Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
Les Barons
de Nabil Ben Yadir
Belgique, 2009, 1h51
L'analyse proposée ici s'adresse aux animateurs et aux éducateurs qui verront le film Les Barons avec un large public. Elle propose une réflexion plus appronfondie sur ce film et en particulier sur son utilisation détournée de clichés et de stéréotypes divers.
Les Barons de Nabil Ben Yadir raconte l'histoire de trois jeunes adultes issus de l'immigration et vivant à Molenbeek. Hassan, Mounir et Aziz n'ont qu'une devise : « Glander plus pour vivre plus ! Chaque être humain a un crédit de pas. Chaque pas effectué te rapproche de la mort ! Nous, les barons, le savons depuis le départ... ».
Mettant en scène des personnages qui appartiennent à une minorité victime de nombreux préjugés - les « maroxellois », néologisme créé pour désigner les jeunes bruxellois d'origine maghrébine -, Les Barons s'écarte délibérément des canons réalistes pour approcher le quotidien de ces jeunes par l'humour et l'auto-dérision. Le film témoigne notamment d'un important travail sur les clichés, poussés à l'extrême et dénoncés de manière ironique par un réalisateur lui-même issu de l'immigration. Fruit d'une intention manifeste de jouer avec nos représentations, Les Barons de Nabil Ben Yadir apparaît par conséquent comme un outil intéressant pour traiter la question du cliché.
Les Barons est une comédie très large public qui se révèle être un support idéal pour les animateurs dont la mission est de favoriser le dialogue démocratique ainsi qu'une attitude de tolérance et d'ouverture à l'autre, en amenant les participants à déceler les clichés et à comprendre leurs origines historiques et/ou sociologiques.
L'activité proposée s'inscrit dans une séquence de deux heures. Nous suggérons de partir du film et plus précisément de sept extraits retenus pour leur pertinence.
Tout d'abord, le premier de ces extraits sera travaillé et analysé en grand groupe avec l'aide de l'animateur, qui jouera à la fois le rôle de référent et de coordinateur. La réflexion sera menée à partir du modèle d'analyse proposé ci-dessous ("Présentation du modèle d'analyse appliqué à la première situation").
Dans un second temps, les participants seront répartis en plusieurs groupes de deux à quatre personnes. Un extrait (ci-dessous : "Les moments clés à analyser au sein des petits groupes") sera distribué à chacun de ces groupes, qui travailleront en autonomie et selon le modèle proposé autour des six autres situations retenues. Il s'agira pour eux de situer le moment clé évoqué par l'extrait qui leur a été attribué et d'imaginer comment transférer la pratique appréhendée lors du premier exercice à ce nouveau cas particulier.
Si les participants éprouvent des difficultés à réaliser l'exercice, l'animateur pourra leur distribuer un répertoire de questions susceptibles d'orienter ou d'approfondir l'analyse. Pour conclure, chaque groupe proposera son analyse et son regard sur l'extrait au reste de la classe. Aussi bien l'animateur que l'ensemble des participants pourront intervenir lors de cette phase pour exprimer leurs avis et éventuellement proposer d'autres élairages ou pistes d'interprétation.
L'activité débutera éventuellement par une approche théorique des notions de cliché et de stéréotype. Étant donné la complexité de la société, il est en effet important de garder à l'esprit un certain nombre de questions : sur quelle part (parfois très mince sinon nulle) de vérité reposent nos clichés ? pourquoi y croit-on ? d'où viennent-ils, quelle est leur fonction ? quelle est leur origine sociale, historique ? — mais aussi, quelles sont les intentions de l'auteur du film en recourant à certains clichés ? pourquoi utilise-t-il en particulier la comédie, l'ironie, la caricature ?
Le cliché est généralement défini comme une idée toute faite, banale et largement répétée, sur des groupes sociaux, ethniques ou nationaux ou encore sur certaines situations de la vie courante. Les synonymes les plus couramment utilisés de«cliché» sont «stéréotype», «poncif», «lieu commun», «idée reçue», «préjugé» ou encore «banalité».
