Une analyse réalisée par le centre culturel Les Grignoux
et consacrée au film
Les Choristes
un film de Christophe Barratier
France, 2003, 1 h 35
avec Gérard Jugnot, François Berléand, Jacques Perrin
En 1949, Clément Mathieu, professeur de musique sans emploi, est nommé surveillant dans un internat de rééducation pour mineurs. Particulièrement répressif, le système d'éducation du directeur Rachin peine à maintenir l'autorité sur des élèves remuants.
Dans ces conditions difficiles, Mathieu va pourtant réussir à gagner la confiance de nombreux pensionnaires en les initiant au chant choral. Et il réussira finalement à transformer la vie de ces enfants qui semblaient condamnés à l'échec.
Sous des dehors traditionnels (sinon passéistes), ce film met en jeu des questions qui sont celles de toutes les éducations : comment parvenir à gagner la confiance des enfants ? comment les faire accéder à des univers culturels qu'ils ne connaissent pas ? comment leur donner suffisamment confiance en eux-mêmes pour les amener à se dépasser ? Et, pour les enfants, quel est le sens de cette éducation ?
La facture classique du film, l'âge de ses principaux protagonistes, sa vision « heureuse » des relations humaines semblent destiner ce film à un large public de jeunes adolescents. Le film présente cependant plusieurs éléments de distanciation comme l'éloignement historique ou la médiation du regard d'un adulte (celui du professeur de musique) sur les événements mis en scène, ce qui devrait favoriser la mise en débat après la projection.
Le film de Christophe Barratier (dont c'est le premier long métrage comme réalisateur) n'évoque pas directement de problématique liée à la santé. Plus largement cependant, il questionne la fonction d'éducateur — représentée ici par Clément Mathieu ravalé au rôle de simple « pion » ainsi que par ses collègues et sa direction — ainsi que le rôle de l'éducation elle-même, du point de vue de ceux qui en sont l'objet mais aussi des institutions qui en ont la charge. Ce serait donc l'occasion de s'interroger avec les jeunes spectateurs (entre onze et quatorze ans environ) sur le sens que chacun — éducateur ou futur « éduqué » — peut, veut ou voudrait donner à l'éducation.
De telles questions sont rarement posées en tant que telles aux enfants ou adolescents qui sont les sujets souvent passifs de décisions éducatives prises par le monde des adultes et sur lesquelles ils n'ont qu'une faible prise (même si celle-ci augmente bien sûr avec l'âge) : dans un processus d'éducation démocratique, il nous paraît donc important que les principaux acteurs mènent une réflexion sur les objectifs de ce processus ainsi que sur les moyens mis en œuvre par les différents intervenants en ce domaine.
Si, pour les jeunes spectateurs, les élèves du pensionnat « Le Fond de l'étang » représentent un support facile d'identification, le film adopte cependant un autre point de vue, celui de Clément Mathieu, professeur de musique devenu simple « pion » ; mais ce surveillant, par sa personnalité et par son histoire personnelle (celle de quelqu'un qui se considère comme un « raté »), joue un rôle de médiateur entre le monde des adultes (incarné par la figure autoritaire du directeur M. Rachin) et celui des enfants dont il a la charge.
On remarquera également que l'histoire est racontée à travers le journal de Clément Mathieu, lu par un des anciens pensionnaires, Pierre Morhange, devenu adulte et à présent musicien célébré : dans ce cas aussi, le point de vue de l'enfant (ou du jeune adolescent) subit la « réflexion » du regard de l'adulte qui se revoit enfant à travers en outre le point de vue d'un autre adulte...
Le film peut ainsi être l'occasion, pour les jeunes spectateurs, de prendre conscience d'un point de vue différent du leur, celui d'un adulte, Clément Mathieu, qui n'a pas oublié cependant qu'il a été comme tout le monde un enfant... La scène où il demande aux pensionnaires d'écrire sur un bout de papier leurs rêves d'avenir est particulièrement significative de ce point de vue : comme le remarque mélancoliquement le personnage, si tous les enfants rêvent de métiers extraordinaires, aucun ne souhaite bien sûr devenir « pion » !
