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Une analyse réalisée par le centre culturel Les Grignoux
et consacrée au film
Dark Waters
de Todd Haynes
États-Unis, 2019, 2h08
avec Mark Ruffalo, Anne Hathaway, Tim Robbins


Le film Dark Waters, accessible aux spectateurs dès 15 ans environ, permet d'ouvrir le débat avec un large public sur la pollution, l'environnement et la santé.

C'est par ailleurs un outil intéressant pour que les professionnels de l'éducation et de l'animation puissent débattre avec des participants de tout âge et de tous horizons de l'impact de la pollution industrielle chimique sur l'environnement et les populations. Ce long métrage militant permet de décrypter le fonctionnement de la démocratie avec son pouvoir et ses contre-pouvoirs, le rôle crucial des lanceurs d'alerte. Il interpelle sur la façon dont tout un chacun se forge une opinion, et sur la manière dont tout citoyen peut devenir acteur de ce débat contradictoire qui constitue le cœur de la démocratie.

En quelques mots

Dans Dark Waters, le cinéaste Todd Haynes porte à l'écran l'histoire vraie de Robert Bilott, incarné par Mark Ruffalo. Photo du filmCet avocat s'est battu avec pugnacité pendant vingt ans pour faire reconnaître l'implication de la firme DuPont dans la pollution de l'eau potable par le PFOA, composé chimique utilisé dans la production de Téflon. L'exposition répétée à ce composant a entraîné des maladies au sein des travailleurs et des populations voisines de l'usine en Virginie. Afin de faire éclater la vérité, Bilott va risquer sa carrière, sa réputation et toute sa vie de famille.

Le film est présenté sous la forme d'un film-enquête et apporte une grande quantité d'informations. La force du réalisateur a été d'induire un rythme soutenu et une tension palpable, rendant le film haletant et passionnant.

À quels spectateurs est destiné le film ?

Avec son intrigue à caractère policier et judiciaire, le film est accessible à un large public, dès 15 ans.

Relations avec la problématique santé

Le film suscite de multiples réflexions sur la question de l'impact des polluants persistants sur la santé. Le film permet de sensibiliser les spectateurs, quel que soit leur âge, à un scandale de santé publique.

Quelques pistes de réflexion

L'on proposera ici quelques pistes pour, après avoir regardé le film, mener un dialogue construit avec des spectateurs d'âges et d'horizons différents.

La motivation des auteurs du film

La question initiale d'un débat pourrait être :

— Pourquoi le réalisateur, Todd Haynes, et l'acteur principal, Mark Ruffalo, ont-ils choisi de porter à l'écran cette histoire vraie ? Les spectateurs peuvent-ils percevoir, à travers certains choix, les opinions et les intentions des auteurs ?

Photo du filmLe film est engagé. Mark Ruffalo, actif militant, est connu pour ses positions écologistes. C'est lui qui, après la lecture d'un article du New York Times relatant l'affaire[1], décide de porter à l'écran ce scandale et présente le projet à Todd Haynes qui, « choqué », accepte le challenge. Au moment de la sortie du film Dark Waters, Marc Ruffalo, accompagné de Todd Haynes et de Robert Bilott, a tenu une conférence de presse au Parlement européen pour mettre en lumière ces pollutions. Selon lui, le film contribue à « éduquer les gens » pour qu'ils puissent agir et prendre conscience de la dangerosité de telles substances pour la santé. Le film est construit de manière didactique : les différentes informations glanées et analysées par Bilott sont expliquées posément et clairement. Cela permet au spectateur d'accéder à une synthèse des découvertes. En réservant à Bilott le rôle de délivrer ces informations, les auteurs ont assez clairement « choisi leur camp ».

Se forger une opinion

Afin d'approfondir la réflexion, les questions peuvent être plus précises :

— Ce film est-il pertinent pour démontrer les dommages de certains produits chimiques sur la santé ?

— Les médias présentent souvent l'avis d'experts sur ce genre de sujets, pourquoi en faire un film ?

Le film repose sur une confrontation de différents points de vue plus ou moins argumentés : un fermier, un avocat spécialisé dans les questions environnementales, un cadre de DuPont, des experts, des juges, des avocats, etc. Les différents personnages ont des motivations et des intérêts différents, souvent contradictoires. La confrontation de ces différents avis peut cependant laisser perplexes les spectateurs. Photo du filmC'est imputable à la complexité de l'histoire mais certainement aussi voulu par les auteurs pour que le spectateur soit dans une situation comparable à ce que les protagonistes — en particulier, Bilott — vivent et ressentent : l'avocat est littéralement « noyé » sous une somme d'informations qu'il doit classer et comprendre. Le spectateur, qui découvre les informations en même temps que Bilott, est invité à se forger une opinion, à acquérir une certitude subjective malgré la confusion apparente des protagonistes. Cette présentation met également au jour les rapports de force dans un débat et les pratiques malhonnêtes de grandes entreprises.

