procédures judiciaires et légales, mais aussi d'énumérer les différentes associations, relais, structures d'accompagnement psychologiques qui existe en Province de Liège.

Au-delà des structures existantes, toutes étaient unanimes pour mettre la conscientisation des proches au premier rang des méthodes de prévention.

3. Perspectives

Le discours d'Andréa Bescond, en plus de son film ou de son seule-en-scène, incite concrètement les personnes qui l'entendent à faire preuve de discernement, à sortir du déni ou à oser prendre la parole, et briser la loi du silence, tout en réalisant les grandes difficultés auxquelles elles peuvent faire face.

Après la rencontre, Andréa a encore passé plus de deux heures avec différentes personnes pour leur prodiguer encouragements, conseils et écoute attentive. Son combat inspire, son écoute stimule, sa disponibilité a valeur d'exemple.

Les discours des trois intervenantes de la deuxième rencontre ont eux aussi permis de dénoncer les ravages du déni, en particulier pour les proches, de donner des clés d'analyse, des exemples de suivis concrets et des explications concernant le parcours judiciaire, depuis avant le dépôt de la plainte jusqu'à un éventuel procès.

Les deux rencontres, comme nous le pressentions, se sont renforcées l'une l'autre par leur complémentarité. Les publics auxquels nous avons pu parler, fort différents, avaient choisi « leur » débat en fonction de leur position sur le sujet.

Même si, bien entendu, toutes les réponses n'ont pas été apportées, elles ont permis de tracer les pistes d'une action concrète, chaque spectatrice et spectateur repartant plus riche, non seulement d'informations et de partage d'expériences, mais surtout d'une réflexion large sur la place de la pédocriminalité dans nos sociétés et sur l'importance de sortir du silence, quelle que soit la position que l'on occupe.

En ce sens, il nous semble avoir contribué, même très modestement, à une prise de conscience de nos publics et à la déconstruction d'un tabou.


1 Les victimes (et la plupart des experts) s'accordent à vouloir modifier le vocabulaire généralement employé, pour qu'il reflète de manière plus concrète les faits décrits. Nous suivons leur recommandation et cette analyse privilégiera les termes pédocriminalité à pédophilie et violences sexuelles à abus sexuel.

2 Un simple tour sur la page Wikipedia « pédophilie au cinéma » en recense 62 (consulté en novembre 2019) et est très vraisemblablement incomplète.

3 celle-ci pouvant être menée par une personne non représentante de la loi, comme dans Spotlight de Tom McCarthy (2015.

4 Ainsi du film Polisse, de Maïwenn, qui s'intéresse à une brigade des mineurs de la police de Paris.

5 Le Soir, 07/11/2019

6 Ainsi que les faits ont été caractérisés par la victime et par le parquet, cf. Mediapart.

7 Chiffres donnés par le distributeur, Cinéart

8 Chiffres donnés par le distributeur, September Films

9 les pages « allocine.fr » de chacun des films proposent une vue synthétique, via un système d'étoiles, de la qualité des critiques.
Par ailleurs, chaque film fut sélectionné et remarqué dans de prestigieux festivals, là aussi gage d'une qualité certaine :
- Les Chatouilles fut sélectionné au Festival de Cannes, dans la section Un Certain Regard ;
- Grâce à Dieu fut sélectionné en compétition au Festival de Berlin ou il remporta l'Ours d'argent ;
- M fut remarqué au Festival de Locarno (Léopard d'Or de la meilleure réalisation) ainsi qu'au Festival de Namur où il remporta le Bayard d'Or, leur récompense la plus prestigieuse.

10 Dans la plupart des interviews qu'il a données sur le sujet, il dit qu'il est parti d'une volonté de montrer des masculinités blessées (rien à voir avec le virilisme) et qu'il a assez vite trouvé le groupe de La Parole Libérée qui allait devenir au centre du film.

11 Sigmund Freud est certainement le fondateur de ce type de cure par la parole (dite en anglais talking cure). Mais cette technique largement adoptée en psychothérapie a également été adaptée et souvent transformée par les différentes écoles ou tendances thérapeutiques. Cf. Marc, Edmond. « La parole qui guérit », Gestalt, vol. 39, no. 1, 2011, pp. 49-57.

12 Le film a été repris dans notre programme Ecran Large sur Tableau Noir. Nous l'avons destiné à un public adolescent, à partir de 15 ans. Cependant, il est intéressant de noter qu'Andréa Bescond, en décrivant la manière dont elle avait travaillé avec la toute jeune comédienne et les ressentis de celle-ci, disait que des enfants à partir de 9 ans environ pouvait voir le film. Ils étaient généralement touchés par d'autres choses que des adultes (par exemple choqués par la réaction de la mère à plusieurs reprises) et se sentaient alors sensibilisés.

13 « Ces amnésies sont des conséquences psychotraumatiques des violences dont les mécanismes neuro-psychologiques sont une dissociation de sauvegarde (Van der Kolk). Depuis 2015, les amnésies traumatiques dissociatives font partie de la définition de l'état de Stress Post-Traumatique. Elles peuvent durer plusieurs dizaines d'années et entraîner une amnésie de pans entiers de l'enfance, presque sans aucun souvenir mobilisable, ce qui entraîne une impression douloureuse d'être sans passé ni repères. Quand l'amnésie se lève, les souvenirs traumatiques reviennent le plus souvent de manière brutale et envahissante sous la forme d'une mémoire traumatique fragmentée, non contrôlée et intégrée (flash-backs, cauchemars) faisant revivre les violences à l'identique avec la même détresse et les mêmes sensations », in www.memoiretraumatique.fr. Voir également les travaux de Muriel Salmona, traumatologue (et responsable du site susnommé) française.

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