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Une analyse réalisée par le centre culturel Les Grignoux
et consacrée au film
Looking for Eric
de Ken Loach
Grande-Bretagne, 2009, 1h59


Le film

Le dernier film de Ken Loach, Looking for Eric, met en scène un postier, Eric Bishop, qui semble submergé dans tous les secteurs de sa vie. Il n'est plus à la hauteur dans son travail ; ses beaux-fils dont il a la charge ne lui adressent plus la parole ; sa vie sentimentale est un désert. À tel point qu'Eric a perdu le goût de vivre. Il donne tous les signes de la dépression. Mais Eric va trouver un interlocuteur, une oreille attentive… sur le mur de sa chambre : la photo de son idole, Eric Cantona ! Le dialogue imaginaire qu'il va instaurer avec le célèbre footballeur va lui permettre petit à petit de sortir la tête hors de l'eau…

A quel public s'adresse le film ?

S'il aborde des sujets graves, comme la transformation des valeurs de la société ou la difficulté du dialogue entre adultes et adolescents, s'il comporte aussi des scènes de grande tension et même de violence, le ton général du film Looking for Eric est plutôt celui de la comédie. Il constitue à la fois un spectacle plaisant et un support consistant pour l'échange et la discussion et il s'adresse à un très large public, dès l'adolescence.

Relation à la problématique santé

L'on pouvait ne pas s'attendre à trouver Ken Loach, tête de file du «cinéma social britannique», sur ce terrain de la psychologie alors qu'il s'attache plus volontiers à l'Histoire (Land and Freedom, Le vent se lève,…) ou à dénoncer les dérives du capitalisme (The Navigators, It's a Free World,…) Certes, Looking for Eric permet avant tout à l'auteur de faire passer un message de solidarité, mais il développe néanmoins des thèmes plutôt inédits dans sa filmographie, comme, par exemple, le football ou encore le «malaise mental».

C'est son approche de la dépression qui retiendra notre attention ici. En effet, dans le cadre de la prévention ou de la sensibilisation à la santé mentale, le film constitue un support pertinent pour amorcer une réflexion sur «le malaise psychologique», au sens le plus large du terme, et identifier les représentations qui y sont liées : qu'est-ce qu'une dépression ? s'agit-il d'un trouble mental ? quels en sont les remèdes ?

Les symptômes

Les premières images du film sont spectaculaires et intrigantes : un homme, au volant de sa voiture, tourne à contresens et à vitesse élevée sur un rond-point, dans un concert de klaxons. L'inévitable collision se produit.

Comment cet homme en est-il arrivé là ? S'agit-il d'un conducteur distrait ? d'un kamikaze ? d'un suicidaire ? Ces questions vont trouver des réponses tout au long du film.

De retour chez lui après un court passage à l'hôpital, Eric Bishop est surpris de voir deux étrangers sortir de sa maison, de trouver des objets inconnus qui encombrent l'entrée, de croiser une jeune fille qui lui demande qui il est… Tout indique que ses deux beaux-fils adolescents qui vivent avec lui envahissent totalement le domicile, n'épargnant guère que la propre chambre d'Eric qui devient littéralement son refuge. Là, il écoute un message téléphonique de sa fille qui lui reproche de ne pas être allé à un rendez-vous. L'on comprend bientôt que ce rendez-vous manqué résulte de la peur d'Eric d'affronter le passé, une peur qui a suscité la crise de panique à laquelle on a assisté dans la scène d'ouverture.

Au travail, Eric est observé par ses collègues au centre de tri postal : les gestes qui paraissent automatiques pour les autres facteurs semblent pour lui une procédure laborieuse. «Il n'est plus ce qu'il était…» commentent ses amis.

Plus tard, quelques collègues découvriront chez Eric une grande quantité de courrier non-distribué…

Enfin, seul, Eric se confie à un «ami imaginaire», le célèbre footballeur Eric Cantona, dont la photo grandeur nature est punaisée dans sa chambre. Ce dialogue à sens unique est très révélateur puisque toutes les questions qu'Eric pose à son idole se rapportent en réalité à sa propre vie à lui : quand as-tu été heureux pour la dernière fois ? As-tu déjà consulté un psy ? As-tu déjà pensé à te supprimer ? Est-ce que tu comptes pour quelqu'un ?

