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Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
Le Ciel attendra
de Marie-Castille Mention-Schaar
France, 2016, 1h45

Cette analyse consacrée au film Le Ciel attendra de Marie-Castille Mention-Schaar porte sur une série de détails significatifs du film qui éclairent son sens général.

En quelques mots

Mélanie, adolescente de seize ans, cherche un sens à sa vie et au monde en général alors que les jeunes de son âge lui semblent superficiels et inintéressants. Sa mère qui l'élève seule à Créteil en banlieue parisienne est peu présente, et Mélanie entre en contact sur les réseaux sociaux avec un «Prince» qui répond à ses questions existentielles et l'initie aux valeurs de l'Islam. Mais c'est en réalité la première étape d'une radicalisation destinée à lui faire rejoindre les rangs de Daesh.

Parallèlement à ce processus d'endoctrinement, le film montre le destin de Sonia, une jeune convertie qui a été arrêtée alors qu'elle voulait franchir la frontière pour partir en Syrie. Confiée à la surveillance de ses parents abasourdis par cette découverte, elle leur révèle un fanatisme extrême, sa croyance aussi naïve que sincère à la nécessité de faire la guerre et de mourir en martyre pour gagner le paradis. Avec l'aide d'éducateurs spécialisés, elle fera pourtant le chemin inverse de celui de Mélanie, celui d'une lente «déradicalisation» jusqu'à ce qu'elle puisse échapper à cette spirale infernale et reconstruire sa vie.

La richesse du scénario du Ciel attendra réalisé par Marie-Castille Mention-Schaar réside dans ce portrait croisé qui révèle les fins mécanismes d'un endoctrinement qui peut sembler incompréhensible vu de l'extérieur. En cela, le film dépasse la question de l'islamisme et concerne tous les jeunes sensibles à de grands idéaux qui peuvent se révéler de véritables pièges aux mains de manipulateurs habiles.

Public visé

Le Ciel attendra peut être vu par un large public de spectateurs, notamment dans le cadre de l'éducation permanente et dans la perspective d'un dialogue intergénérationnel. Au cœur du film, l'on trouve en effet les relations entre parents et adolescents, relations qui sont ici caractérisées par le silence, l'incompréhension et un dialogue qui semble devenu impossible. La double situation évoquée par le film — deux jeunes filles converties à un Islam radical à l'insu de leur parents et prêtes à partir faire le djihad en Syrie — est sans doute exceptionnelle mais elle peut se retrouver, sous une forme moins dramatique et moins accenutée, dans beaucoup de familles. C'est en cela sans doute que le film ne manquera pas de susciter de vives réactions chez un grand nombre de spectateurs et spectatrices, adolescents ou adultes.

Des détails signifiants

Un film comme Le Ciel attendra ne manque pas de susciter le débat, ne serait-ce qu'entre amis ou connaissances à la sortie d'une salle de cinéma. Dans le cadre de l'éducation permanente, si l'on souhaite mener une réflexion autour de ce film avec un groupe de spectateurs et de spectatrices, il est sans doute important de ne pas l'utiliser comme un simple prétexte pour aborder l'une ou l'autre thématique importante - la radicalisation, les relations entre parents et adolescents - mais d'analyser de façon plus exacte son propos, sa mise en forme, ainsi que les différents éléments significatifs qui contribuent à son sens général. C'est à une telle analyse que l'on souhaite procéder ici en revenant sur quelques détails du film qui peuvent paraître secondaires et être de ce fait facilement ignorés alors qu'ils sont, comme on va le voir à présent, pleinement signifiants.

Dans une œuvre artistique, qu'elle soit littéraire, cinématographique, picturale ou autre, l'auteur en effet ne laisse rien au hasard (ou alors, laisser certaines choses au hasard fait précisément partie de sa démarche). Ainsi, par exemple, il n'est pas innocent que les cours de Mélanie auxquels on assiste dans le film portent sur certains sujets en particulier. Ces sujets, dont on peut penser qu'ils constituent simplement un contexte (Mélanie est à l'école, mais elle n'écoute pas parce qu'elle pense à sa grand-mère qui vient de mourir…) entrent en réalité en résonance avec le film.

