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Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
Keeper
de Guillaume Senez
Belgique/France, 2015, 1 h 35


Cette analyse consacrée à Keeper de Guillaume Senez revient sur le thème principal de ce film : la grossesse précoce. On propose de confronter la situation mise en scène avec les résultats de quelques études sociologiques portant sur cette question.

En quelques mots

Mélanie et Maxime, 15 ans, sont amoureux et vivent dans l'insouciance. Très vite cependant, les adolescents découvrent que Mélanie est enceinte. Se pose alors la question de ce qui va arriver, de comment l'annoncer aux parents, de ce qu'il faut faire… Max voudrait garder l'enfant mais Mélanie, elle, hésite. Le temps passe et il devient de plus en plus difficile pour les jeunes gens de supporter la pression engendrée par un si lourd secret. Au bout de trois mois et demi de grossesse, c'est Maxime qui finit par craquer le premier. Bientôt, les deux familles sont réunies pour discuter de la situation. Si les parents de Maxime se montrent ouverts aux différentes solutions qui se présentent, la mère de Mélanie est en revanche déterminée à envoyer sa fille en Hollande pour y avorter en toute légalité. Mais c'est sans compter avec la décision de l'adolescente, tout aussi déterminée à garder l'enfant…

C'est avec beaucoup de simplicité, de justesse, d'authenticité et d'émotion que Keeper explore le thème de la grossesse adolescente. L'originalité du film tient plus particulièrement au fait que la thématique est abordée du point de vue masculin, à travers le regard idéaliste de Maxime, un adolescent pas forcément conscient des contraintes et responsabilités inhérentes à l'éducation d'un jeune enfant. Tout cet optimisme un peu béat se heurte dans le film à la lucidité crue de la mère de Mélanie, elle-même confrontée dans sa jeunesse à une grossesse non désirée puis à la dure réalité d'un enfant à élever seule.

À quels spectateurs est destiné le film?

Le film pourra être vu par un large public intéressé par la problématique de l'adolescence et des grossesses précoces

Analyse

La grossesse et la maternité précoces font régulièrement l'objet d'études scientifiques permettant, entre autres, de dégager un certain nombre de facteurs susceptibles de favoriser leur survenue et d'identifier ainsi les populations à risque. L'objectif de l'analyse que nous proposons est de confronter le film Keeper avec quelques résultats[1] mis en évidence par de telles approches. Pour ce qui est des données chiffrées, nous nous en tiendrons à la situation en Belgique, en notant toutefois qu'une telle analyse peut être réalisée pour n'importe quel autre pays.

La grossesse précoce en Belgique : Quelques chiffres

En Belgique, le taux de fécondité des adolescentes est en diminution significative depuis la fin des années soixante, principalement en raison de l'allongement de l'obligation scolaire et d'une large diffusion des moyens de contraception moderne. Selon les résultats d'une enquête menée en 2001 par l'UNICEF, les taux de naissances et d'avortements déclarés chez les jeunes filles âgées de 15 à 17 ans y est l'un des plus bas d'Europe et du monde, le pays se situant au 6ème rang mondial avec un taux de 1 à 2 pour mille[2]. Les naissances vivantes ou les accouchements parmi les adolescentes de moins de 15 ans restent par ailleurs un phénomène rare, avec une moyenne annuelle estimée à 10 pour l'ensemble de la Communauté française de Belgique. Enfin, le taux d'avortement déclaré chez les adolescentes de moins de 19 ans y est également l'un des plus bas, se positionnant à la quatrième place juste derrière la Grèce, les Pays-Bas et l'Espagne (5,2 IVG pour 1000 adolescentes).

Sur base des données fournies par la banque de données médico-sociales de l'ONE en Communauté française de Belgique en 2003, des chercheurs[3] associent le phénomène de la grossesse adolescente à trois types de facteurs : résider en Région wallonne (et davantage en Hainaut que dans les autres provinces) ; être originaire d'un pays d'Afrique subsaharienne - en particulier à Bruxelles -, 80 % des mères adolescentes étant toutefois de nationalité belge ; et surtout, vivre dans une situation de précarité sociale. Toujours selon ce même rapport, 58,5 % des mères adolescentes en Communauté française de Belgique vivent en couple, 33,9 % chez leurs parents et 3,9 % en maison maternelle ; 975 IVG d'adolescentes de moins de 18 ans ont été enregistrés, dont 65 concernent de très jeunes filles de moins de 15 ans. Le recours à l'interruption de grossesse est un peu plus fréquent en Région de Bruxelles-Capitale qu'en Région wallonne ou qu'en Région flamande et il est surtout beaucoup plus marqué chez les adolescentes issues de milieux sociaux défavorisés.