Par ailleurs, même s'il est basé sur des faits réels, Dark Waters est un film de fiction qui implique un travail de mise en scène et de reconstitution. Peut-on y croire ? Quel crédit peut-on lui accorder ?

Le projet des auteurs du film pose ainsi une question plus large : comment se faire une opinion dans une société démocratique qui est caractérisée par la diversité des points de vue, des intérêts et des formes de représentation (comme le cinéma) ? Comme Bilott, nous sommes invités à rechercher des informations complémentaires, à essayer de nous orienter vers de multiples sources extérieures.

— Où trouver d'autres sources d'informations ? Où trouver de l'information fiable ?

— Les différents spectateurs ont-ils par exemple déjà consulté des articles scientifiques pour vérifier certaines affirmations ? Si ce n'est pas le cas, comment appréhender des sujets complexes et rester critique par rapport ces informations ?

De telles questions se posent bien sûr dans de nombreuses problématiques d'éducation à la santé où l'on est confronté à une diversité d'avis plus ou moins bien étayés.

Dark Waters a par ailleurs une dimension judiciaire qui permet de poser des questions spécifiques :

— Un cas, celui du fermier dont le bétail est malade, est-il une preuve ?

— Une décision de justice est-elle particulièrement crédible ? Quel poids peut-on lui accorder ?

L'on peut également demander aux spectateurs si leur avis a évolué suite à la vision du film : feront-ils plus attention aux informations données par les « experts », en fonction de la position que ces personnes occupent et de leurs intérêts ?

L'environnement comme déterminant de santé

Le film permet également d'engager une réflexion plus générale sur l'influence possible des matières polluantes sur la santé. On pourrait ainsi demander aux participants :

— Pensez-vous être exposé à des substances dangereuses comme celle évoquée dans Dark Waters ? Connaissez-vous certaines substances dangereuses pour la santé qui pourraient être présentes dans votre environnement ?

— Avez-vous déjà entendu parler de polluants précis ? Ou la pollution est-elle seulement, à vos yeux, une menace générale ? Y a-t-il pour vous une différence entre pollution et pesticides, substances cancérogènes, etc. ?

— Quelle est, à votre avis, l'importance de cette menace pour la santé humaine ? Existe-t-il des menaces plus graves que celle-là dont il faudrait se préoccuper en priorité, comme une pandémie ?

— Certaines personnes sont-elles plus exposées que d'autres à ce genre de menaces ? Certains pays sont-ils confrontés plus spécifiquement à ce type de menaces ?

Ces questions sont susceptibles de donner lieu à des débats mais également à de nécessaires recherches documentaires.

Photo du filmTous les exemples de pollution ne sont pas aussi évidents que celui montré dans le film. La gravité des pollutions est très variable, et certaines populations ou certains groupes (comme des travailleurs ou des habitants vivant à proximité d'une usine) y sont plus exposés que d'autres. Aux déterminants généralement mis en lumière et liés à la pollution des milieux (eau, air) et aux comportements, nous pourrions ajouter la fabrication en masse et la consommation de produits industriels. La possibilité de fabrication de nouvelles substances chimiques n'a jamais été si importante et constitue de nouveaux facteurs de risque[2]. Les composants chimiques sont souvent non réglementés, et leurs effets sont peu voire pas connus. Beaucoup de personnes et d'associations militent pour que le principe de précaution prime sur l'économie.

En Europe, le règlement REACH, mis en vigueur en 2007, vise notamment à inverser la charge de la preuve : ce ne sont plus les agences publiques qui doivent démontrer la toxicité d'un produit mais les industriels qui sont tenus de prouver que les molécules utilisées ou mises sur le marché ne sont pas nocives[3].

La fixation du seuil et de la norme est certainement une question complexe. Les « normes » établies par la toxicologie ne démontrent que les effets à court terme. Des études épidémiologiques, comme celles établies dans le cadre de cette affaire, révèlent le risque pour le vivant après une longue période de consommation ou d'exposition. L'affaire DuPont a clairement montré la toxicité du PFOA, utilisé pour fixer le téflon, au-dessus d'un certain seuil. Cependant, il est soupçonné d'être un perturbateur endocrinien : une substance qui, même à faible dose, a des répercussions sur les fonctions biologiques de l'être humain en perturbant notre système hormonal.

