Une analyse réalisée par le centre culturel Les Grignoux
et consacrée au film
Ponette
un film de Jacques Doillon
France, 1996,1 h 37
Scénario et réalisation : Jacques Doillon.
Avec Victoire Thivisol (Ponette). Delphine Schiltz (la cousine).
Marie Trintignant (la mère), Xavier Beauvois (le père).
Musique : Philippe Sarde.
Ponette, une gamine de 4 ans à peine, perd sa maman dans un accident de voiture. Cette mort, l'enfant va d'abord la refuser, utilisant toutes les ruses, tous les moyens de son âge pour échapper à l'irréparable. Et œ n'est que par une espèce de petit miracle cinématographique que le travail de deuil finalement surviendra.
Racontant une histoire simple et linéaire, Ponette peut être vu par les jeunes spectateurs dès 9 ou 10 ans environ, même si la gravité de son sujet semble plutôt le destiner à des specta-teurs plus âgés. Ceux-ci devront en tous cas être préparés à la vision de ce film qui peut les déconcerter pour deux raisons principales : le film suppose qu'ils s'identifient, même faiblement, à une enfant plus jeune qu'eux (alors qu'habituellement l'identification se fait vers un personnage plus âgé) ; ensuite, le sujet même du film — la mort, le deuil, la douleur — risque d'être l'objet d'un rejet de la part de spectateurs habitués à un cinéma qui privilégie un plaisir imaginaire immédiat.
Dans ces conditions, il est sans doute préférable de réserver ce film à des spectateurs motivés et ouverts à des formes originales de cinéma et/ou intéressés par le sujet.
Il ne saurait être question dans ce chapitre, comme pour l'ensemble de cette fiche pédagogique ainsi que les suivantes, de cerner de façon exhaustive les thèmes abordés par le film.
Notre conception de la santé et par là même de l'éducation pour la santé, se veut large, se rapprochant de la notion de bien-être : physique, mental, social, mais aussi dynamique personnelle et relationnelle. C'est dire s’il n'est possible ici de ne donner que quelques pistes de réflexion, comme autant de propositions d'échanges et de discussions à enri-chir au sein d'un groupe d'animation.
Le deuil est bien sûr le thème central de Ponette. Plusieurs éléments en renforcent l'intensité dramatique : c'est une très jeune enfant qui est concernée, et c'est sa mère qu'elle vient de perdre. L'attitude de Ponette refusant de comprendre cette disparition n'est pas seulement à mettre sur le compte de l'immaturité d'une enfant. Elle renvoie aussi à tout ce que la disparition d'un être cher a d'inacceptable, à tout ce que cette disparition met en déséquilibre et en péril dans nos personnalités. D'un point de vue purement logique, la réaction de Ponette peut paraître anormale puisqu'elle refuse de croire à cette disparition. Elle est en tout cas, dans l'immédiat de l’événement, la plus adaptée pour lui permettre de sauvegarder un certain équilibre mental. La plupart des désordres psychologiques ne sont-ils d'ailleurs pas à interpréter de cette façon?
La structure relationnelle joue un rôle considérable lors de la survenue d'événements dramatiques. Le personnage du père n'est psychologiquement pas très compréhensible : Était-il déjà absent avant le drame ? Fuit-il sa fille qui le ren-voie trop à sa propre souffrance? Sa profession lui impose-t-elle réellement cet éloignement ? à moins que la nécessité d'un scénario centré sur la petite fille n'ait imposé cette « mise à l'écart ». Toujours est-il que Ponette apparaît comme très isolée. Les adultes les plus proches (son père, sa tante) ne peuvent, malgré leur affection, entrer dans son monde, ni surtout lui apporter les réponses qu'elle recherche. Les autres enfants, qu'ils soient compréhensifs ou cruels n'y parviennent pas non plus.
La religion est présentée également comme l'un de ces « étayages » possibles. Si elle propose une certaine structuration du sens de la disparition et un certain réconfort par ses aspects rituels notamment, son inefficacité pour retrouver l'être aimé peut paraître d’autant plus douloureuse. À moins qu'il ne faille interpréter « l'apparition » finale de la mère de ce point de vue religieux, comme le résultat des prières et d'une compassion divine... Nous préférerons la comprendre sous son sens symbolique : l'incarnation de la force psychologique que Ponette parvient à mobiliser pour admettre et accepter la mort de sa mère, en lui conservant une place forte dans son imaginaire qui l'aidera à continuer à vivre malgré cette disparition physique.
Bien d'autres aspects pourraient être développés : l'univers des enfants notamment, rarement montré de façon aussi forte que dans ce film très riche et très dense.
Comme tout film, Ponette pose le pro-blème de son exploitation ultérieure avec un public de jeunes spectateurs quand ceux-ci ne conservent plus que des souvenirs fragmentaires de leur vision. À moins de recourir à un appa-reillage technique (comme le magné-toscope), il faut alors trouver un moyen pour obtenir une base plus ou moins objective de discussion autour du film. C'est par une confrontation entre les souvenirs des spectateurs que nous proposerons d'arriver à cet objectif : la technique utilisée consiste simplement à mener une discussion entre pairs comme celle qui peut suivre naturellement la vision d'un film. On essayera simplement que cette discussion soit conduite de manière plus approfondie et plus sys-tématique.
Cette discussion se déroulera peu après la vision du film, par exemple le lendemain, quand l'émotion s’est généralement estompée mais que les souvenirs sont encore vifs. On pourra commencer par demander aux participants de noter en quelques mots sur un bout de papier, quelle est la scène ou la séquence qui les a le plus marqués. Chacun conservera ce bout de papier qui sera réutilisé ultérieurement.