Les chiffres officiels de 2009 confirment cette tendance. C'est la Wallonie qui garde les proportions les plus élevées de mères de moins de 20 ans (3,7 %), et la Flandre les taux les plus bas (2,0 %). Globalement, on observe une diminution des proportions de naissances chez les femmes jeunes (moins de 20 ans) dans toutes les régions, mais c'est à Bruxelles que cette diminution est plus marquée : de 3,3 % en 2001 à 2,5 % en 2009)4.

Répartition géographique des mères de moins de 20 ans en 2013
Fédération Wallonie Bruxelles Nombre Pourcentage*
Bruxelles 286 1,7%
Brabant wallon 49 1,4%
Hainaut 447 3,1%
Liège 215 2,0%
Luxembourg 64 1,8%
Namur 95 1,8%
* Pourcentage par rapport au nombre total de naissances.

Grossesse précoce : quelques facteurs d'influence

Bien que la plupart des experts s'accordent pour affirmer qu'il n'est guère possible d'établir un profil type des mères adolescentes, on constate toutefois que les jeunes femmes issues de familles socialement et économiquement défavorisées sont relativement plus exposées au risque de grossesse. Cette tendance s'applique invariablement à tous les pays et permet d'affirmer que la faiblesse des revenus et la pauvreté sont des facteurs déterminants dans la survenance des grossesses précoces.

Cependant, d'autres facteurs s'ajoutent à la dimension économique, notamment les facteurs d'ordre socio-culturel, tels que les expériences et savoirs reçus dès la petite enfance. La qualité de l'éducation parentale et la stabilité du noyau familial sont ainsi des éléments prépondérants. Il est souvent noté que les grossesses chez les très jeunes mineures, tout particulièrement en France, sont plus souvent liées à des traumatismes résultant de violences sexuelles que celles des jeunes filles de plus de 16 ans. Pour ces dernières, la grossesse correspondrait plus souvent à une logique de stabilisation de la relation de couple et d'accès à un statut et une reconnaissance sociale compensant un manque de perspectives professionnelles.

En résumé, l'on peut dire qu'il n'existe pas de cause unique susceptible d'expliquer la maternité précoce, les recherches contemporaines identifiant un faisceau de variables d'ordre économique, sociologique et psychologique. Interviennent également des facteurs comme la religion - ainsi le poids de l'Église catholique, opposée à l'IVG, dans des pays comme l'Irlande, l'Espagne ou l'Italie -, ou encore les modes de relations entre adolescents et adolescentes, les difficultés de communication avec les parents. Par ailleurs, il est établi que les enfants ayant vécu sans leur père ont moins le sens de la réalité que ceux qui ont vécu avec leurs deux parents, et ce toutes catégories sociales confondues. Une étude récemment réalisée auprès d'un échantillon de 800 jeunes mères en Nouvelle-Zélande et aux Etats-Unis[5] a permis de confirmer que l'absence du père biologique à la suite d'un divorce ou d'une séparation augmentait les comportements sexuels à risque chez les adolescentes, et donc leur propension à devenir enceintes. Cette relation causale entre monoparentalité et grossesse adolescente est observée dans toutes classes sociales confondues et n'est donc pas affectée par le niveau des revenus familiaux ou l'origine ethnique.

L'étude montre également que la probabilité de concevoir un enfant à l'adolescence est en relation étroite avec l'âge qu'avait la jeune mère au moment de la séparation de ses parents. Ainsi, les jeunes filles dont le père a quitté le domicile familial durant la période de la petite enfance seront plus susceptibles de tomber enceintes.

Enfin, cette étude établit que parmi la liste des problèmes psychiques ou comportementaux (anxiété, dépression, suicide, actes de violence, prise de drogue, etc.), aucun n'est aussi fortement lié à l'absence du père que celui de la grossesse précoce[6].

Plusieurs études indiquent d'autre part qu'une mère adolescente voit diminuer ses chances de poursuivre des études ou d'obtenir un emploi et augmenter le risque de se retrouver chef de famille monoparentale et de vivre dans la pauvreté. Tous pays confondus, les conséquences sociales principales sont ainsi l'interruption de la scolarité, le risque d'exercer un emploi sous-qualifié, le risque d'isolement social et familial - susceptible d'accroître à son tour le degré de pauvreté et d'exclusion des jeunes mères - ainsi qu'un risque accru de rencontrer des problèmes de santé, comme la dépression par exemple.

