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Une analyse réalisée par le centre culturel Les Grignoux
et consacrée au film
La Fille inconnue
de Jean-Pierre et Luc Dardenne
Belgique, 2016, 1h46


En quelques mots

Jenny Davin, jeune médecin généraliste, n'ouvre pas la porte à un coup de sonnette intempestif, une heure après la fermeture de son cabinet. Le lendemain, la police lui apprend qu'il s'agissait d'une jeune femme à l'identité inconnue dont le corps sans vie a été ensuite retrouvé à quelques pas du cabinet. Cette révélation provoque une prise de conscience de Jenny qui entreprend de découvrir l'identité de cette jeune fille et qui reconsidère également le sens de propre métier.

À quels spectateurs est destiné le film?

Avec son intrigue d'apparence policière, le film des Dardenne est accessible à un large public d'adolescents à partir de quinze ans environ, même si l'on perçoit facilement le sérieux des thèmes qu'il aborde à travers le destin de cette fille inconnue.

Relations avec la problématique santé

La Fille inconnue dresse un portrait nuancé d'une femme médecin confrontée à une diversité de patients aux demandes multiples qui dépassent souvent le cadre strict des soins. C'est donc l'occasion de s'interroger sur le rôle des généralistes, sur leur image dans le public et sur la place qui est aujourd'hui la leur dans la société. Mais, en adoptant le point de vue de Jenny, les Dardenne jettent également un regard critique sur cette société et les maux qui s'y développent souvent de façon peu visible et sournoise.

Quelques pistes de discussion

Un portrait généraliste ?

La Fille inconnue propose le portrait d'une médecin généraliste dont on ne peut pas décider a priori s'il est représentatif de l'ensemble de cette catégorie professionnelle. Il est donc intéressant d'interroger les spectateurs, jeunes ou moins jeunes, sur leur image des généralistes en la confrontant avec celle de Jenny. Des questions relativement naïves peuvent ainsi lancer la discussion comme : « Aimeriez-vous avoir cette jeune femme comme médecin ? » ou « Pensez-vous qu'elle agit correctement comme médecin ? » ou encore « Certaines de ses réactions vous ont-elles déconcertés ou paru malvenues ? »

On rappellera à ce propos quelques séquences significatives :

  • Elle refuse d'ouvrir la porte de son cabinet après l'heure de la fermeture.
  • Elle accepte de rendre visite à un jeune enfant cancéreux qui insiste pour la voir.
  • Elle refuse de donner un certificat médical de complaisance.
  • Elle rassure un ouvrier blessé qui craint de se rendre à l'hôpital parce qu'il n'a pas de papiers d'identité en règle.
  • Elle se rend chez le jeune Bryan en l'absence de sa mère sous un faux prétexte.
  • Elle insiste au téléphone pour qu'une jeune toxicomane en demande de méthadone se présente correctement en précisant notamment son identité.
  • Elle téléphone au centre d'aide sociale pour qu'on rouvre le gaz chez un patient qui ne peut pas se déplacer.
  • Elle reçoit d'une patiente un panettone (qu'elle lui lance d'ailleurs par la fenêtre)
  • Sur l'insistance du père de Bryan qui est immobilisé au sol par une crise de lumbago, elle se contente de lui faire une piqure de morphine sans le faire transporter à l'hôpital.
  • Elle pousse le responsable de la mort de la fille inconnue à téléphoner à la police.

Deux traits semblent caractériser cette jeune médecin. D'une part, elle noue des relations personnelles avec ses patients, comme en témoigne en particulier le jeune adolescent cancéreux. De ce point de vue, on perçoit facilement la différence de relation avec les spécialistes : comme patients, nous nous adressons à ceux-ci dans un cadre beaucoup plus professionnel, pour une demande qui est en principe plus circonscrite. Cette dimension personnelle du rapport au généraliste explique aussi que la réponse médicale tienne compte des réactions singulières du patient : Jenny fait ainsi confiance au père de Bryan qui insiste pour ne pas être hospitalisé et dont elle devine qu'il y a une part largement psychologique dans sa douleur.

Cette dernière situation fait déjà apparaître une autre caractéristique importante : Jenny ne se limite pas à des soins purement physiques ou physiologiques mais prend en compte toute la personne du patient. On pourrait parler de médecin des âmes mais cette expression un peu vieillie (et peut-être condescendante) ne recouvre pas encore l'ensemble de ses actions. Elle joue, même si c'est brièvement, le rôle d'assistante social et même de conseillère juridique (vis-à-vis du travailleur en situation irrégulière). Plus étonnant sans doute est son comportement que l'on pourrait qualifier de parental à l'égard de la jeune toxicomane : elle lui apprend littéralement les bonnes manières !

On peut donc parler d'un rapport flou ou flottant entre la jeune généraliste et ses patients. Cela peut expliquer notamment le fait qu'un jeune couple puisse lui demander un certificat de complaisance. Pour ces deux jeunes gens, il ne s'agit sans doute que d'une simple faveur personnelle qui ne dépendrait que de la bonne ou mauvaise volonté de Jenny. Et l'on peut même penser qu'ils estiment que leur demande est légitime si l'on tient compte de la situation difficile qui est certainement la leur. Bien entendu, Jenny doit obéir à une déontologie dont elle rappelle à plusieurs reprises certains principes (comme celui du secret médical).