On essayera ensuite de reconstituer la trame générale du récit, c'est-à-dire de distinguer les grandes parties du film, en se basant sur les trois critères de temps, de lieux et de person-nages. Temps : est-il possible de distinguer des époques ou des moments très marqués dans le film? Lieux : L’action du film se passe-t-elle en des lieux différents, facilement reconnaissables? Personnages : la présence de certains personnages ou couples de personnages caractérise-t-elle certaines parties du film?
Dans le cas de Ponette, le critère de temps se révèle à première vue peu productif, l'histoire se déroulant de manière linéaire sans ellipses marquées. En revanche, il est facile de distinguer deux grandes parties dans le film, sur la base des lieux de l’action, la première se passant chez la tante de Ponette (interprétée par Claire Nebout), la seconde se passant apparemment dans un internat d'école. La présence ou l'absence de certains personnages permettent facilement de complexifier ce schéma, la première partie étant caractérisée précisément par la présence de la tante, la seconde notamment par celle d'Ada « l'enfant de Dieu ». Le père, quant à lui, apparaît au début du film, revient précisément à la fin de la première partie et réapparaît à la toute fin : à ce moment, l’image de Ponette assise dans l'auto à côté de son père rappelle irrésistiblement celle du début du film, sauf qu'à présent, l'enfant est souriante.
Sur ce schéma de base qu'on peut tracer sur un tableau, il est possible de reprendre de manière concise les différentes séquences que les participants avaient notées sur un papier en début de séance. Cette consigne ne sera cependant pas toujours facile à mettre en œuvre, des doutes pouvant apparaître sur la place relative de l'une ou l'autre séquence. Des discussions vont nécessairement surgk et faire apparaître les liens de signification internes au fflm : les diffé-rentes séquences ne se présentent pas, en effet, comme des blocs isolés mais s'articulent, souvent de manière complexe, les unes aux autres. Ponette multiplie par exemple les rencontres avec Ada, qui lui fera subir deux épreuves mais à qui elle affirmera finalement que Dieu est contre elle (puisqu'Il ne lui répond pas) et ce n'est qu'après cet échec, qu'elle recourra, sur les conseils de sa cousine Delphine, au truc des bonbons «Smarties» (qui venait d'être expérimenté sur le petit cousin).
Même si la place de chaque séquence ne peut pas être définie avec précision, ces discussions obligeront les participants à s'interroger sur la cohérence interne du film, sur la logique qui permet de relier ces différentes séquences : il s’agit bien sûr ici du désir de Ponette de revoir sa mère morte, désir qui va chaque fois prendre une expression différente (simplement attendre, crier au ciel, prier, passer des épreuves, utiliser les «Smarties»...).
Selon l'âge et les capacités des différents spectateurs, cette logique interne du film apparaîtra plus ou moins facilement. Un jeu de questions devrait alors permettre d'améliorer cette compréhension, puis de prolonger la réflexion sur le film. Les premières questions ont des réponses évidentes pour un spectateur « compétent » et sont donc destinées à vérifier la bonne compréhension du film. On peut ainsi demander aux participants :
On espère donc, par la simple discussion ou par ce jeu de questions-réponses, faire ressentir aux participants les liens qui se tissent entre les différentes séquences. On pourra alors leur demander d'essayer de représenter de façon graphique le lien qui relie l'ensemble du film. Alors que le schéma précédent permettrait de distinguer les différentes parties du film, il s'agit, à présent, d'en reconstruire le mouvement d'ensemble (on pourra évidemment superposer les deux schémas). Il est clair sans doute que le récit est construit selon un cres-cendo qui culmine avec le désespoir de Ponette prête à mourir pour revoir sa mère : c'est ce crescendo qui auto-rise évidemment l'apparition surnatu-relle de la mère au cimetière.
Enfin, pour prolonger la réflexion sur le film, on proposera aux participants une question qui n'a sans doute pas de réponse évidente et qui, de ce fait, permettra à chacun d'exprimer des réactions plus personnelles à l'égard du film. Cette question pourrait être la suivante :
«Est-ce que la mère de Ponette serait réapparue si sa fille avait été plus âgée?».
Cette question (ou d'autres du même type nécessitant un retour sur l'ensemble du film) devrait amener les participants à s'interroger notamment sur les réactions de Ponette qui sont sans doute celles d'une gamine de son âge mais que nous partageons tous peu ou prou dans le même genre de situations.
L’intérêt du cinéma pour l'éducateur de santé réside notamment dans le fait qu'il place le public dans une situa-tion émotionnelle qui renvoie à des dimensions fortes des personnalités. Pour que cet émotionnel fasse sens et se structure, une verbalisation est indispensable. Le schéma d'animation présenté ci-après permet un cheminement de l'émotionnel au relationnel en facilitant les expressions individuelles, par petits ou grands groupes. Ces expressions sont, elles aussi, enrichissantes et structurantes selon nous ? L'ensemble de ces cinq étapes représente un temps d'animation d'environ deux heures pour un groupe de 15 à 20 personnes (voir encadré).
Un schéma d’animation1. Demander à chacun de choisir individuellement un mot ou une phrase courte pour exprimer l’impression générale laissée par le film
2. Demander à chacun de choisir et donner un qualificatif au personnage du film dont il a le plus envie de parler
3. Passer des personnages du film aux significations du film par l’identification, puis la discussion des situations « clés »
4. Identifier le projet du réalisateurCette étape consiste à dégager le MESSAGE PRINCIPAL du réalisateur :
5. Situer le film dans une approche globale de la santé
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