On relèvera encore que, si la recherche du profit — bien montrée dans Dark Waters — peut avoir de lourdes conséquences sur l'environnement, d'autres exigences sociales peuvent s'opposer à la santé publique comme la préservation de l'emploi également évoquée dans le film.

La question de la responsabilité

Le film pose enfin la question des responsabilités dans le cas d'une pollution majeure comme celui évoqué. Quels sont alors les individus et les groupes qui sont en présence et qui s'opposent à ce sujet ?

Au moins trois acteurs essentiels sont identifiés :

— les citoyens (un groupe non uniforme et souvent divisé) ;

— des firmes privées dont les intérêts ne sont certainement pas les mêmes que ceux des citoyens ;

— l'État, normalement garant de la santé publique.

Photo du filmCes trois acteurs apparaissent dans un grand nombre de situations où la santé publique peut être affectée par des facteurs environnementaux. Les moyens d'action et les objectifs ne sont évidemment pas les mêmes dans chacun de ces groupes.

Dans un premier temps, l'on peut interroger les différents spectateurs sur les trois « acteurs ».

Les citoyens : connaissez-vous des groupes de citoyens ou des organisations qui se mobilisent contre des pollutions chimiques ou industrielles ? Avez-vous envie d'en faire partie ?
Pensez-vous pouvoir agir individuellement contre d'éventuelles pollutions ? Adopteriez-vous des comportements visant à vous protéger d'éventuels polluants ?

Les firmes privées : quelles sont les industries polluantes ? Toutes les industries polluent-elles ? Ces pollutions sont-elles dangereuses pour la santé ? Pourquoi sont-elles autorisées ? Dans quelles conditions ?

Les pouvoirs publics : quel doit être leur rôle ? Connaissez-vous des organismes publics en charge des problèmes de pollution ? Quel est leur pouvoir ? Qui édicte les normes en matière de pollution ? Qu'est-ce qu'on entend par « santé publique » ? Est-ce uniquement la gestion des hôpitaux ? Ce rôle est-il plus large ?

Si les participants ont peu de références sur ces questions, une recherche encadrée sur internet, avec des mots-clés comme « scandale sanitaire », « groupement citoyens », devrait permettre d'accéder à des informations pour alimenter et enrichir le débat.

Photo du filmDans un second temps, l'on peut demander aux participants si les responsabilités mises en avant dans le film sont d'ordre individuel ou collectif.

La santé environnementale a évolué d'un modèle individuel, centré sur l'agir de chaque individu, vers un modèle axé sur la communauté et la participation de ses différents acteurs dans un agir collectif ; c'est du moins ce qu'il est nécessaire de mettre en place pour que fonctionnent les politiques de santé environnementale.

Dans Dark Waters, il ne s'agit pas de responsabilité personnelle des individus comme pour la consommation de tabac ou d'alcool. Ici, la responsabilité de l'entreprise DuPont est largement évoquée, et l'un des enjeux du procès est de faire reconnaître sa responsabilité dans l'apparition de certaines maladies. Le tribunal imposera à l'entreprise le contrôle médical continu (medical monitoring) de toutes les personnes susceptibles d'avoir été contaminées. Si la responsabilité de cette firme privée est donc clairement établie, l'ensemble des événements doit être vu sous l'angle sociétal puisque c'est toute une population qui est victime des agissements de DuPont et que seule une action publique (essentiellement judiciaire) peut y mettre fin sous la pression citoyenne.

Pour conclure, on peut néanmoins se poser la question de notre responsabilité de consommateur - qui n'est évoquée qu'indirectement dans le film -, c'est à dire acheter en toute connaissance de cause des produits contenant du PFOA et les utiliser. Certes, pour le consommateur individuel, le risque – en terme d'impact négatif sur sa santé - est minime (certainement beaucoup moins important que la consommation d'alcool, de tabac ou l'absence d'exercice physique). Mais cet achat individuel peut contribuer à dégrader l'environnement collectif. En d'autres termes, nos modes de consommation impactent - à travers la production de nombreux produits et sans doute de manière irréversible - notre environnement. Dark Waters pose ainsi de nombreuses questions sur des choix sociétaux qui mettent en cause la santé publique.


1. RICH Nathaniel, « The Lawyer Who Became DuPont's Worst Nightmare », in The New York Times Magazine, 6 janvier 2016.

2. À ce propos, voir DAB William, Santé et environnement, Paris, 2020, pp. 54-57.

3. Pour de plus amples informations, voir https://echa.europa.eu/fr/regulations/reach/understanding-reach.

Affiche du film


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