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Une analyse réalisée par le centre culturel Les Grignoux
et consacrée au film
Precious
de Lee Daniels
États-Unis, 2009, 1h49
avec Gabourey Sidibe (Claireece "Precious" Jones), Mo'Nique (Mary Lee Johnston), Paula Patton (Blu Rain), Mariah Carey (Mme Weiss), Lenny Kravitz (John McFadden)


Le film

Adapté du roman Push de Sapphire, Precious met en scène une adolescente victime de maltraitance au sein de sa famille. Violée par son père, humiliée et battue par sa mère, Precious est obèse, enceinte et illettrée à 16 ans. Exclue de son école, elle intègre un établissement alternatif spécialement destiné aux jeunes filles en difficulté. Pour la première fois, elle découvre un lieu d'écoute et d'expression. C'est là qu'elle va raconter son histoire et apprendre à l'écrire.

A quel public s'adresse le film ?

Si le film de Lee Daniels s'adresse a priori à un public relativement large dans la mesure où il ne présente pas de difficultés particulières et correspond grosso modo aux schémas du cinéma grand public, il faut toutefois veiller à éviter deux situations délicates relativement à la «charge émotionnelle» que le film porte.

La première pourrait se produire avec un public qui ne serait pas assez mûr et pas capable d'empathie avec le personnage principal, qui présente à première vue peu de séduction... La seconde pourrait se produire avec un public fragile, qui pourrait être excessivement choqué par les scènes de violence ou par l'inceste dont Precious est la victime. En d'autres mots, la vision du film devrait être réservée à un public «raisonnablement sensible» et de plus de seize ans.

Relation à la problématique santé

Ce qui pourrait constituer ailleurs la problématique principale (l'obésité, la grossesse non désirée, la séropositivité, l'accueil d'un enfant trisomique... ) passe ici au second plan par rapport au trauma initial : les viols répétés par le père. L'on peut supposer en effet que l'inceste dont Precious est victime constitue l'événement déclencheur de bon nombre de ses malheurs. En effet, les viols ont des conséquences directes et indirectes : un enfant (trisomique de surcroît) et une deuxième grossesse ; le repli sur soi qui compromet les apprentissages fondamentaux ; la jalousie de la mère qui culpabilise, frappe et humilie ; l'obésité ; la séropositivité... autant de répercussions aggravées par le contexte de pauvreté et d'ignorance dans lequel vit Precious. Mais Precious n'est pas que le récit d'une accumulation de malheurs, c'est surtout l'histoire d'une résilience (ou au moins du début de celle-ci) qui passe notamment par l'expression de soi.

Quelques éléments d'analyse

Au cinéma, il est possible d'entrer rapidement dans l'intimité d'un personnage. C'est le cas dans Precious, où la voix off exprime les désirs et les pensées de la jeune fille et où ses fantasmes et ses souvenirs sont mis en scène. En effet, dès le début du film, le personnage de Precious nous est montré à la fois physiquement, de l'extérieur, (obèse, mutique, renfrogné), et psychiquement, de «l'intérieur» (elle se présente, dit son nom et ses rêves : avoir un petit ami à la peau claire, faire la couverture d'un magazine, tourner dans un clip vidéo...). Ainsi, le premier mouvement de recul, de moquerie ou de désintérêt) que pourrait susciter le personnage par son apparence est rapidement désamorcé par l'accès à sa vie intérieure, qui la qualifie en tant que personne humaine proche de tout un chacun. (À moins, bien sûr, que pour certains spectateurs, le caractère naïf et irréaliste de ses fantasmes ne charge davantage une vision grotesque de l'adolescente.)

De la même manière, nous, spectateurs, avons la primeur de la révélation (Precious est violée par son père et maltraitée par sa mère) qui intervient très tôt dans le film, alors que les autres personnes qui l'entourent, à l'école, au bureau de l'aide sociale, ne sont pas au courant.

La construction du scénario et le montage du film font ainsi alterner l'image «publique» de Precious (grosse, noire, très en retard sur le plan scolaire, déjà mère et à nouveau enceinte) et sa réalité domestique et psychique (c'est une jeune fille à peu près comme les autres, à l'exception bien sûr du fait qu'elle est victime de violences de la part de ses parents).

Ce que ses profs ou ses condisciples ne savent pas (les viols, les coups, les humiliations subis à la maison) n'est pas à proprement parler l'objet d'un secret dont Precious aurait honte, mais plutôt un état de fait, subi depuis presque toujours et dont on ne parle pas parce que cela ne regarde personne et parce que cela compromettrait le versement des allocations.

La progression dramatique du film ne consiste donc pas à préparer la révélation d'un secret qui constituerait un point culminant sur le plan émotionnel ( selon un schéma narratif relativement classique au cinéma). Au contraire, les faits sont exposés dès le début dans toute leur violence et le récit s'attache à montrer comment Precious va commencer à sortir de cette situation calamiteuse.