Quelques consignes d'observation

Si l'on travaille avec un groupe de spectateurs, l'on peut donner quelques consignes d'observation avant la projection comme :
  • Dans le film que vous allez voir, Le Ciel attendra, il y a plusieurs scènes qui se passent à l'école, pendant un cours auquel assiste Mélanie, la jeune fille rousse. Observez chacune de ces scènes pour définir le sujet du cours et la manière dont il est donné.
  • Dans le film que vous allez voir, Le Ciel attendra, essayez de repérer des images ou des prises de vue qui ont une dimension symbolique.
  • Dans le film que vous allez voir, Le Ciel attendra, essayez de repérer des prises de vue originales ou énigmatiques.
Sinon, le lecteur pourra simplement s'appuyer sur ses souvenirs du film pour parcourir l'anlayse qui suit.

Analyse

Le premier cours de Mélanie auquel le spectateur assiste porte sur Fernand Léger, dont une œuvre est étudiée, une peinture ou un dessin de guerre. Léger était un peintre français actif au début du 20e siècle. Il a été soldat pendant la première guerre mondiale et a réalisé des tableaux et des dessins sur ce thème. Peintre cubiste, ses soldats sont «des hommes machines» comme le dit l'enseignant, des personnages désarticulés, soumis à une force de feu sans précédent… Mélanie n'écoute pas, elle pense à sa grand-mère qui vient de mourir.

Pour le spectateur, ce cours qui parle des hommes-machines de Léger, annonce en quelque sorte la thématique de la guerre, de la destruction des hommes et aussi de leur dépersonnalisation. Les soldats de la guerre 14-18 étaient de la chair à canon, des personnes qui ont été sacrifiées. On peut bien entendu faire un parallèle avec les «soldats» de l'État islamique qui vont mourir pour une cause, mais aussi à toutes les victimes innocentes de l'Etat islamique. Quant à la dépersonnalisation des soldats dans l'œuvre de Léger, elle peut être mise en relation avec la dépersonnalisation progressive des victimes des recruteurs.

Le deuxième cours est consacré à Bel-Ami de Maupassant, dont un extrait est lu à voix haute par un élève : «Toutes les religions sont stupides avec leur morale puérile et leurs promesses égoïstes, monstrueusement bêtes.» Mélanie, qui est désormais sous le charme de Mehdi et qui reçoit de lui des messages à connotation amoureuse, n'écoute pas et ne s'intéresse pas à la critique des religions, alors que la religion est très importante pour Mehdi : dès leurs premiers échanges, il lui a dit qu'il était musulman et que tous les autres croyants se fourvoient et reviendront vers l'Islam…Si l'attention de Mélanie n'est pas portée sur le cours, celle du spectateur est partagée entre le cours (l'environnement de Mélanie) et les messages qu'elle reçoit et dont on entend les mots. Aussi, l'on peut être surpris qu'à la fin du cours, l'enseignant évoque un autre passage de Bel-Ami, bien éloigné du premier, et qui se clôt par «au sortir du lit», et qui évoque les amours de Bel-Ami avec sa maîtresse. Ainsi, en quelques mots seulement, l'on passe de la critique des religions au désir amoureux et au mensonge, ce qui apparaît après coup, comme un formidable résumé de l'histoire de Mélanie…

Le troisième cours porte sur Tartuffe de Molière où l'enseignant s'intéresse particulièrement au personnage d'Orgon. Tartuffe courtise la femme d'Orgon et celui-ci ne se rend compte de rien : il est aveuglé. Cet aveuglement, c'est aussi celui de Mélanie naturellement, qui, séduite par Mehdi, n'imagine pas une seconde qu'il pourrait la tromper. Le lien entre le cours et la situation de Mélanie est donc flagrant[1].