Les exemples de clichés sont innombrables et peuvent porter sur des sujets aussi différents que:
Dans les exemples précédents, les stéréotypes concernent essentiellement des représentations partiales de certains groupes ou de certaines situations (ils concernent donc ce qu'en linguistique, on appelle le signifié); en matière de stylistique littéraire cependant, le mot «cliché» désigne plutôt des manières convenues et trop souvent répétées de s'exprimer (ce qu'en linguistique, on appelle le signifiant). Il s'agit dans ce cas d'expressions verbales relativement figées qui sont reprises telles quelles dans le discours commun mais aussi dans les médias ou les œuvres littéraires: citons en vrac des expressions comme «une eau cristalline», «les usagers ont une nouvelle fois été pris en otages», «ce fait divers repose la question [de la sécurité dans les prisons, de la délinquance juvénile ou de n'importe quel problème social]», «avoir une faim de loup ou une fièvre de cheval», «il faut se rendre à l'évidence [qui souvent n'a rien d'évident...]», tel homme politique, tel sportif «a connu une véritable descente aux enfers», etc.
Dans le cas du discours politique, l'on parle alors facilement de «langue de bois» pour désigner ce genre d'expressions trop souvent entendues comme «retrouver le chemin de la croissance», «les ravages du néo-libéralisme», «la conjoncture actuelle», «une avancée essentielle dans la lutte contre [la pauvreté, la pollution, le terrorisme ou n'importe quoi de négatif]», «un véritable projet de société», «une réelle volonté politique», etc. Enfin, l'on considère aujourd'hui comme «politiquement correct» des manières euphémisées de désigner des groupes plus ou moins stigmatisés: ainsi, on préférera parler de «personnes à mobilité réduite» plutôt que de «handicapés», d'«Afro-Américains» que de «Noirs» américains («Nègres» étant totalement tabou), de «demandeurs d'emploi» que de «chômeurs», de «techniciens de surface» plutôt que de «femmes de ménage» (ce terme étant en outre jugé sexiste puisqu'il n'existe pas d'«hommes de ménage»)...
Clichés au sens stylistique et stéréotypes comme représentations partiales de la réalité se superposent souvent même s'il vaut mieux les distinguer d'un point de vue théorique. L'on s'intéressera ici plus particulièrement aux stéréotypes comme représentation de certains groupes sociaux ou ethniques.
Clichés et stéréotypes sont généralement considérés négativement comme des obstacles à une pensée nuancée, donnant une image biaisée et partiale de la réalité. Et les participants citeront certainement avec ironie un grand nombre de ces idées reçues, notamment sur les différents groupes ethniques.
Un peu de réflexion fait cependant rapidement apparaître qu'il est impossible de se débarrasser complètement de toute forme de cliché ou stéréotype. Soumettons ainsi aux participants un petit questionnaire (ci-dessous) composé de cinq affirmations avec lesquelles ils seront invités à marquer leur accord ou au contraire leur désaccord.
D'accord/pas d'accord? |
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Les oiseaux volent grâce à leurs ailes | d'accord | plutôt d'accord | sans avis | plutôt pas d'accord | pas du tout d'accord |
La pizza est un plat italien | d'accord | plutôt d'accord | sans avis | plutôt pas d'accord | pas du tout d'accord |
Les grandes villes sont plus polluées aujourd'hui que dans le passé | d'accord | plutôt d'accord | sans avis | plutôt pas d'accord | pas du tout d'accord |
Chinois et Japonais parlent des langues apparentées | d'accord | plutôt d'accord | sans avis | plutôt pas d'accord | pas du tout d'accord |
L'eau bout à 100° centigrades | d'accord | plutôt d'accord | sans avis | plutôt pas d'accord | pas du tout d'accord |
On dépouillera ensuite les réponses à ce questionnaire en demandant aux participants de justifier leurs réponses: on relèvera alors les éventuelles approximations dans ces réponses en s'appuyant notamment sur les encadrés ci-dessous.
Sauf les poules, les autruches, les manchots ou les kiwis de Nouvelle-Zélande.
Il serait plus correct de dire que la pizza est un plat d'origine italienne puisqu'aujourd'hui on en mange un peu partout dans le monde, et que la consommation aux États-Unis doit être largement supérieure à celle en Italie. Enfin, on signalera que plusieurs pays se disputent l'invention de la pizza, même si l'on admet généralement qu'elle a pris sa forme actuelle à Naples au 18e siècle.
C'est discutable, car cela dépend certainement des villes envisagées mais également du type de pollution considérée. Les grandes villes de l'ouest européen sont ainsi moins polluées que par le passé à cause de l'abandon du chauffage au charbon et du déplacement ou de la transformation des industries les plus polluantes comme la sidérurgie.
C'est faux. Ce sont deux langues très différentes même si le japonais utilise pour une partie de son écriture des caractères issus du chinois. Le japonais est souvent considéré comme un isolat linguistique, c'est-à-dire qu'on ne peut pas le relier à d'autres langues vivantes.