Cette simple scène devrait permettre de lancer une petite discussion avec les jeunes spectateurs sur ce qu'est l'âge adulte : tous les adultes doivent-ils renoncer à leurs rêves d'enfants ? Et tous les rêves d'enfants sont-ils condamnés à l'échec ? Les différents destins d'adultes mis en scène dans les Choristes suffisent à montrer que les réponses à ces questions sont nécessairement nuancées.
L'écart qui se creuse entre le monde de l'enfance et celui des adultes n'est cependant pas toujours aussi explicite, et plusieurs éléments du film méritent sans doute que l'on revienne dessus car leur sens véritable a pu échapper aux jeunes spectateurs. C'est le cas en particulier des relations entre Clément Mathieu et la mère de Pierre Morhange : le professeur de musique s'entretient à plusieurs reprises avec elle, soit pour l'informer de l'absence de son fils, soit pour mettre en valeur ses talents de chanteur, mais tous (?) les spectateurs adultes comprennent bien qu'il est en fait amoureux de la jeune femme, notamment au cours de cette scène pleine d'ambiguïté au Café de la Place où il croit un court moment que ses sentiments sont sans doute partagés.
L'expérience révèle que beaucoup de spectateurs de l'âge visé ici (douze ans environ) ne saisissent pas l'implicite du comportement de Clément Mathieu et qu'ils le croient seulement animé de bonnes intentions à l'égard de Pierre : la réaction de celui-ci, qui, furieux, arrose le professeur d'encre de Chine, montre bien que lui a compris l'ambiguïté des relations qui se nouent alors.
Le comportement de Pierre est d'ailleurs également ambigu ou, plus exactement, ambivalent : il aime sans aucun doute sa mère mais ne supporte pas l'image que les autres enfants lui renvoient d'elle, celle d'une femme célibataire, ce qui, à l'époque, signifiait souvent « facile ». Il y a là tout un « nœud » psychologique qui relie Pierre, sa mère et monsieur Mathieu et qu'il sera sans doute intéressant de démêler de façon explicite avec de jeunes spectateurs probablement peu habitués à reconnaître la complexité et l'ambivalence des sentiments humains [1].
À ce propos, on se souviendra également du personnage de Chabert, l'autre surveillant que Mathieu considère d'abord comme étant du côté du directeur avant de s'apercevoir de son double jeu. L'objectif de cette première discussion sera de nuancer le manichéisme qui est évidemment présent dans le film (on songe notamment au personnage du directeur) et d'orienter l'attention des jeunes spectateurs vers des éléments [2] de réflexion psychologique plus complexes qu'ils auront sans doute tendance à négliger.
À travers notamment le personnage de Clément Mathieu, l'on pourrait à présent mener une réflexion un peu plus soutenue sur le sens que chacun voudrait donner à l'éducation : qu'est-ce que les participants pensent de ce personnage ? A-t-il eu raison de vouloir intégrer les enfants dans une chorale ? Est-il juste envers les enfants tandis que les autres adultes seraient eux injustes ? Est-ce que les participants souhaiteraient avoir des enseignants comme monsieur Mathieu ?
Cependant, pour éviter des réflexions trop vagues, l'on analysera quelques scènes plus particulières, par exemple la mauvaise blague faite au père Maxence : est-ce que monsieur Mathieu a eu raison de punir le coupable en l'obligeant à jouer le rôle de garde-malade auprès du concierge ? L'enfant méritait-il d'être puni puisque l'accident n'était pas intentionnel ? Et qu'est-ce que monsieur Mathieu aurait fait si une indiscrétion ne lui avait pas révélé le nom du coupable ? Dans ce cas, la sanction collective de monsieur Rachin n'était-elle pas la seule solution possible ? Et le directeur a-t-il vraiment tort de « pousser à la délation », c'est-à-dire d'inciter les enfants à dénoncer le coupable, étant donné la gravité de la blessure du père Maxence ? Enfin, de façon plus large, quand une sanction devient-elle injuste aux yeux des enfants et qui a le droit d'imposer des sanctions ?
