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Une analyse réalisée par le centre culturel Les Grignoux
et consacrée au film
Le gamin au vélo
un film de Jean-Pierre et Luc Dardenne
Belgique, 1 h 24, 2011


1. Le film

Cyril, un gamin de douze ans, placé « provisoirement » par son père dans un foyer pour enfants, se heurte au monde des adultes avec sa volonté inflexible de retrouver ce père absent. Dans sa quête obstinée et maladroite, il va rencontrer Samantha, une jeune femme qui accepte de l'accueillir chez elle pendant les week-ends. Mais pour l'enfant, ce n'est guère qu'un moyen pour partir à nouveau à la recherche de son père...

La caméra des Dardenne saisit ce gamin à la croisée des chemins, en quête d'une enfance que l'on devine perdue, refusant toute affection mal venue des adultes, confronté déjà à la brutalité du monde, obligé aussi de se construire une identité encore vacillante... Avec beaucoup de finesse, elle montre notamment les malentendus qui s'installent entre les individus, même les mieux intentionnés. Samantha en particulier, interprétée par la lumineuse Cécile de France, va se heurter à ce gamin fermé, blessé, incapable d'apprécier cette générosité qu'elle lui offre spontanément

2. À quels spectateurs est destiné le film ?

Une réputation assez noire, sinon misérabiliste, s'attache trop souvent au cinéma des frères Dardenne, mais Le gamin au vélo rompt heureusement avec cette image, assez fausse d'ailleurs, et privilégie des personnages auxquels un large public peut sans doute facilement s'identifier. Les spectateurs (à partir de treize ans environ) partageront facilement le destin de ce jeune gamin tout en admirant la présence chaleureuse de Samantha.

3. Relations avec la problématique santé

Cyril est certainement un gamin « en mal d'affection », mais, derrière cette formule banale, le film révèle les difficultés que, tous sans doute, nous pouvons éprouver dans nos relations aux autres, quand nous sommes pris dans des émotions contradictoires, en proie à des attentes vagues et des sentiments confus. Éducateurs, enseignants, parents sont ainsi souvent confrontés à des silences obstinés, des refus farouches de dialogue, des réactions instinctives qui semblent incontrôlables même face à des témoignages d'intérêt et d'affection...

La vision d'un film ne peut évidemment résoudre de telles situations conflictuelles, mais Le gamin au vélo peut être l'occasion de s'interroger sur les motivations d'un personnage comme Cyril qui est incapable de mettre des mots sur ce qu'il ressent et de dialoguer autrement que par des gestes brusques avec celle qui pourtant l'accueille. La fiction sera ainsi l'occasion d'une réflexion ou d'un échange sur des comportements qui, en d'autres circonstances, resteraient muets et, de ce fait, incontrôlés. De façon plus large, le film donne aux spectateurs l'opportunité de mieux mesurer, à travers les personnages mis en scène, le « jeu des émotions » qui nous gouvernent plus ou moins malgré nous.

4. Quelques pistes de réflexion

De façon un peu provocante, on pourrait dire qu'au cinéma la mémoire est plus importante que la vision : les faits montrés - par exemple, ce geste de Cyril qui s'obstine à ouvrir le robinet d'eau dans le salon de coiffure de Samantha - ne trouvent leur sens (ou une partie de leur sens) que dans le contexte général d'une histoire dont le spectateur est obligé de reconstituer la trame par une effort de mémoire parfois important : dans ce cas-ci, Cyril vient de découvrir par l'affichette laissée par son père, que son vélo n'a pas été volé mais bien vendu par ce dernier. Cette déception face à l'évidence jusque-là niée de la trahison du père se traduit alors par ce geste répété d'ouvrir le robinet et de laisser l'eau s'écouler sans fin malgré les objurgations de Samantha. Celle-ci d'ailleurs devine que ce geste masque une colère rentrée, mais elle ne parvient pas amener l'enfant à en exprimer les raisons.

Dans le cadre d'une animation, l'on peut ainsi suggérer aux participants de passer en revue quelques épisodes significatifs d'un film comme Le gamin au vélo : le travail de remémoration va immanquablement entraîner une explicitation et une interprétation de la chaîne des événements dont la « logique » cachée facilitera en retour la recherche de souvenirs. La déception de Cyril, évoquée à l'instant, permet ainsi de remonter en amont du récit, puisque l'on se souvient de l'obstination de l'enfant à affirmer que son vélo à dû être volé, mais également en aval, les spectateurs se souvenant certainement de sa réflexion quand il se retrouve face à son père qui lui explique avoir dû vendre le vélo : « C'est pas grave ! »

Cette contradiction apparente est évidemment intéressante à analyser, même si elle est sans doute assez facile à interpréter : Cyrille n'attachait une aussi grande importance à son vélo que parce que celui-ci le reliait à son père, mais quand il retrouve celui-ci, sa présence est évidemment beaucoup plus importante que celle du vélo (qu'il a par ailleurs récupéré). Il ne « ment » pas à son père, mais il reconnaît implicitement que le vol supposé n'était qu'une espèce de prétexte. On peut bien sûr expliciter de façon différente (ou plus nuancée) les motivations du gamin, mais ce qui importe, c'est de parvenir effectivement à « mettre des mots » sur des réactions que lui-même semble incapable de démêler.

Si certains spectateurs n'auront sans doute pas de mal à suggérer des interprétations de ce type, d'autres seront certainement moins à l'aise en ce domaine. Il n'y a évidemment pas de « règles » pour mener de telles interprétations qui dépendent pour une part de l'expérience personnelle de chacun mais qui reposent aussi en l'occurrence sur de nombreux indices filmiques : un peu d'expérience en matière d'animation montre que la mise en évidence de ces indices et surtout leur « mise en ordre » jouent souvent comme une révélation pour les spectateurs moins habitués à ce type de réflexion.