Pour autant que la pression soit d'une atmosphère, ce qui est généralement le cas dans votre cuisine... Mais dans une marmite sous pression (ou autocuiseur), la température montera à 120° avant que l'eau ne bouille. En revanche, au sommet de l'Everest où la pression est plus faible, l'eau bout déjà à 72°C.
Ces quelques exemples devraient suffire à montrer que nous recourons tous à des stéréotypes dans nos réflexions quotidiennes. Essayons à présent de préciser d'abord pourquoi nous procédons de cette manière et ensuite quels sont les erreurs et les dangers éventuels liés à ces stéréotypes.
Pour répondre à la première question, partons du premier exemple, celui des oiseaux dont les ailes leur servent en principe à voler. Pourquoi raisonnons-nous de cette manière? En fait, lorsqu'on nous demande de réfléchir sur les oiseaux, nous prenons un exemple d'oiseau comme modèle, comme prototype, et cet exemple sera plus facilement un moineau ou une hirondelle qu'une poule ou un manchot[2]: c'est pour cela que la phrase «Pierre a été renversé par un oiseau» nous paraîtra étrange si l'on ne nous précise pas qu'il s'agissait d'une autruche dont on sait par ailleurs qu'elle peut peser jusqu'à cent cinquante kilos. En termes logiques, on dira donc qu'au lieu de considérer l'ensemble, on a tendance à réfléchir sur un seul élément de cet ensemble.
On remarquera que cette manière de raisonner, qui est tout à fait spontanée, n'est pas nécessairement fausse: dans la plupart des cas, les ailes des oiseaux leur servent effectivement au vol. Néanmoins, on voit aussi que ce genre de raisonnement est toujours menacé par une fausse généralisation.
L'erreur de raisonnement est cependant difficile à débusquer dans la mesure où l'affirmation s'appuie sur un exemple ou même plusieurs exemples manifestement vrais. Ainsi, le stéréotype selon lequel «les Anglais sont roux» s'appuie sur une observation partiellement vraie: la proportion de roux est vraisemblablement plus importante en Angleterre que dans d'autres pays européens, mais, s'il est évident que tous les Anglais ne sont pas roux, il est beaucoup plus difficile de dire si une majorité d'entre eux le sont (plus de 50% de la population) ou s'il s'agit seulement d'une minorité plus importante cependant que dans d'autres pays.
Une deuxième erreur de raisonnement apparaît facilement lorsqu'on considère l'item concernant les langues chinoise et japonaise. Si certains ont répondu qu'il s'agissait de langues apparentées, ils ont alors été victimes d'une fausse analogie: cela consiste à postuler sur base d'une seule analogie entre deux «objets»un grand nombre d'autres analogies ou correspondances. Pour les Occidentaux, Chinois et Japonais sont des asiatiques, de race «jaune», et ils risquent d'en conclure trop facilement qu'ils doivent se ressembler sur un grand nombre de points (comme la langue parlée). Ainsi encore, beaucoup d'Européens croient que les Turcs parlent l'arabe (ou une langue apparentée) sous prétexte que ces deux populations sont (majoritairement) musulmanes et habitent des régions voisines.
Une troisième erreur, qui peut apparaître dans les réponses aux items concernant la pizza ou l'ébullition de l'eau, consiste à ne pas tenir compte des conditions historiques, géographiques, sociales ou locales qui sont éminemment variables et dont dépend la valeur de vérité de la plupart de nos certitudes: ce qui est vrai à un moment donné en un endroit donné n'est pas nécessairement vrai à une autre époque, dans un autre pays ou dans une autre situation. On peut considérer qu'il s'agit là d'une forme de fausse généralisation, qui repose cependant sur une proposition vraie dans certaines conditions.
Les exemples considérés jusqu'à présent sont, on le constate facilement, relativement neutres alors que de nombreux clichés et stéréotypes véhiculent implicitement ou explicitement des jugements de valeur le plus souvent négatifs, notamment lorsqu'ils portent sur des groupes ethniques ou religieux. Désigner certaines personnes comme des «fanatiques» ou de «grands enfants», traiter des individus de «cons» ou d'«efféminés», qualifier certaines populations de «prétentieuses», de «fourbes» ou d'«hypocrites» sont autant de manières de stigmatiser ces personnes ou ces groupes. Les concepts utilisés mêlent en effet une part de description objective (parfois fort mince ou carrément fausse) à une évaluation de nature essentiellement subjective[3]: ainsi, un qualificatif comme «bavard»renvoie à des comportements observables (le fait de beaucoup parler) mais contient également un élément clairement dépréciatif (ce comportement serait synonyme de superficialité).