Il ne s'agira pas ici de justifier l'un ou l'autre point de vue, mais la fiction permettra notamment d'expliciter le comportement de certains personnages très éloignés des enfants comme le directeur, monsieur Rachin. Face à une indiscipline générale, celui-ci ne parvient à répondre que par des punitions collectives, pour l'exemple, en choisissant des victimes au hasard : ainsi, son indifférence, sa cruauté même s'expliquent sans doute aussi par la position difficile qu'il occupe. Sans doute, la majorité des jeunes spectateurs seront surtout sensibles au caractère antipathique du personnage, et ce sera vraisemblablement à l'animateur de nuancer ce portrait et de faire percevoir les raisons objectives qui peuvent éclairer son comportement.
Un autre événement devrait en revanche susciter des réactions plus contrastées : il s'agit de l'arrivée de Mondain au pensionnat et les perturbations qu'il y introduit. Cet adolescent apparaît pour une part comme une victime des institutions répressives qui l'on pris en charge, mais il est également capable de se comporter de façon odieuse avec les plus faibles (il « rançonne » Pépinot) et de commettre des actes particulièrement graves, mettant en danger la vie de personnes innocentes (la caméra le désigne en particulier comme le responsable de l'incendie du pensionnat).
On constatera vraisemblablement des réactions particulièrement « autoritaires » de la part de certains jeunes participants qui se montreront souvent plus sévères que bien des adultes : en se basant sur cette diversité de réactions, l'animateur soulignera notamment les difficultés à trouver une « bonne » solution aux problèmes que suscite quelqu'un comme Mondain : on comparera à ce propos les interventions du directeur (qui rend injustement Mondain responsable de tous les délits commis dans son établissement) et celles de monsieur Mathieu qui essaie d'empêcher l'adolescent de fumer mais se fait ridiculiser, qui le menace ensuite lorsqu'il découvre ses manœuvres à l'encontre de Pépinot. Il ne suffit évidemment pas d'ordonner pour se faire obéir, ni de punir pour corriger un comportement...
Pour que la discussion ne reste pas trop « abstraite », l'animateur incitera par ailleurs les participants à faire appel à leur expérience personnelle : eux aussi ont très certainement fait à l'une ou l'autre occasion des « bêtises » », eux aussi ont été « punis » de façon plus ou moins juste ou au contraire injuste, eux aussi ont pu ressentir de la colère ou du dépit face à l'autorité des adultes... Rétrospectivement, quel regard portent-ils sur ces événements ? comment a posteriori considèrent-ils leur propre comportement et celui des adultes responsables (parents, enseignants...) ?
Ce qui importe alors, c'est sans doute moins de porter un jugement définitif sur les événements évoqués (et encore moins de donner raison aux uns ou aux autres) que d'introduire une distance réflexive par rapport à des événements vécus « à chaud », dans l'émotion, et sur lesquels les individus opèrent rarement un retour explicite. Il s'agira notamment de faire prendre conscience aux participants des différences de point de vue dans ces situations éducatives où les positions occupées sont nécessairement opposées ou contrastées. L'idéal sera cependant de maintenir une balance dans la discussion entre d'une part des évocations personnelles qui risquent « d'exposer » certains participants au regard des autres, et d'autre part des retours sur différentes scènes du film sur lesquelles chacun pourra s'exprimer de façon plus libre.
Enfin, ce long détour devrait permettre d'aborder le thème central du film, la chorale que Clément Mathieu parvient à mettre sur pied dans cette institution particulièrement répressive avec des pensionnaires apparemment fort difficiles. Les réactions seront vraisemblablement positives à l'égard de cette initiative qui est décrite dans le film comme un succès, mais l'on peut s'interroger sur les raisons de ce succès : qu'est-ce qui attire particulièrement les enfants dans cette chorale ? Tous les enfants sont-ils attirés de la même façon par cette activité ? Ne faut-il pas un don comme celui que possède Pierre Morhange pour trouver du plaisir à cette activité, et comment monsieur Mathieu exploite ces différents dons ? N'y a-t-il pas néanmoins une part d'échec dans cette expérience ?