L'adolescent confronté à une grossesse précoce : un portrait peu étayé par la littérature

Dans la littérature scientifique, la paternité adolescente n'est que rarement abordée et c'est seulement au début des années 80 que les chercheurs commencent à s'intéresser aux jeunes pères. Les données disponibles concernant leurs caractéristiques sociodémographiques proviennent principalement d'entrevues avec des adolescentes enceintes et concernent les États-Unis. Parmi ces adolescents et adolescentes qui deviennent parents, la plupart ne termineraient pas leur parcours scolaire.

Des études menées sur base d'interviews de ces tout jeunes pères indiquent que la majorité d'entre eux éprouvent un fort sentiment d'obligation à l'égard de la mère et de leur enfant, ce qui remet en question la représentation commune qui en fait des adolescents indifférents et irresponsables. Certains auteurs ont relevé que les pères adolescents ne percevaient pas la grossesse de leur partenaire et leur nouveau statut de père comme un élément perturbateur, pas plus qu'ils ne considéraient la paternité comme nuisible à leur avenir, une attitude identifiée surtout auprès des adolescents désavantagés sur le plan socioéconomique. La quasi-totalité des pères adolescents éprouvent le désir d'être impliqués dans les décisions concernant la grossesse, depuis l'annonce de la fécondation au résultat de l'éventuelle décision de garder ou non l'enfant, et environ un tiers d'entre eux le sont effectivement. Enfin, ces adolescents se montrent davantage impliqués après la naissance de l'enfant que les jeunes pères qui en ont été tenus à l'écart.

Quant à la poursuite des relations avec leur nouvelle famille, elle est estimée à deux ans. Dans une majorité de cas, on relève en effet une dégradation de la relation entre les jeunes parents due, selon certains auteurs, à la difficulté pour le couple de gérer simultanément les difficultés associées à la parentalité et celles liées au développement normal à l'adolescence.

Commentaires

Il est évidemment très intéressant de confronter des données sociologiques objectives avec la situation mise en scène dans le film Keeper. Cela permet de mesurer le caractère relativement rare de cette situation ou plus exactement de certains de ses aspects comme la stabilité des cellules familiales des deux adolescents ainsi que leur situation économique relativement aisée (surtout celle de Mélanie). La volonté du jeune Maxime d'assumer sa paternité est également originale sans pouvoir être qualifiée d'exceptionnelle.

Bien entendu, un film ne prétend pas être une représentation exacte d'une réalité sociale. Au contraire. Les spectateurs doivent être conscients du caractère nécessairement singulier des situations mise en scène dans la fiction cinématographique, tout en remarquant que c'est précisément cette singularité qui fait l'intérêt de ce type de film : en définitive, la situation vécue par les individus, même si elle comporte nécessairement un composante sociale, reste une aventure singulière qui doit être abordée (et parfois résolue) en tant que telle. Les personnages de Mélanie et de Maxime ne sont pas des images fidèles de la réalité et encore moins des exemples à suivre, mais à travers eux, nous pouvons réfléchir aux comportements et réactions qui pourraient être les nôtres dans une telle situation.


1. Nous nous limiterons ici aux données susceptibles d'être mises directement en lien avec le film de Guillaume Senez: sa problématique (la grossesse précoce accidentelle survenant dans le cadre d'une relation amoureuse entre deux adolescents) et son contexte (la Belgique au début du 21e siècle). Ne seront donc pas prises en compte ici ni les grossesses précoces issues de viol ou de relations incestueuses, ni les données concernant les autres continents, confrontés à des réalités qui ne sont pas comparables.

2. On observe une nette différence entre les pays anglo-saxons, qui affichent des taux très élevés de grossesses adolescentes — 22% aux États-Unis, 14% en Nouvelle-Zélande et 13% au Royaume-Uni — et des pays comme la Suisse (2%), les Pays-Bas (3%) ou la Suède (3%), qui contrôlent beaucoup mieux le phénomène.

3. Beghin et al., 2006.

4. Mineures enceintes: état des lieux en Communauté française de Belgique, Nathalie Cobbaut, Fondation Roi Baudoin, mars 2009, Bruxelles.

5. Ellis et al. (2003), «Does father absence place daughters at special risk of early sexual activity and teenage pregnancy?»

6. On peut supposer que les résultats de cette étude portant sur l'impact de l'absence du père dans la survenue de comportements sexuels à risque et de grossesses précoces chez les adolescents aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande peuvent être étendus à l'ensemble des sociétés industrialisées.

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