Reprenons ici quelques exemples de stéréotypes cités par les participants, et soulignons avec eux la dimension évaluative et subjective des termes (ou concepts) utilisés: dans une affirmation comme «les Français aiment faire grève», il y a (au moins) une double évaluation, ce mode de revendication sociale étant jugé négativement, et le plaisir éventuel qu'on peut y trouver («aimer») étant considéré comme égoïste et illégitime (à l'inverse, le travail est implicitement valorisé).
Ainsi, le danger des clichés et des stéréotypes réside sans doute moins dans leur faible valeur de vérité que dans leur dimension dénigrante et dépréciative à l'égard de certains groupes, populations ou minorités.
Clichés et stéréotypes sont-ils une forme de racisme? Posons également la question aux participants en reprenant quelques-uns des exemples qu'ils auront pu citer précédemment. Vraisemblablement, les appréciations varieront selon les propositions retenues et selon les individus. Ainsi, il est clair que l'on est plus sensible aux stéréotypes qui portent sur notre groupe d'appartenance (ou un de nos groupes d'appartenance[4]) que sur d'autres groupes. Tout le monde rit des blagues belges... sauf les Belges qui se sentent évidemment dénigrés et humiliés par ces clichés répétés sur leur supposée bêtise. Néanmoins, comme d'aucuns le préciseront sans doute, il s'agit là de propos humoristiques sans réelle portée, et personne jusqu'à présent n'a voulu instaurer une quelconque discrimination à l'égard de cette population!
Mais l'on comprend facilement que, même en matière d'humour, il y a tout un éventail de stéréotypes depuis ceux qui portent le moins à conséquence jusqu'aux propos carrément racistes. La portée de ces propos dépend évidemment du contexte où ils apparaissent: un Juif racontant une histoire juive ne sera pas soupçonné d'antisémitisme, mais toute autre personne risquera bien de l'être. Dans une perspective similaire, on peut toujours se demander si une blague sur les «blondes» et leur supposée bêtise est sans réelle portée - personne n'a l'intention d'exercer la moindre discrimination à leur égard - ou s'il s'agit d'une attaque indirecte contre l'ensemble des femmes (les blondes étant prises comme l'archétype du genre), trahissant ainsi une forme plus ou moins accentuée de sexisme.
Semblablement, la perception d'un stéréotype peut grandement varier selon les personnes, les époques, les lieux et les points de vue. Ainsi, la marque de chocolat en poudre Banania a réalisé pendant la Première Guerre mondiale une célèbre publicité montrant un tirailleur sénégalais souriant à grandes dents et déclarant «Y'a bon Banania»: l'intention des concepteurs de cette affiche n'était pas dénigrante puisqu'il s'agissait notamment de saluer l'aide des troupes coloniales à l'effort de guerre français. Néanmoins, les connotations infantilisantes et paternalistes (les Noirs seraient des grands enfants, toujours souriants, incapables de parler correctement et bien contents de ce que leur offre généreusement la France...) sont bientôt apparues aux yeux de nombreuses personnes et ont suscité des critiques de plus en plus vives, entraînant des transformations progressives de cette publicité et, en particulier, l'effacement de la formule «Y'a bon Banania».
La discussion révélera certainement des différences de sensibilité, certains stéréotypes apparaissant comme anodins aux uns mais beaucoup plus graves aux autres. Il s'agira sans doute moins pour l'enseignant ou animateur de décider si tel ou tel cliché est effectivement dénigrant pour l'un ou l'autre groupe que de faire prendre conscience aux participants des différences de points de vue et de sensibilité entre les groupes ou les individus.
L'exemple de la publicité de Banania révèle par ailleurs l'importance des images et des médias audio-visuels dans la diffusion de clichés et de stéréotypes racistes, sexistes ou autres. Quelques exemples recueillis ici et là permettront de nourrir la discussion.
La question se posera sans doute alors de la manière d'interpréter ces images qui recourent à un autre moyen de communication que le langage verbal. L'image en effet montre le plus souvent des faits singuliers mais n'énonce pas apparemment des affirmations générales comme celles considérées jusqu'à présent: comment peut-on dire alors que certaines images sont stéréotypées?
