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Une analyse proposée par les Grignoux
et consacrée au film
Il était une forêt
de Luc Jacquet
France, 2013, 1h19


En quelques mots

Sous un titre qui rappelle le conte de fées, Il était une forêt est pourtant un film documentaire qui invite à la découverte des forêts tropicales primaires. Et c'est bien là toute son originalité, le merveilleux donnant ici une perspective inédite au contenu scientifique du film. Fondé sur le savoir et l'expérience du botaniste français Francis Hallé, le film de Luc Jacquet, connu quant à lui pour la puissance de ses documentaires consacrés à la nature et au monde animal (La Marche de l'Empereur, Oscar du meilleur film documentaire en 2006) retrace ainsi une histoire longue de sept siècles, de la première pousse de la forêt pionnière au développement des liens complexes qui se sont progressivement tissés entre les plantes et les animaux.

Une nécessaire prise de conscience d'enjeux écologiques majeurs se trouve à la base du projet mené conjointement par le réalisateur et le botaniste, qui ont choisi délibérément de substituer au discours militant des images esthétiquement très belles et doublées d'un commentaire fort émouvant.

Destination et objectif

Plongée exceptionnelle dans un univers vierge de toute empreinte humaine et dont l'évolution séculaire apparaît notamment grâce à une utilisation judicieuse d'incrustations numériques, Il était une forêt devrait ravir un large public sensible à la nature et aux enjeux environnementaux du temps présent. L'analyse proposée ici a pour objectif de revenir sur un certain nombre d'informations délivrées par le film pour en mieux comprendre la portée. Il s'agira de se souvenir de tous les « micro-événements » qui caractérisent la vie quotidienne en forêt tropicale et de reconstituer les liens de cause à effet qui expliquent la nature et le but de chacun d'entre eux.

Les petites histoires de la forêt

Grâce à une mise en images originale intégrant des incrustations numériques aux prises de vue réelles, grâce aussi au commentaire très accessible du botaniste Francis Hallé, le film de Luc Jacquet révèle un monde fascinant dont on se demande à certains moments s'il correspond à une véritable réalité scientifique. Ainsi des arbres communiquant entre eux mais aussi avec d'autres plantes et des animaux dans le but d'assurer leur propre survie et celle de leur espèce semblent relever d'une vision, sinon animiste, du moins poétique de la forêt, tant ceux-ci nous paraissent éloignés de l'état végétatif censé caractériser le monde des plantes. Cet aspect captivant de Il était une forêt mérite donc que l'on y revienne pour mieux comprendre tous ces micro événements, le plus souvent imperceptibles à l'_il humain, qui mettent en jeu un grand nombre de stratégies étonnantes, toutes dictées par la nécessité pour chaque arbre d'assurer ses besoins en eau et en lumière, sa reproduction ou encore sa défense contre les prédateurs.

Se souvenir de quelques exemples du film

Le film de Luc Jacquet raconte la formation de la forêt, tout en révélant qu'à l'intérieur de cette histoire se déroulent quantité de petits événements pour la plupart invisibles mais tous indispensables à la survie des uns et des autres. Rappelons quelques exemples détaillés dans le film et expliqués plus précisément dans le commentaire du botaniste Francis Hallé. Ainsi:

  • L'exemple du figuier étrangleur : germant dans la canopée grâce aux fientes des oiseaux qui se sont nourris de ses graines, ce figuier développe des racines aériennes qu'il lance vers le bas ; ses racines se développent ainsi sur des dizaines d'années, au point d'étouffer son hôte ; grâce au palmier panier, dont la forme lui permet de récolter le bois mort pour accélérer l'action des décomposeurs et remettre l'engrais ainsi formé à disposition du figuier, ce dernier « cannibalise » en quelque sorte son hôte pour fabriquer ses propres branches.
  • L'exemple des arbres qui, pour assurer leurs besoins en eau, envoient vers le ciel des molécules dont les capteurs piègent la vapeur contenue dans l'air pour former des nuages et garder la pluie « au-dessus de leurs têtes ».
  • L'exemple de la liane du rhododendron : se confondant avec l'écorce du tronc de l'arbre jusqu'à une certaine hauteur pour échapper aux grands herbivores, cette liane adopte au départ un comportement mimétique et commence seulement à se déployer une fois qu'elle se trouve hors d'atteinte de ces animaux.
  • L'exemple des arbres qui séduisent et attirent les animaux de la canopée grâce aux molécules parfumées qu'ils dégagent et au nectar contenu dans leurs fleurs ; grâce à ce stratagème, les insectes, les oiseaux et les petits mammifères tels que les singes transportent d'arbre en arbre le pollen nécessaire à leur reproduction.
  • Etc.

Compétition, croissance, défense, reproduction

On peut également se remémorer d'autres histoires de la forêt : ainsi, diverses relations de compétition entre les êtres vivants de la forêt, mais également différentes stratégies que développent les arbres pour assurer leur croissance, pour se défendre, pour se reproduireä

Afin de raviver les souvenirs du simple spectateur (qui n'aurait vu le film qu'une seule fois), rappelons quelques mots-clés qui pourront jouer le rôle de déclencheurs :

  • moabi
  • passiflore
  • papillon Heliconius
  • pionniers
  • Cecropia
  • fourmis
  • racines
  • champignons
  • éléphant
  • feuilles toxiques
  • parfum
  • mimétisme
  • etc.