Un quatrième cours[2] porte sur l'Indochine. Mélanie n'écoute absolument pas, elle est très nerveuse, à ce moment-là, elle est harcelée de messages qui la dissuadent de continuer l'école et elle craint de rentrer trop tard pour la prière. En attendant, la prof évoque les lois de la laïcité, le respect des minorités, le principe d'égalité des individus. Ce sont les valeurs de la République qui sont rappelées dans ce cours, même si c'est à l'occasion d'événements où ces valeurs n'ont pas été respectées : une guerre coloniale.

À ce moment, Mélanie est très très loin de la salle de classe et elle manque donc ce qui pourrait être vu comme une dernière mise en garde pour elle : le choix qu'elle s'apprête à faire, c'est renier et même s'opposer aux valeurs démocratiques de la République.

L'on pourrait encore évoquer un autre cours, auquel Mélanie participe réellement cette fois : le cours de gymnastique. Elle évolue sans beaucoup d'assurance sur la poutre et on la voit maintenir tant bien que mal son équilibre, surtout lorsqu'il s'agit de faire demi-tour. Cette séquence est montée en alternance avec des images de la vidéo catastrophiste de Mehdi. Cette vidéo se présente comme un grand melting-pot qui dénonce l'école qui programme les enfants comme des robots, une société corrompue et pleine d'excès : sexe, alcool, perversion, une société soumise à des forces occultes, où finalement la vie des personnes n'a aucun sens. Le but de cette vidéo est précisément de déstabiliser Mélanie, de la faire douter de tous ses repères pour la faire tomber dans le piège du recruteur… Les images de Mélanie sur la poutre sont donc très symboliques de la situation qu'elle vit où son équilibre est précisément très instable.

Les spectateurs auront peut-être relevés d'autres images symboliques ou énigmatiques sur lesquelles il est également possible d'élaborer une interprétation.

Par exemple, à la fin du film, quand Sonia et sa maman sont à la fête foraine, la jeune fille est fascinée par la barbe-à-papa. Pourquoi la réalisatrice s'attarde-t-elle tellement sur le visage de Sonia et sur la fabrication de la friandise ? L'on pourrait dire que le tourbillon de sucre rappelle à Sonia le tourbillon dans lequel elle a été prise : elle s'est laissée embobiner, comme le sucre s'enroule autour du bâton. Nébuleuse, transformation, masse creuse sont des mots que l'on peut utiliser pour parler de la barbe-à-papa mais aussi de l'endoctrinement dont Sonia a été la victime.

On se souvient sans doute que Mélanie, quant à elle, trace la forme dans cœur sur la vitre de sa chambre embuée. Le symbole est évident puisque tout à fait conventionnel. Mais l'on remarque à plusieurs reprises que cette vitre est couverte de gouttelettes de pluie. La grisaille du monde où semble vivre la jeune fille peut bien sûr expliquer son attirance pour un « ailleurs » plus prometteur (même s'il s'agit en fait d'un pays plongé dans une guerre civile brutale). Mais les gouttelettes marquent également la présence de la vitre qui, au lieu d'être pleinement transparente, fait obstacle au regard : Mélanie vit dans un monde clos, déjà refermé sur lui-même.

Marquante également est l'image qui montre Mélanie vêtue d'un niqab en train de jouer au violoncelle dans sa chambre. Prise en contre-jour, elle apparaît un peu comme un fantôme, comme l'ombre d'elle-même. On se souvient d'ailleurs qu'elle renoncera finalement à la musique, abandonnant cet instrument au fond d'une remise au moment où elle partira pour la Syrie. L'image symbolise ainsi de manière frappante la contradiction ou le dilemme du personnage qui va bientôt basculer définitivement dans le fanatisme religieux le plus extrême.