On remarquera d'abord que l'image est souvent accompagnée de commentaires (écrits ou oraux) comme c'était le cas pour la publicité Banania: image et texte s'associent alors de façon indissoluble pour induire certaines significations (ou connotations[5]) chez le spectateur. Comme on l'a vu, le texte «en petit nègre» est immédiatement dévalorisant, mais il doit être accompagné de l'image pour produire un tel effet: en effet, le même texte sur le portrait d'un quelconque poilu (un soldat français de la Première Guerre mondiale) aurait paru incongru et absurde. L'image a bien une valeur discursive qu'on pourrait traduire ici de la manière suivante: «C'est un tirailleur sénégalais qui dit...»
La «lecture» de l'image n'est cependant pas toujours aisée car elle ne fait pas l'objet d'une codification similaire à celle de la langue: un rôle important est en effet laissé au spectateur qui va procéder à une série d'inférences plus ou moins vraisemblables en fonction de ses propres connaissances, valeurs et préjugés. Ainsi, l'interprétation de l'affiche Banania n'aura pas la même portée si l'on pense que le personnage représente un «tirailleur sénégalais» (qui faisait partie d'un corps militaire aujourd'hui disparu) ou bien un «Noir» ou un «Africain»: dans ce cas-ci, la généralisation risque bien de conforter une image particulièrement stéréotypée de ces populations.
Quelques exemples choisis notamment dans le domaine de la publicité pourraient nourrir la réflexion des participants sur ce point. Ainsi l'on trouvera facilement des publicités où des ménagères se plaignent que les produits ordinaires de lessive font déteindre les vêtements ou que leur linge n'est pas aussi blanc qu'il ne devrait l'être... Ici non plus, il ne s'agira pas d'imposer une interprétation unilatérale de ce genre de publicités, et l'on attirera plutôt l'attention sur le rôle actif des spectateurs dans la réception de ces messages: certains seront sans doute sensibles au caractère normatif de ces publicités - ce serait le rôle des femmes de faire la lessive et autres tâches ménagères, et la blancheur du linge devrait être une de leurs ambitions essentielles dans la vie -, alors que d'autres n'y verront que le reflet plus ou moins caricatural d'une situation de la vie quotidienne.
On attirera néanmoins l'attention des participants sur une caractéristique importante qui influe de façon décisive sur l'interprétation de ce type d'images, à savoir leur caractère répétitif: si, comme on l'a vu, clichés et stéréotypes procèdent souvent de généralisations abusives, la répétition des mêmes images ou d'images relativement similaires risque bien d'induire ce genre de généralisations et de favoriser la diffusion de stéréotypes sociaux ethniques ou sexués. Si une publicité mettant en scène une ménagère consciencieuse n'et pas en soi très significative, la répétition indéfinie de ces publicités (ou de publicités du même genre) «fonctionne» comme une norme implicite pour ceux et celles qui les regardent quotidiennement. De façon similaire, la multiplication des clips de rap américain mettant en scène des Noirs violents, trafiquants de drogue, conduisant de grosses voitures et entourés de jeunes femmes en bikini, constitue un cliché de et pour la jeunesse noire.
Les discussions qui précèdent devraient permettre de mettre en évidence deux éléments importants:
Les réflexions qui précèdent devraient permettre d'aborder à présent le film Les Barons.
Voici une grille d'analyse que l'on pourrait appliquer aux différents situations mises en scène dans les Barons, où l'on peut déceler l'utilisation, le plus souvent ironique et distanciée, de clichés et stéréotypes. Cette grille est illustrée par une premier épisode du film qui pourrait être analysé en grand groupe et pourrait ainsi servir de modèle pour l'analyse d'autres séquences.