Changement d'école, rencontre de nouvelles personnes, découverte d'autres modèles et d'autres exemples, la transformation de son environnement va modifier son système de représentations et de valeurs et l'amener finalement à décider pour elle-même.

Proposition d'animation

Passées l'émotion et l'éventuelle incompréhension à l'égard de maltraitances d'une telle violence, on peut s'interroger sur le fait que la situation désastreuse de Precious ait pu perdurer des années sans qu'il y soit mis fin. Autrement dit, on peut se demander pourquoi Precious ne s'est pas plainte plus tôt et comment elle a pu passer à travers les mailles du filet du «contrôle social».

Ce sont ces questions que nous proposons de soumettre aux spectateurs du film. Invitons-les à échanger autour de questions comme :

  • Pourquoi Precious n'a-t-elle jamais dit ce qu'elle vivait ?
  • Qu'est-ce qui la décide finalement à quitter sa mère ?
  • Comment se fait-il qu'aucun travailleur social n'ait détecté la maltraitance dont Precious est la victime ?

On ne peut sans doute pas avancer de réponses définitives à ces questions, mais l'on peut certainement dégager un faisceau d'éléments de réponse.

Une mise en confiance

L'un des facteurs de changement est le fait que Precious intègre une nouvelle école, alternative, où elle est perçue et considérée de manière différente.

Pour mesurer l'ampleur du changement de cadre, on peut inviter les participants à comparer deux scènes et deux contextes : d'une part la scène dans le bureau de la directrice de la première école et la première rencontre dans la classe de Miss Rain ; d'autre part la classe de Precious dans la première école et sa classe à «Each One Teach One».

Dans le bureau de la directrice de l'école conventionnelle, Precious nous est présentée en ces termes : elle a 16 ans, elle est au début de l'enseignement secondaire, elle est enceinte de son deuxième enfant. Par ailleurs, Precious affiche un visage fermé et ne répond pas ou très sommairement aux questions qu'on lui pose. Elle veut retourner en classe mais est priée de se rasseoir ; elle ne saisit pas la perche qui lui est tendue quand son interlocutrice lui demande si «ça va, à la maison». Ainsi, c'est un bilan qui est fait de la vie de Precious et qui n'est pas brillant : un bilan sanctionné par l'exclusion.

Dans l'école alternative, Precious a le choix de rentrer (ou pas) dans la classe de Miss Rain. Chaque élève est ensuite invitée à se présenter en répondant à ces questions : quel est votre nom ? quelle est votre couleur préférée ? quelle chose savez-vous bien faire ? pourquoi êtes-vous ici ? Miss Rain instaure d'emblée un pied d'égalité puisqu'elle répond elle-même à ces questions. Les jeunes filles prennent ensuite la parole, mais ont aussi le droit de passer l'exercice. Ainsi, après quelques hésitations, Precious prend la décision de rentrer dans la classe et après avoir d'abord «refusé l'obstacle», elle se présente à son tour. L'approche de Miss Rain est ainsi plus «légère» (pour se présenter, l'on dit son nom et sa couleur préférée) et centrée sur le présent et l'avenir plutôt que sur les échecs du passé (toutes les jeunes filles de la classe ont échoué, puisqu'elles ont des difficultés avec l'écrit à un âge où la lecture et l'écriture devraient être maîtrisées, mais la plupart des élèves déclarent qu'elles sont là pour passer leur GED [1]).

Ainsi, là où l'école conventionnelle déresponsabilise Precious dans la mesure où elle doit toujours obéir, l'école alternative lui laisse toujours le choix de faire ou ne pas faire ce qui est proposé.

La classe de Precious à l'école conventionnelle est mixte et composée d'élèves beaucoup plus jeunes que la jeune fille. Il s'agit d'une classe relativement nombreuse. En cela, la classe de l'école alternative est très différente : uniquement composée de filles, qui ont sensiblement le même âge que Precious et dont le nombre se limite à 7 ou 8 personnes. D'autre part, Miss Rain semble être la seule prof de la classe et l'enseignement est centré sur l'apprentissage exclusif de l'écriture et de la lecture. La classe de l'école alternative est donc plus homogène, et une des élèves, JoAnn demande immédiatement à Precious quand elle va accoucher : la jeune fille a discerné la grossesse de Precious, là où d'autres, moins lucides, moins subtils, n'auraient que constaté l'obésité.

Pas d'angélisme pourtant dans la représentation de cette nouvelle école qui n'est pas un havre de paix pour Precious qui y subit dans un premier temps les moqueries et y réagit, comme à l'école conventionnelle, en frappant. Mais un lien, inexistant à l'école conventionnelle, va vite se nouer entre les élèves et l'enseignante.

Ainsi, l'on peut dire que l'école alternative, où Precious est rendue responsable de sa vie et de ses apprentissages, où elle n'est pas jugée a priori ni stigmatisée, où elle est entourée de personnes plus proches d'elle (par l'âge et l'expérience) constitue un contexte plus propice à la confiance et à l'estime de soi.