Autre image symbolique : Mélanie entièrement couverte par le niqab entre dans un tunnel : on la voit s'éloigner de dos, la lumière venant de l'extrémité du tunnel… Cette image évoque l'éloignement, le passage à autre chose. Dans le même temps, on entend la voix de Mehdi qui dit : « je vais te demander une chose importante; est-ce que tu es vierge ? ». La perte de la virginité est irréversible… et on a l'impression que le mouvement de Mélanie, qui s'éloigne de sa famille, de ses amis, pour aller vers l'islam radical de Mehdi est lui aussi irréversible.

Cette impression, on peut la voir confirmée, dans cette autre scène à la fin du film où l'on voit encore Mélanie, en niqab, de dos, qui monte cette fois des escaliers. Le sentiment d'éloignement et d'irréversibilité est encore plus fort cette fois. La difficulté à définir ce que sont ces escaliers ajoute au sentiment d'étrangeté : étrangeté de la scène et étrangeté de Mélanie qui n'est plus la jeune fille ordinaire qu'elle était au début du film…

Ce plan un peu énigmatique contraste fortement avec un autre, très proche dans le film : celui de Sonia, en voiture, qui sort la tête par la fenêtre. Contrairement au début du film où, dans la même voiture, elle était centrée sur elle-même, comme sourde à la discussion des adultes à l'avant, elle veut sentir le vent de l'extérieur : elle respire, elle revit, elle est libre.

Ces quelques détails, loin d'être secondaires, sont donc bien significatifs et ils s'inscrivent pleinement dans les deux processus mis en scène par le film : l'endoctrinement islamiste de Mélanie et la déradicalisation progressive de Sonia. On terminera donc cette analyse par un portrait plus complet des deux personnages, tel qu'il se dégage du film.

Mélanie

Au départ, Mélanie présente une personnalité propice : elle est vierge (elle est censée faire un vaccin chez le gynécologue avant les premiers rapports sexuels) et l'on peut imaginer que les hommes, la séduction l'intimident un peu (le regard insistant d'un homme à l'arrêt de bus lui fait détourner le sien). Pas étonnant donc, qu'elle préfère un garçon rassurant, qui lui promet le respect, plutôt qu'un autre entreprenant…

Image du filmElle a des idéaux humanistes ; elle vend des crayons au profit d'une école au Burkina Faso ; elle est attachée à sa grand-mère et elle consacre du temps à aller la voir à l'hôpital. C'est aussi une bonne élève (elle a eu 15 au dernier contrôle de français mais elle estime qu'elle aurait dû avoir une meilleure note) et elle a reçu une éducation musicale, puisqu'elle joue, assez bien, du violoncelle. C'est enfin une jeune fille normale qui sort avec ses copines, fait les magasins et communique volontiers par téléphone et Facebook, particulièrement avec Pauline, sa meilleure copine.

Épris de liberté l'approche délicatement, et l'on pourrait dire qu'il ferre le poisson à la mort de la grand-mère, avec son message de consolation, qui sonne beaucoup plus adulte que les condoléances un peu mièvres de ses copines : il évoque en effet de la mort de son petit frère, semblant ainsi partager une expérience dramatique similaire à celle de la jeune fille[3]. C'est à cette occasion qu'il lui envoie une première vidéo, celle de la savane africaine. Et qu'il annonce aussi qu'il est musulman. Ainsi, il associe dans le même message le sérieux, le respect, le caractère adulte et l'islam.

Épris de liberté commence par séduire Mélanie (elle sourit chaque fois qu'il lui envoie un message ; elle trace un cœur dans la buée après avoir parlé avec lui). Le fait qu'elle n'entre pas dans la salle de classe comme les autres, qu'elle reste assise par terre pour regarder la vidéo indique qu'elle se coupe des autres et de l'école.

Épris de liberté renforce ce lien amoureux en lui envoyant des messages plus explicites, mais toujours très respectueux. Ensuite, il la déstabilise fortement, notamment avec la deuxième vidéo : il se présente comme quelqu'un qui porte un regard critique sur le monde. Avec ses messages, ses vidéos, dont beaucoup ne nous sont pas montrés, il influence fortement la vision du monde qu'a Mélanie. Il la convainc notamment que tout le monde est manipulé, que tout se joue à un niveau supérieur, inaccessible au commun : c'est la théorie du complot. Comme les amis de Mélanie se moquent d'elle à ce sujet, elle s'éloigne sensiblement d'eux.