Scène 1 | |
Lucien et les barons parlent d'ambition... | |
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Le moment raconté | Juste après l'introduction du film qui permet au narrateur d'expliquer le concept de baron, nous retrouvons nos trois personnages principaux affalés sur l'étalage de légumes chez Lucien, propriétaire d'une petite épicerie. S'ensuit alors un échange verbal entre nos trois jeunes issus de l'immigration et Lucien, l'épicier belge. Lucien : « Molo les gars, vous allez vous froisser un muscle ! » |
Analyse visuelle questions posées pour arriver à ce raisonnement :
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Visuellement, cette scène est très parlante : 3 jeunes d'origine marocaine, glandent, couchés sur l'étalage de légumes de Lucien, l'épicier belge qui, lui, travaille durement alors qu'il semble proche de la soixantaine... Le décor est annoncé, les 3 barons sont bien là pour revendiquer leur attitude avec fierté. Pour aller plus loin, il est intéressant de voir comment le réalisateur joue avec la situation et la pousse à l'extrême. Il est certain qu'aucun épicier ne laisserait des jeunes dormir dans ses légumes. Et même si c'était le cas, quels jeunes iraient se coucher sur un étalage de fruits et légumes ? De plus, il n'existe plus beaucoup de petits épiciers de quartier aujourd'hui et le métier est devenu lui-même obsolète. Tout est donc histoire de caricature, et ces personnages ne pourraient pas vraiment exister tels qu'ils sont représentés. |
Analyse des dialogues questions posées pour arriver à ce raisonnement :
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Ici, Lucien prévient ironiquement Hassan, Mounir et Aziz de se calmer au risque de se froisser un muscle... S'ensuit alors un dialogue sur l'ambition car Lucien leur reproche de ne pas en avoir assez alors qu'eux estiment avoir atteint ce que certains s'offrent après plusieurs années de travail : faire ce que l'on veut quand on veut ! Par contre, Hassan explique à Lucien que s'il veut réaliser son rêve, à savoir s'installer à la mer, il faudra qu'il ait un peu plus d'ambition...Là-dessus, Aziz dit à Lucien : « Dans ta gu... » ! Lucien prend alors sa chaussure pour « corriger » Aziz. Ce dialogue met clairement en évidence l'opposition de point de vue que ces deux générations ont sur le monde du travail. |
Clichés, stéréotypes mis en évidence par l'extrait |
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Origine possible de ces clichés* | Par exemple, le cliché « les jeunes n'ont plus d'ambition/rêves alors que nous, les vieux, nous en avions ! » pourrait être expliqué comme ceci :
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* Il s'agit ici de mettre en évidence la part de réel qui fonde ces clichés, de façon à pouvoir mieux s'en détacher. Cette étape nécessite une bonne maîtrise de certaines données historiques ou sociologiques peut-être peu connues (ou même totalement inconnues) des participants. Par conséquent, nous proposerons à chaque fois, sous forme de questions, quelques pistes pour l'analyse des origines du cliché abordé. Nous conseillons par ailleurs à l'animateur de constituer de petites fiches explicatives susceptibles de se révéler utiles dans le cadre des échanges qui prolongeront la réflexion en petits groupes. |
Scène 2 | |
D'abord, tu payes... ! | |
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Le moment raconté | M. Kader, le père d'Hassan, explique à son fils qu'il faut d'abord compter les sous avant de donner le ticket pour ne pas se faire avoir par un client malhonnête. Sur ces entrefaites, M. David, arrive pour acheter un ticket. M. David remarque Hassan dans la cabine avec son père et demande si c'est lui qui va reprendre le flambeau. Le père d'Hassan répond par l'affirmative. M. David félicite alors Hassan en lui disant : « Mazeltof » S'ensuit alors un bref échange verbal entre M. Kader et M. David car ce dernier veut le ticket avant de payer alors que le père d'Hassan ne donne jamais de ticket sans avoir reçu l'argent : M. David finit par payer avant de recevoir le ticket, et l'extrait se clôture sur cette phrase du père d'Hassan : |
Analyse visuelle
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Analyse des dialogues
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Clichés, stéréotypes mis en évidence par l'extrait | |
Origine possible de ces clichés |
Scène 3 | |
Malika, journaliste... | |
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Le moment raconté | Pendant qu'Hassan répète son one man show dans le cabaret du quartier, un reportage est réalisé. Vient alors le moment de faire connaissance avec Malika. Elle apparaît cheveux dans le vent, sous la lumière d'un projecteur. Hassan la présente comme suit : |
Analyse visuelle
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Analyse des dialogues questions posées pour arriver à ce raisonnement :