Un enjeu essentiel du film

Dans un premier temps, il vaut sans doute mieux aborder des détails précis d'un film comme Le gamin au vélo parce qu'ils sont suffisamment articulés à d'autres éléments pour qu'on puisse en proposer une interprétation cohérente et étayée : on vient de le voir avec le geste de Cyril ouvrant obstinément le robinet d'eau au salon de coiffure. D'autres réactions plus visibles ou plus importantes des personnages mis en en scène peuvent néanmoins susciter le questionnement mais ne pas trouver de réponse aussi facile, tout simplement parce que les réalisateurs ont choisi de ne pas livrer d'éléments d'interprétation à leur propos : c'est le cas notamment du comportement de Samantha qui choisit d'accueillir chez elle le jeune Cyril et qui s'obstine à prendre son parti malgré toutes les rebuffades qu'elle essuie.

Tout bien sûr ne s'explique pas ou du moins ne s'explique pas de la même manière : on peut ainsi faire l'hypothèse que le personnage de Samantha a été construit par les cinéastes (qui sont également scénaristes de leur film) comme un « donné », comme un bloc destiné surtout à servir de « révélateur » à ce gamin rencontré par hasard : comment, lui, va-t-il réagir à cette présence d'une adulte qui n'est ni une parente ni une éducatrice ni même vraiment une tutrice ? S'il ne s'agit pas à proprement parler d'une « expérience » psychologique dans l'esprit des réalisateurs, cette relation qui se construit tout au long du film avec de multiples rebondissements, mérite d'être questionnée même si les réponses sont à présent plus difficiles.

On ne reviendra ici que sur la seconde partie du film quand le jeune Cyril (qui a compris que son père ne souhaite plus l'accueillir) se retrouve partagé entre Samantha, sa « bonne fée », et Wes qui l'invite à jouer sur sa console à Resident Evil (littéralement, ce titre de jeu signifie le « diable résidant »...) et veut l'entraîner dans un mauvais coup. La réaction de Cyril est tout à fait intéressante à commenter sinon à interpréter puisqu'il passe sous la coupe de ce « mauvais garçon » au point d'entrer en conflit violent avec Samantha et lui porter un coup (léger) de ciseau.

Un enfant partagé

Cette soumission à un aîné « malfaisant » peut sembler fort commune et est d'ailleurs souvent dénoncée par les adultes, parents ou éducateurs, plus ou moins démunis face à ce qu'ils ressentent comme l'influence prépondérante des « copains », du groupe de pairs qui deviennent aux yeux des enfants et des adolescents plus importants que tous les adultes, même les plus attentionnés. Plusieurs pistes indiquées par le film permettent néanmoins d'éclairer de façon intéressante ce comportement.

Cyril a évidemment été marqué par l'abandon de son propre père, et l'on pourrait voir dans Wes une espèce de substitut paternel, mais le grand adolescent ne joue guère ce rôle et se présente plutôt comme un grand frère, comme quelqu'un qui a vécu la même épreuve que lui (il est également passé par le foyer pour enfants abandonnés) mais l'a surmontée. Wes offre ainsi à Cyril l'occasion de « grandir », de devenir adulte et indirectement de ne plus souffrir comme un enfant : les épisodes de bagarre avec un autre membre de la bande, le surnom de pit-bull dont le gratifie Wes ont ainsi pour effet (ou pour fonction) de « l'endurcir », c'est-à-dire de lui faire préférer l'agressivité, la froideur, la décontraction, la solitude qu'incarne Wes à la plainte sur son propre sort.

L'attitude plus « maternelle » de Samantha risque en revanche d'entretenir la douleur tout en maintenant Cyril dans son statut d'enfant dépendant de l'adulte. De Samantha, Cyril n'attend d'ailleurs rien puisqu'elle lui donne « tout », et cela lui évite de s'interroger sur cet amour en apparence sans faille qu'elle lui porte : elle lui reprochera notamment, après une de ses absences, de ne pas avoir lui avoir téléphoné ni surtout pensé qu'elle pouvait s'inquiéter.

Wes par contre lui fait passer de petites épreuves (il lui demande s'il peut vraiment lui faire confiance, il lui fait répéter consciencieusement les gestes de l'agression), signifiant par là que sa reconnaissance n'est nullement assurée. Ce désir d'être reconnu par le chef de la bande constitue en outre un enjeu nouveau pour Cyril : il s'agit de se valoriser et d'être valorisé aux yeux des autres, d'être à la « hauteur » de leurs attentes, fort et agressif comme un pit-bull. Cette volonté de sauver la face et de s'affirmer est sans doute plus prégnante dans les groupes de garçons où jouent la compétition et la concurrence comme on le voit dans la petite bande de Wes. Et elle explique également le détachement (évidemment variable selon le moment) de Cyril à l'égard de Samantha qui ne lui offre apparemment que de l'affection.

L'issue du film permet alors de contrebalancer ce « mécanisme » puisqu'il révèle la fragilité du groupe de pairs qui va se briser dès que les enjeux se révéleront trop importants et dramatiques, Samantha devenant alors le seul recours pour l'enfant en perdition. Cette « leçon » n'a bien sûr que valeur d'exemple, et le film avec sa part de fiction et ses interprétations à peine esquissées, laisse au spectateur le soin d'en tirer les véritables conclusions. Néanmoins, l'expérience du Gamin au vélo peut permettre à chacun, par le dialogue et la réflexion, de mieux comprendre ces « mécanismes » émotionnels que nous avons tous des difficultés à maîtriser dans le cours pressant de la vie quotidienne.


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