Elle est alors « captive » en quelque sorte, et Épris de liberté/Mehdi exige d'elle certaines choses, comme par exemple, qu'elle ne parle plus aux autres hommes. Ses exigences vont se multiplier, puisqu'elle ira jusqu'à arrêter de pratiquer le violoncelle parce qu'il le lui demande. Il obtient toutes ces choses à force de flatteries comme « tu es mon diamant brut », qui endorment l'esprit critique de Mélanie. Elle adopte alors un nouveau nom et elle se voile. Elle intègre petit à petit une autre communauté, celle des jeunes femmes voilées. Elle s'est coupée de ses anciennes amies (elle n'ouvre pas à Pauline qui vient sonner chez elle) ; elle révise avec Jamila, qu'elle met finalement dehors parce qu'elle n'est pas assez croyante. Elle est finalement prête à partir en Syrie, pour rejoindre l'homme qu'elle aime et un monde qu'elle imagine meilleur.

En résumé, on pourrait dire que Mélanie est naïve, elle est valorisée, flattée par Épris de liberté, progressivement coupée des autres, harcelée de messages et finalement totalement soumise à la volonté de son « prince barbu ».

Sonia

Sonia est présentée dès le début du film comme une dissimulatrice : elle choisit un sandwich au saucisson, dans lequel elle croque avidement, mais elle va vomir ensuite… Elle prépare un sac dans l'obscurité de sa chambre et regarde par les persiennes sa tante qui plie des serviettes de bain au grand jour. C'est la fin des vacances, mais l'on ressent d'emblée le poids d'un secret. Dans la voiture sur le chemin du retour, Sonia a les mains crispées sur son sac et elle n'entend pas la conversation des adultes à l'avant…

Image du filmL'on apprendra ensuite que Sonia a failli partir pour la Syrie, qu'elle s'est donc « radicalisée » mais l'arrestation dont elle fait l'objet (avec le soupçon qu'elle était prête à commettre un attentat) indique à ses parents qu'elle est restée en contact avec son réseau et qu'elle n'a pas renoncé à sa « foi ». Elle affiche dès lors qu'elle est découverte une attitude de défi, dont l'expression la plus forte est son affirmation face à sa mère : « nous aimons la mort plus que vous n'aimez la vie. »[4]

Lors de sa détention à domicile, Sonia est très tendue : elle semble « en manque » de son réseau. Elle cherche à emprunter le téléphone de sa petite sœur, elle pratique ses rituels en secret, elle fait ses ablutions sans eau depuis que son père la soupçonne d'utiliser la salle de bain pour cela ; elle est aussi parfois en crise, elle croit voir des hommes à l'extérieur, elle est terrorisée. Finalement, elle explique : elle est persuadée que la fin du monde est proche et que mourir en martyre lui aurait permis de sauver 70 personnes, c'est-à-dire d'emmener avec elle au paradis les membres de sa famille. Dounia Bouzar fait émerger ce discours et l'intervention d'un membre de son équipe convainc Sonia d'embrasser sa mère, un premier geste positif en direction de sa famille.

Il s'agit alors de continuer ce mouvement, réinstaller le contact avec ses proches en cherchant à faire renaître en elle la petite fille qu'elle était, notamment en lui rappelant des souvenirs de sa vie passée. Ainsi, Sonia peut finalement retourner à l'école, même si le contact avec l'extérieur lui est souvent pénible.

Elle « rechute » en quelque sorte et se reconnecte avec un téléphone volé, elle en ressent une grande angoisse et va se réfugier dans le lit de sa mère et lui avoue son sentiment de culpabilité. Finalement, lors d'une rencontre avec des parents et Dounia Bouzar, elle raconte son histoire, dit ses sentiments, et déclare surtout la transformation de personnalité qu'elle a subie : « je ne me rendais pas compte, je n'étais plus moi-même ». Elle laisse enfin couler ses larmes.