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Clichés, stéréotypes mis en évidence par l'extrait | |
Origine possible de ces clichés |
Scène 4 | |
La BMW | |
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Le moment raconté |
Les trois Barons accompagnés de Frank Tabla, sortent sur une musique digne des séries B américaines à la Starsky et Hutch, de l'administration où ils viennent d'aller faire pointer leur carte de chômage. Avec un geste très démonstratif, Mounir exhibe alors une clé de voiture et une BMW noire rutilante apparaît. Alors que les quatre acolytes pénètrent dans la voiture, Hassan juge opportun de nous expliquer comment cela est possible : « Bon là, vous vous demandez sûrement comment un baron comme Mounir a pu se payer une BM ? C'est très simple, la BM... on se l'est payée à huit. », et il nous fait remarquer une chose importante : il n'y a que sept jours dans une semaine, et sept, c'est un nombre premier qui ne se divise que par lui-même. Sur ces mots, il nous met en garde, au cas où l'on voudrait faire un tel investissement. Par la suite, il nous explique que Frank a mis à lui seul la plus grosse partie de la somme (50%) et que donc, les Barons peuvent difficilement le tenir à l'écart de leur bande. |
Analyse visuelle
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Analyse des dialogues questions posées pour arriver à ce raisonnement :
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Clichés, stéréotypes mis en évidence par l'extrait | |
Origine possible de ces clichés |
Scène 5 | |
Mounir, Hassan et deux filles... | |
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Le moment raconté | À contrecœur, Hassan accompagne Mounir, qui a rendez-vous au restaurant avec des filles. Il a dû pour cela renoncer à la première de son one man show, qui devait avoir lieu le soir même. La crainte d'avouer ses activités d'humoriste à son ami l'a donc conduit à un sacrifice énorme. Ils se retrouvent assis à une table face aux deux demoiselles, dans un restaurant arabe diffusant de la musique orientale, dont le décor ressemble à celui d'un riad. Le serveur (Mimoun) vient leur demander ce qu'ils prennent comme apéritifs. Il propose toute une série de boissons : « J'ai des jus de fruits, j'ai des sirops, des eaux gazeuses... ». Mounir le coupe en demandant une eau gazeuse, l'une des jeunes filles, un jus d'orange et l'autre une eau plate en bouteille. Hassan, indécis, finit par commander un Coca-cola. L'ambiance devient tout-à-coup plus pesante, la musique se coupe et le serveur lui lance, sur un ton moins entrainant qu'auparavant : « Tssss... tu l'as vu le projet ? T'as vu les décorations ? Ici il n'y a rien d'américain, ici on boycotte. Tant qu'il y a du sang dans la veine, il n'y a rien d'américain dans ce restaurant, OK ? Parce qu'ici on sévit sur les Américains comme le Baygon... Alors ce sera ? |
Analyse visuelle
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Analyse des dialogues questions posées pour arriver à ce raisonnement :
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Clichés, stéréotypes mis en évidence par l'extrait | |
Origine possible de ces clichés |
Scène 6 | |
Mounir entre dans le cabaret | |
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Le moment raconté | Alors qu'Hassan supplie Jacques, le propriétaire du cabaret, de lui donner une dernière chance de se produire sur la scène, Mounir fait irruption dans le cabaret, incrédule : « Qu'est-ce que tu fais ? Qu'est-ce que tu fous là ? » - Toi, qu'est-ce que tu fais ? Je t'avais dit d'attendre dehors. », rétorque Hassan. Agressif, Mounir ordonne à Jacques de se rassoir et une altercation éclate entre les deux amis : Ils continuent assez longtemps à se parler sur ce ton, jusqu'au moment où Mounir quitte le cabaret en insultant les autres artistes, qu'il traite de « PD » et à qui il demande : « Vous n'avez jamais vu un hétérosexuel ?! » |
Analyse visuelle
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Analyse des dialogues questions posées pour arriver à ce raisonnement :
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Clichés, stéréotypes mis en évidence par l'extrait | |
Origine possible de ces clichés |
Ces quelques remarques pourront, en cas de blocage, être soumises aux participants pour stimuler leur réflexion
En ce qu'il permet une expression de soi et de son corps, le milieu artistique est traditionnellement considéré comme moins viril, moins compétitif. Théâtre, danse, écriture, peinture et autres disciplines artistiques ou littéraires sont ainsi des activités qui permettent de se livrer, d'exprimer ce que l'on ressent, ce que l'on vit... Celles-ci imposent par ailleurs de la finesse et de la précision. Toutes ces caractéristiques font que le milieu artistique est facilement perçu comme un monde essentiellement féminin. En revanche, le sport, considéré comme plus viril en ce qu'il met essentiellement en jeu la force physique, est d'abord associé au « muscle » et à l'univers masculin.