Quelques commentaires

Les commentaires présentés ci-dessous reprennent dans les grandes lignes les informations que donne Francis Hallé au fil des images de Il était une forêt. Ces commentaires apportent par ailleurs quelques précisions terminologiques, que le botaniste laisse volontairement dans l'ombre au profit d'expressions imagées, sans doute plus parlantes, mais qui retiendront l'attention des spectateurs plus particulièrement intéressés par le sujet du film. Ces termes sont signalés en gras dans le texte.

1. Le Cecropia : un contrat avec les fourmis

Le Cecropia est un arbre typique de la forêt pionnière, dont le rôle est d'assurer un processus de cicatrisation après la mort spontanée d'un grand arbre ou une déforestation. Sa courte durée de vie et sa croissance rapide ne lui donnent pas le temps de fabriquer des défenses contre ses agresseurs. Comme ses feuilles sont très appréciées des herbivores, et en particulier des chenilles, comme on le voit dans le film, il n'a d'autre choix que d'appeler à l'aide. Il attire ainsi les fourmis en fabriquant de faux _ufs d'insectes qu'il dépose sur ses feuilles à leur intention. En plus de cette nourriture, il prépare de nombreuses loges qui leur permettront de se mettre à l'abri. En retour, les fourmis lui assurent une protection en débarrassant l'arbre des chenilles friandes de ses feuilles. Cette relation d'échange qui rend le Cecropia et les fourmis interdépendants s'appelle la symbiose.

2. Les arbres de la forêt secondaire : un contrat avec les champignons

Pour grandir, les arbres tropicaux ont besoin de grandes quantités d'eau. Grâce au réseau de filaments (le mycélium) qu'ils déploient dans le sol au pied de ces arbres, certains champignons (les mycorhizes) s'associent à leurs racines pour capter l'eau et les sels minéraux nécessaires à leur croissance. Les champignons ont par conséquent un rôle très important dans le développement des arbres qui, en retour, partagent avec eux l'énergie captée par ses parties aériennes grâce à la photosynthèse[1], un processus que les champignons sont incapables d'accomplir parce qu'ils ne contiennent pas de chlorophylle, c'est-à-dire le pigment vert qui sert à absorber la lumière du soleil dans ce processus spécifique. Il s'agit donc également ici aussi d'une relation « donnant-donnant », autrement dit d'une symbiose.

3. Les arbres de la forêt secondaire : un contrat avec les animaux de la canopée

L'immobilité des arbres les a poussés à développer des stratégies pour se reproduire. Grâce à la séduction qu'ils exercent sur eux, ce sont ainsi les animaux de la canopée ã les insectes, les oiseaux, les petits mammifères comme les singes_ _ qui vont se charger de transporter le pollen. Pour attirer ceux-ci, les arbres produisent des fleurs parfumées qui contiennent du nectar dont tous ces petits animaux se délectent. C'est ensuite en se déplaçant d'arbre en arbre, que ces derniers transportent le pollen accroché à leurs poils, à leurs plumes, à leurs ailes, à leurs pattes_ Ces animaux de la canopée portent le nom de « pollinisateurs »

.

4. Les émergents : un contrat avec les grands herbivores

Le moabi, par exemple, est un arbre émergent caractéristique de la forêt tropicale humide d'Afrique. Les émergents ont pour particularité de pousser assez loin les uns des autres, ce qui représente une difficulté pour assurer leur reproduction. Pour éviter que les graines tombant à ses pieds ne soient irrémédiablement condamnées par manque de lumière, le moabi a mis au point un stratagème pour les faire voyager : il attire les éléphants, qui se trouvent parfois à plusieurs dizaines de kilomètres, en transmettant jusque dans ses pattes des micro-ondes produites par le martèlement des fruits mûrs tombant sur le sol. Particulièrement friands de ces fruits gorgés de sucre, les éléphants ainsi appâtés se dirigent immédiatement en direction du moabi pour se repaître, après quoi ils s'en éloignent à nouveau.

C'est donc au hasard des déplacements du pachyderme qu'un nouvel arbre prendra racine, là où l'animal déposera ses excréments chargés des graines qui ont eu le temps de germer dans son intestin. Vis-à-vis du gorille, qui apprécie également ses fruits, le moabi a développé une autre stratégie,qui vise de la même façon à assurer sa reproduction : afin de prolonger le voyage de l'animal avant la dispersion de ses graines, il fait adhérer la chair au noyau du fruit. Le gorille est par conséquent amené à sucer ce noyau plus longtemps avant de le recracher plus loin. Ces deux animaux font ainsi partie d'un groupe que l'on appelle « les disperseurs ».