Certaines scènes particulières méritent sans doute dans cette perspective un commentaire plus approfondi : ainsi, Pierre, celui qui se révélera l'élève le plus doué, apparaît d'abord comme exclu de la classe (bien que ce ne soit pas le fait monsieur Mathieu), et cette exclusion l'incite, semble-t-il, à s'exercer tout seul dans l'espoir sans doute de rejoindre le groupe. On se souviendra également que monsieur Mathieu, après avoir été couvert d'encre, punit Pierre de façon déguisée en renonçant à le faire chanter en solo, ce qui provoque la colère de l'adolescent qui sort furieux de la classe ; néanmoins, lors de la séance publique devant la comtesse, Pierre d'abord boudeur sera invité par monsieur Mathieu à effectuer sa prestation solo. Enfin, lors des journées d'été, le « pion » musicien invitera, contre toutes les consignes du directeur, les enfants à une balade en forêt.
Ici aussi, un retour vers l'expérience personnelle des participants devrait être fructueux : quelles ont été pour eux les expériences scolaires les plus positives ? Sont-ils sensibles à des expériences artistiques comme la chorale de monsieur Mathieu ou bien préfèrent-ils les sorties en forêt ? Leurs enseignants ressemblent-ils plutôt à monsieur Mathieu ou à monsieur Rachin ? L'école fréquentée ressemble-t-elle par certains aspects à la pension du « Fond de l'étang » ou bien n'a-t-elle plus rien de comparable ?
Comme précédemment, l'on essaiera essentiellement d'amener les jeunes participants à expliciter leurs attentes par rapport à l'institution scolaire, lieu d'apprentissage mais également d'éducation et de vie : sans doute, cette première réflexion ne sera pas très élaborée, mêlant les aspects personnels (la dimension relationnelle avec l'enseignant est essentielle pour les enfants) et des considérations plus générales, mais il ne s'agit là à notre sens que d'une première étape dans un processus de participation démocratique à l'institution éducative.
Voici pour terminer deux prolongements possibles à cette discussion collective.
Si le film a suscité beaucoup de réactions positives, on pourrait demander aux participants d'exprimer par écrit et individuellement leurs émotions par rapport à la séquence qui les a le plus marqués. Une courte liste de ces séquences pourrait leur être soumise pour faciliter leur travail de remémoration :
Ces textes, qui pourront rester anonymes, permettront à l'animateur de mieux connaître le groupe et de voir plus précisément quels sont les aspects du film qui auront le plus touché les différents participants. Ils pourront éventuellement faire l'objet d'une publication dans le journal ou sur le site WEB de l'école.
Par ailleurs, la réflexion sur le rôle de l'école pourrait faire l'objet d'un prolongement sous la forme de propositions pour améliorer la vie à l'école. La proposition devra évidemment tenir compte des dispositifs déjà existants dans l'établissement concerné (conseil de participation, etc.). Mais l'on peut espérer que la dynamique suscitée par la discussion autour du film aura éclairé des aspects nouveaux ou confondus jusque-là de l'institutions(par exemple les différentes fonctions de l'école), tout en réveillant l'intérêt des enfants ou des jeunes adolescents pour la participation démocratique au processus d'éducation dont ils sont l'objet ou les sujets premiers.
[1] Une objection critique fréquente à ce type d'analyse psychologique est que l'on ne pourrait pas réfléchir sur des personnages de cinéma comme sur des individus réels parce que ce seraient des créatures de fiction, des espèces de marionnettes construites à sa guise par le cinéaste (ou son scénariste). L'objection est cependant assez faible car elle confond deux niveaux d'interprétation, celui du monde de la fiction et celui de l'auteur (au sens fort du terme) du film : celui-ci donne aux spectateurs des indices pour interpréter psychologiquement le comportement des personnages (par exemple l'amour muet de monsieur Mathieu), et nous devons, dans le cadre de cette fiction, raisonner à ce propos comme nous le ferions face à des individus réels, même si par ailleurs nous savons bien qu'histoire et personnages sont évidemment fictifs.
[2] Un film n'est pas un traité de psychologie ou de philosophie et il fonctionne généralement par indices qui sont laissés à l'interprétation des spectateurs mais que ceux-ci risquent également de négliger.