Même si elle peut paraître évidente, cette dimension personnelle sinon familière de la relation au généraliste mérite d'être soulignée.

Une patientèle contrastée

Un deuxième axe de réflexion concerne les patients du docteur Davin. Bien qu'ils ne soient vus que de façon relativement brève à travers les consultations de la jeune médecin, on remarque facilement un grand nombre de notations concernant leur situation sociale défavorisée.

Un élément de l'intrigue joue de ce point de vue un rôle décisif. Peu de temps après avoir appris le décès de la fille inconnue qui avait sonné vainement à sa porte, Jenny décide en effet de reprendre le cabinet du docteur Habran chez qui elle était en stage et qui vient de partir à la retraite. Celui-ci signale en effet que ses patients sont tous ou à peu près « au tarif mutuelle » (c'est-à-dire de patient ne pouvant pas payer de suppléments d'honoraires[1]).

Les spectateurs un peu avertis remarquent sans doute facilement que le cabinet du docteur Habran se situe dans une banlieue industrielle, frappée par la crise et marquée par le sous-emploi et différentes formes de pauvreté sinon de misère. Les frères Dardenne ont en effet choisi depuis leurs premiers films de tourner à Seraing dans la banlieue liégeoise, dont on reconnaît les décors, les sites et même les personnages (ou certains types de personnages).

Un bref rappel des différents patients, qui sont parfois à peine entraperçus, devrait permettre de lancer la réflexion sur l'image sociale qui transparaît à travers ces différents portraits. On se souviendra par exemple de Monsieur Remacle, le patient atteint d'emphysème qui fait une bronchite, d'Isabelle, la mère de Bryan, venue pour une prise de sang dont on comprend qu'elle souffre d'alcoolisme, du patient blessé à la jambe qui refuse d'aller à l'hôpital, d'Alain Thirion, le patient diabétique qui souffre d'une plaie hadicapante au pied, de Madame Basia, qui se remet d'une pneumonie et qui craignait de mourir seule à l'hôpital, de la toxicomane qui téléphone pour de la méthadone, etc.

Certaines caractéristiques sont évidentes comme l'âge avancé de nombreuses personnes, ainsi cette vieille femme à qui Jenny donne le bras symboliquement pour accéder à son cabinet à la fin du film. Plus significatif est l'isolement sinon la solitude de plusieurs patients, notamment de ces femmes âgées qui ne sont accompagnées par aucun proche même en cas d'hospitalisation. Les pérégrinations de Jenny au cours de son enquête révèlent également le caractère ténu des relations familiales, qui sont souvent réduites à un binôme : ainsi, le fils Lambert qui loue le service de prostituées pour son père à l'hospice, ou Isabelle qui élève seule ses deux enfants qu'elle laisse le soir pour aller travailler, ou encore le père de Bryan qu'on voit seul aussi dans son appartement, immobilisé au sol par une crise de lumbago. Et bien entendu, la solitude la plus grande est celle de cette jeune fille inconnue retrouvée morte et dont personne ne réclame le corps.

Significatif également est le caractère lourd et souvent handicapant mis en avant dans la pratique de la jeune médecin. Si l'âge explique sans doute ce type de pathologies, on remarque néanmoins le cas de l'adolescent cancéreux, celui de la mère de Bryan en proie à l'alcoolisme ou encore de ce patient diabétique dont le handicap accentue la précarité mais aussi la solitude. En adoptant le point de vue de Jenny, les Dardenne inversent ainsi l'image de la maladie que, comme patients, nous considérons comme un état transitoire, anormal, mais qui, dans la pratique médicale, apparaît sinon comme permanent du moins comme durable dans de nombreuses situations notamment celles des personnes socialement défavorisées.

Enfin, on remarque que les demandes adressées à Jenny dépassent largement le cadre médical. L'exemple le plus clair est évidemment celui du responsable de la mort de la fille inconnue qui vient avouer à la jeune médecin la culpabilité qui le ronge moralement et physiquement. Bien entendu, il s'agit là d'un événement fictif, et personne ne prétendra que les généralistes sont régulièrement confrontés à ce genre d'événements dramatiques ! Mais il illustre sous une forme extrême la dimension morale (au sens large) des demandes qui peuvent être adressées à ces médecins.

Il ne convient donc pas de considérer la Fille inconnue comme un documentaire, et il faut confronter l'image kaléidoscopique qu'il donne de cette jeune médecin et de sa patientèle, à d'autres expériences, à d'autres reportages ou témoignages. Mais ces quelques réflexions suffisent à expliciter la complexité des relations que nous pouvons avoir avec les médecins généralistes et qui ne se résument sans doute jamais à une simple demande de soins.


1. En Belgique, des accords entre médecins et mutuelles fixent le montant des honoraires qui seront largement remboursés aux patients par celles-ci. Certains médecins, dit non conventionnés, peuvent néanmoins demander des suppléments d'honoraires.


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