Ainsi, le parcours de Sonia est à l'exact opposé de celui de Mélanie : on la découvre sous l'emprise de son réseau, obsédée par des croyances absurdes, qui seront déconstruites progressivement, en même temps que la vraie personnalité de Sonia sera restaurée.


1. Dans la séquence précédente, Dounia Bouzar explique aux parents que les recruteurs exploitent le malaise adolescent en disant : « toi qui es révolté par les injustices de ce monde, tu n'as pas le droit de rester aveugle à ces misères ». Un lien supplémentaire est établi autour de cette idée d'aveuglement : les recruteurs jouent précisément sur cette soi-disant capacité de discernement pour séduire et donc aveugler leurs « proies ».

2. On pourra noter encore que dans ces quatre cours, c'est l'enseignant qui parle. Les élèves sont peu sollicités, c'est un enseignement frontal qui rend la distraction de Mélanie assez compréhensible, mais qui va aussi dans le sens de la critique sociale excessive de la vidéo : une école où on programme les cerveaux, où on n'est pas libre de choisir, etc.

3. Cet échange paraît anecdotique mais on peut penser qu'il a joué un rôle déterminant, dans l'évolution de Mélanie même si la jeune fille a pu elle-même par la suite oublier l'événement. Il est en effet souvent plus facile de se confier à un inconnu qu'à des proches, car on ne craint pas d'exposer ses sentiments les plus intimes à quelqu'un qu'on ne voit pas et qui ne nous voit pas et avec qui on ne se sent pas menacé de ridicule, tout en pouvant rompre facilement la relation. Une relation anonyme (ce qui est facile sur Internet) est ainsi souvent plus rapide mais aussi plus sincère qu'avec des personnes réelles que l'on rencontre en face-à-face. En outre son correspondant envoie à Mélanie une réponse particulièrement adéquate. Ses amies se contentent de lui faire part de leur sympathie, ce qui n'appelle aucune autre réponse de la part de Mélanie qui reste seule avec son chagrin ; Épris de liberté en revanche fait part à la jeune fille d'une expérience similaire à la sienne, ce qui « déporte » son attention vers les états d'âme supposés de son correspondant : dans cette situation, qu'a-t-il ressenti, lui ?

4. Cette phrase n'a pas été inventée par Sonia mais est un slogan djihadiste attribué (sous une forme légèrement différente) à Ben Laden et repris entre autres par Mohamed Merah (responsable en particulier d'une tuerie aux abords d'une école juive à Toulouse). La fascination pour la mort, loin d'être propre au djihadisme, est en réalité partagée par tous les mouvements de type fasciste qui exaltent la violence brute. On se souviendra par exemple du cri ¡Viva la muerte! cri de ralliement des franquistes pendant la guerre d'Espagne.

 

En prolongement : les attentats terroristes en France et en Belgique de 2015 et 2016 ont suscité une forte émotion qui a également touché le monde de l'école. Parmi les outils proposés aux enseignants confrontés à cette problématique, signalons l'ouvrage collectif, coordonné par Catherine Bouko et Odile Gilon, en collaboration avec le Conseil Supérieur de l'Éducation aux Médias (de Belgique), Vivre ensemble dans un monde médiatisé. Cet ouvrage est le fruit de la collaboration d'un petit groupe de professeurs et chercheurs (Université Libre de Bruxelles, Université Catholique de Louvain, Université de Liège, Université de Cardiff), avec des spécialistes de l'éducation aux médias, des enseignants du secondaire et des étudiants qui ont décidé de rassembler leurs expertises pour réfléchir sur quelques-unes des notions fondamentales qui forment les piliers de nos sociétés démocratiques, et fournir les supports nécessaires pour conduire ces réflexions en classe : liberté de pensée et de culte, liberté de la presse, laïcité, esprit critique, égalité de traitement des individus.

 

affiche du film

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