Une question de représentations

Toute sa vie, Precious a manqué de repères. Abusée très jeune par son père, avec l'assentiment tacite de sa mère qui la maltraitera bientôt à son tour, l'enfant qu'elle a été n'a pas appris les limites, ce qui est admissible ou pas. Sa vie sera maintenue sous l'emprise de sa mère qui la rend coupable de son propre malheur (elle lui a «volé» son mari) et se venge en quelque sorte en la frappant, en l'humiliant et en la maintenant en quasi-esclavage.

L'enfance de Precious est ainsi soumise à la représentation du monde que lui transmet sa mère : les Blancs sont haïssables, l'école ne sert à rien, la sécurité sociale est là pour pourvoir à leurs besoins... L'on pourrait dire que Precious ne connaît rien d'autre que ce que sa mère exprime. Elle n'a pas d'autre modèle.

Après tout, le monde extérieur aussi est violent, où Precious est victime de moqueries, d'humiliations et parfois de coups. Il suffit d'assister à la scène de la visite à domicile de l'assistante sociale pour mesurer cet enfermement choisi par la mère : la visite de cette dame qui demande à Precious si elle a des questions et qui interroge la mère sur la dernière visite médicale de la petite fille n'est considérée par la mère que comme un contrôle intrusif et terriblement contrariant. Tout est fait pour berner l'assistante sociale : de la perruque placée en vitesse à la pose faussement maternelle avec l'enfant trisomique sur les genoux, une enfant qui vit en réalité chez son arrière-grand-mère. Cette représentation du travailleur social, comme contrôleur dont il faut bien accepter la visite pour toucher son chèque est évidemment à l'opposé des idéaux de la profession.

Ainsi Precious est prise entre deux représentations simplistes du monde : la vision très étriquée et stéréotypée de sa mère (qui pense par exemple qu'on ne peut pas attraper le virus du sida si on ne pratique pas la sodomie) et les images de bonheur que présentent les média (célébrité, beauté, minceur, succès, amour...). En changeant d'école, en rencontrant d'autres personnes, Precious va découvrir d'autres modèles, d'autres exemples et aller de surprise en surprise : ainsi, Précious qui méprise pourtant «les camés» va se lier d'amitié avec Rita, ex-junkie et néanmoins mère exemplaire. Elle fait l'expérience de l'humanité avec Miss Rain qui l'accueille chez elle quand elle est sans abri, et elle découvre en même temps que l'enseignante est lesbienne, ce qui la fait changer d'opinion sur les homosexuels ! Elle va découvrir enfin l'amitié (des ses condisciples, de l'infirmier) et la compassion.

La même transformation du regard s'opère aussi vis-à-vis de l'aide sociale.

Precious se rend une première fois au bureau de Mrs Weiss pour recevoir son chèque, mais elle doit se soumettre aux questions de l'assistante sociale, qui l'interroge sur sa vie à la maison. C'est là que Precious, peu habituée à l'exercice, laisse échapper que son propre père lui a donné un enfant et bientôt un deuxième... Après un échange mouvementé où l'on sent que Precious regrette son aveu, Mrs Weiss déclare qu'elle devra tout dire pour recevoir le chèque... C'est ainsi que commencent les rendez-vous réguliers avec l'assistante sociale. Si beaucoup de ces entretiens ne sont pas mis en scène, l'on comprend néanmoins qu'une relation se tisse entre les deux femmes. Plus tard, Precious fera même preuve d'humour en retournant les rôles et disant à Mrs Weiss qu'elle peut parler, qu'elle est en sécurité... Tout se passe comme si Precious avait découvert l'autre facette du travail social. D'ailleurs, quand elle quitte le domicile et se réfugie à l'école, elle se dit gênée de voir Miss Rain qui n'est pourtant pas assistante sociale faire toutes sortes de démarches pour lui trouver un logement !

Precious sera pourtant déloyale vis à vis de Mrs Weiss puisqu'elle va voler son dossier. Elle va aussi s'insurger contre les intentions de la sécurité sociale de la mettre au travail alors qu'elle voudrait poursuivre ses études, ou de faire adopter ses enfants. Mais dans ces rapports conflictuels avec «l'état social» représenté par Mrs Weiss, l'on mesure combien Precious se sent désormais responsable de sa vie, n'accepte plus d'être dirigée.

Ainsi, le parcours de Precious, tel que le film le retrace, est celui d'une adolescente qui attend «que quelque chose arrive» devenant une jeune femme responsable de sa propre vie et qui provoque les événements. Le changement d'école, conjugué au changement de relations humaines et de représentations vont en quelque sorte révéler Precious à elle-même, la rendant désormais capable d'exprimer ses souffrances et ses désirs.


1. Le «General Educational Development» correspond grosso mode au diplôme d'enseignement secondaire.


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