Scène 7 | |
C'est où la gare ? | |
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Le moment raconté |
Perdu dans un quartier résidentiel de Mechelen au volant de la BMW, Mounir cherche la gare où il doit retrouver Frank Tabla. Il ouvre la fenêtre pour demander son chemin à un cycliste : « Hep monsieur ? Ho ! C'est par où la gare s'il vous plait ? |
Analyse visuelle
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Analyse des dialogues questions posées pour arriver à ce raisonnement :
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Clichés, stéréotypes mis en évidence par l'extrait | |
Origine possible de ces clichés |
Ces quelques remarques pourront, en cas de blocage, être soumises aux participants pour stimuler leur réflexion
• À Mechelen, le pourcentage de votes en faveur du Vlaams Belang est très important et de manière générale, la Flandre compte plus de voix en faveur de l'extrême droite que la Wallonie.
• L'élan nationaliste qui se manifeste aujourd'hui en Flandre, remonte en fait à la fin du 19e siècle, à une époque où la communauté flamande luttait pour être reconnue en Belgique (on se souvient par exemple du combat qu'a alors mené l'abbé Daens).
• Mounir est-il Marocain ou Belge ? La réponse à cette question s'avère moins évidente qu'il n'y paraît. Il est vraisemblable que le jeune homme appartienne à la deuxième génération de Marocains installés en Belgique suite à la vague d'émigration déclenchée au Maghreb dans les années soixante. Il s'agissait alors pour les gouvernements européens (Belgique, France...) confrontés à une grave pénurie de main d'œuvre, d'organiser de vastes campagnes de recrutement pour combler les emplois délaissés par la population de leur propre pays. Il y a donc au moins une chance sur deux que, par le biais de la double nationalité ou de la naturalisation, Mounir soit de nationalité belge — et donc dans « son » pays —, malgré ses origines étrangères.
1. L'animisme est une catégorisation largement popularisée par l'ethnologie au 20e siècle pour désigner la croyance en des esprits censés animer les hommes mais également des animaux et d'autres éléments naturels. Deux raisons au moins amènent à critiquer cette notion: il s'agit d'un grand fourre-tout qui met dans le même sac toutes les croyances religieuses de populations extrêmement différentes; par ailleurs, ces croyances sont associées à un état jugé «primitif» (dans un sens implicitement péjoratif) de civilisation. Pour une redéfinition plus restrictive et critique de l'animisme (mais également du totémisme), on pourra se reporter à l'ouvrage de l'anthropologue Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.
2. Voir par exemple à ce propos Françoise Cordier, Les Représentations cognitives privilégiées. Typicalité et niveau de base, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1993.
3. Le philosophe Hilary Putnam propose d'appeler ce genre de notions des «concepts éthiques épais»(thick ethical concepts) parce qu'il est pratiquement impossible de dissocier les deux dimensions descriptive et prescriptive (ou évaluative): c'est d'ailleurs la raison pour laquelle ceux qui utilisent de tels concepts ont l'impression de porter des jugements objectifs alors que ceux qui en sont l'objet en perçoivent surtout l'aspect dénigrant (ou plus rarement valorisant). (Hilary Putnam, Fait/Valeur : la fin d'un dogme et autres essais, éditions de l'Éclat, 2004, éd. or. The Collapse of the Fact/Value Dichotomy, 2002).
4. Dans les sociétés modernes caractérisées par leur complexité, les individus relèvent en général de plusieurs groupes d'appartenance dont ils peuvent se sentir plus ou moins solidaires. Ainsi, une femme peut être cadre et d'origine immigrée et se définir par (au moins) trois appartenances différentes.
5. Pour rappel, les connotations désignent des significations secondes, indirectes, dérivées, plus ou moins subjectives: dans le cas de Banania, la signification dénotée du message était de nature publicitaire, tandis que les stéréotypes raciaux relevaient de la connotation.
6. Les blagues constituent un important véhicule de stéréotypes. En même temps, elles sont souvent perçues de façon ambivalente à cause de leur caractère humoristique. Il est ainsi intéressant de visiter les sites web de «blagues» qui sont regroupées en grandes catégories qu'on peut considérer comme autant de stéréotypes plus ou moins répandus, plus ou moins dénigrants. Parmi les catégories de blagues, on relève notamment celles sur les Belges, les Suisses, les Écossais, les blondes, les brunes, les belles-mères, les femmes, les Noirs, les cannibales (toujours noirs...), les Juifs, les Corses, les Américains, les prostitué(e)s, les fous, les paysans, les fonctionnaires... On remarquera que, même sur ces sites (du moins les francophones), certaines catégories ne sont pas reprises telles quelles (sauf exception), sans doute par peur d'accusations de racisme: c'est le cas en particulier des Arabes, des homosexuels et des handicapés qui, dans la vie courante, sont pourtant l'objet de nombreuses blagues souvent de mauvais goût.
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