5. Le figuier étrangleur : combattre pour la lumière

Après trois ou quatre siècles, les grands arbres de la forêt tropicale entrent en compétition pour conserver leur part de lumière. Comme le précise Francis Hallé dans le commentaire qui accompagne les images du film, certains d'entre eux en viennent même à lutter au corps à corps. C'est le cas du figuier étrangleur dont les graines, la plupart du temps transportées par les oiseaux, germent dans leur fiente, sur le toit de la canopée. Le figuier étrangleur développe alors des racines aériennes qu'il projette vers le sol. Au fur et à mesure de leur développement, ces racines se regroupent et se soudent jusqu'à former un nouveau tronc qui empêche l'arbre hôte _ autrement dit l'arbre qui le supporte _ de poursuivre sa croissance.

Étouffé, ce dernier commence à dépérir et finit par mourir. Le bois mort est alors récupéré par un arbre « profiteur » : le palmier panier. Grâce à sa forme, cet arbre piège tous les débris et les ramène vers ses racines afin d'accélérer l'action des décomposeurs et remettre le bois mort transformé à la disposition du figuier, qui en fabrique ses propres branches.

6. La liane du rhododendron : se camoufler pour survivre

La forêt tropicale secondaire voit s'épanouir un grand nombre de lianes, qui remontent le long des troncs d'arbres. Certaines de ces lianes développent des mécanismes astucieux pour se protéger des prédateurs. C'est le cas de la liane du rhododendron qui, jusqu'à se trouver hors d'atteinte des grands herbivores prend la texture et la couleur du tronc de l'arbre pour devenir « invisible » à leurs yeux. Une fois la liane hors de danger, elle reprend son apparence normale et commence à se déployer. C'est ce qu'on appelle le « camouflage », une forme de mimétisme qui permet aux végétaux mais aussi aux animaux de se fondre dans leur environnement afin de se protéger. C'est, par exemple, le cas d'insectes comme le phasme, qui se confond avec une brindille, ou de petits animaux vivant au sol comme la grenouille, qui prend l'apparence de la végétation des sous-bois.

7. La passiflore et le papillon Heliconius : repousser l'ennemi par tous les moyens

La passiflore est une liane dont les feuilles sont appréciées des chenilles du papillon Heliconius, qui représente par conséquent une menace pour sa survie. Afin de se protéger, celle-ci va tenter de repousser son agresseur grâce à une mutation génétique qui va la rendre vénéneuse. Pendant un certain temps, la passiflore va donc prospérer à nouveau, jusqu'à ce que les chenilles du papillon développent une résistance au produit toxique contenu dans ses feuilles et se métamorphosent en papillons eux-mêmes toxiques. La passiflore développe alors en retour une autre stratégie de défense : fabriquant de faux _ufs de papillons Heliconius censés duper son ennemi, elle lui fait croire que la place est déjà occupée.

Mais après un temps, le papillon se rend compte de la supercherie et reprend ses habitudes, obligeant la liane à trouver d'autres moyens pour se protéger. Grâce à de nouvelles mutations génétiques, celle-ci se met alors à multiplier ses formes. Mais le papillon, trompé dans un premier temps, finit toujours par la retrouver.

Cet exemple de relation, qu'on appelle « co-évolution », se trouve à l'origine d'une grande diversification des deux espèces. On compte en effet aujourd'hui quarante-cinq espèces de papillons Heliconius et cent cinquante espèces de passiflores.

8. La solidarité des arbres : avertir les autres du danger

Lorsque certains arbres se sentent « attaqués » par un herbivore, ils imbibent leurs feuilles d'un produit toxique dont le rôle est de rendre l'agresseur malade, voire même de l'empoisonner. Mais le plus étonnant est que l'arbre agressé parvient à avertir les arbres voisins du danger qu'ils courent grâce aux Composés Organiques Volatiles _ les COV ou VOC en anglais _, autrement dit des particules odorantes qui contiennent le message : « Attention, présence d'un ennemi! ».

Alertés par les signaux d'alarme qui leur sont ainsi transmis, les arbres voisins produisent à leur tour des feuilles toxiques, amères ou repoussantes qui éloignent les animaux.

9. Appeler la pluie pour satisfaire ses besoins en eau

Certaines plantes agrippées aux arbres (celles qu'on appelle « épiphytes ») sont incapables de stocker l'eau de pluie. Ces arbres hôtes vont donc une nouvelle fois recourir aux VOC en dégageant vers le ciel des molécules munies de capteurs, qui vont piéger la vapeur d'eau contenue dans l'air. Des nuages vont dès lors se former et s'accumuler au-dessus de la forêt, constituant une réserve d'eau permanente pour eux-mêmes et les plantes qu'ils supportent.


1. La photosynthèse désigne la réaction chimique qui se produit chez les plantes et dont le but est de créer l'énergie nécessaire à leur développement à partir de l'énergie lumineuse produite par le soleil. Plus concrètement, on peut dire que, grâce aux rayons du soleil, l'eau et le dioxyde de carbone contenus dans l'air sont transformés en glucose (sucre), autrement dit en «carburant» pour la plante.

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