Les causes

Le développement du récit nous renseigne sur l'événement déclencheur de cet état : jeune homme, Eric est amoureux de Lily, qui l'aime elle aussi. Ils ont un enfant et, lors de son baptême, Eric est pris à partie par son propre père, qui lui fait des reproches «en lui enfonçant ses gros doigts dans le cou» : pourra-t-il faire face à ces nouvelles responsabilités, qui en outre l'obligent à interrompre ses études ? Pris de panique, Eric s'enfuit. L'anxiété et la culpabilité ne le quitteront plus et il finira par abandonner Lily et leur enfant. Eric en ressentira encore la honte trente ans plus tard…

Le remède

L'on ne saura rien du traitement médical prescrit à Eric Bishop lors de son court séjour à l'hôpital, sinon qu'il a dû consulter un psy. En effet, alors qu'il s'adresse à l'image de Cantona, il demande «have you ever seen a shrink ?» (as-tu déjà consulté un psy ?) et cette question est très révélatrice. Le mot «shrink» est à la fois très familier et un peu péjoratif. En outre, cette question parmi les autres est évidemment du même registre, celui de l'échec ou du mal-être. Ainsi, pour Eric Bishop, «consulter un psy» est le signe ultime et honteux qu'il a touché le fond.

Le chemin d'Eric Bishop vers le «mieux-être» se fera par d'autres voies que par un traitement médical, des voies un peu farfelues, il faut bien le dire ! En effet, si la «thérapie par le rire» que son ami Meatballs préconise (il envoie tour à tour chacun de ses collègues lui raconter une histoire drôle) ne semble pas très efficace à long terme, une autre de ses initiatives - encourager Eric à s'identifier à un personnage charismatique - portera curieusement ses fruits. Eric choisit Cantona comme modèle et alors qu'il lui parle dans sa chambre à coucher, le célèbre footballeur se met à lui répondre ! C'est sans doute la petite cigarette de haschich que fume Eric qui provoque cette hallucination, un phénomène qui se reproduira de nombreuses fois au cours du récit. Les conseils que prodiguera Cantona à Eric l'aideront à dépasser ses peurs, à s'affirmer, mais aussi à se confier à ses proches, à reconnaître ses propres faiblesses et enfin à prendre un nouveau départ.

Suggestion d'animation

Même si l'on est loin d'une œuvre documentée qui aurait pour sujet principal la dépression - on l'a dit, l'intention de l'auteur est sans doute davantage à chercher du côté du message de solidarité -, la fiction met en scène des personnages qui ne présentent peut-être pas la complexité psychologique de vraies personnes mais qui ne sont pas non plus des stéréotypes ou des clichés. Aussi la fiction permet-elle de confronter les représentations des spectateurs à une image sans doute partielle mais relativement nuancée de l'état dépressif.

La vision du film pourra donc être suivie par une animation dont l'objectif sera précisément de prendre la mesure des représentations relatives à l'état dépressif, à ses causes, à ses remèdes. L'animateur invitera les participants à réagir à cet aspect précis du film : la psychologie du personnage principal. Les échanges pourront être nourris par des questions comme :

  • en dehors des «apparitions» d'Eric Cantona, l'histoire vous paraît-elle crédible ?
  • quels sont les signes du malaise d'Eric Bishop ?
  • comment définiriez-vous l'état d'Eric au début du film ?
  • décrivez les relations d'Eric Bishop avec les autres personnages du film : ses amis de la Poste, ses beaux-fils, sa fille Sam, son ex-femme Lily
  • d'après votre expérience, les moments de crise ou de «mal-être» vécus par Eric vous paraissent-ils sérieux et suffisamment graves pour nécessiter une intervention extérieure ? Ou bien pensez-vous que ça peut passer tout seul ?

L'on peut s'attendre à des réactions très diverses. Les actes, les gestes, les expressions et les paroles du personnage peuvent être interprétés de différentes manières. L'état d'Eric Bishop peut être traduit par des mots comme dépression, déprime, passage à vide, faiblesse, folie, mal-être, désespoir, détresse, sentiment d'impuissance… L'on peut juger le personnage faible ou au contraire être sensible à sa souffrance. L'on peut également croire ou ne pas croire à son histoire : se peut-il que les reproches adressés à Eric par son père soient réellement à l'origine d'une crise qui se manifesterait à nouveau trente ans plus tard ?

L'on pourra ensuite mettre en question le «remède» et confronter les représentations des participants à la «guérison» du personnage. Si les moyens qui permettent à Eric Bishop de se sentir mieux peuvent paraître tout à fait fantaisistes, beaucoup d'interprétations sont permises quant à l'image que le film donne de la thérapie. Les questions suivantes, par exemple, permettront d'identifier les représentations :

  • pensez-vous, comme Eric, que quand on doit aller voir un psy, c'est qu'on a touché le fond ? ou qu'on est malade ?
  • pensez-vous que l'on peut guérir d'une dépression sans un traitement médical ou psychologique ?
  • pensez-vous que la «thérapie par le rire» que préconise Meatballs puisse être efficace ?
  • que pensez-vous de la vulgarisation du savoir, telle que Meatballs la pratique ? En d'autres termes, pensez-vous qu'on puisse appliquer des méthodes «thérapeutiques» en lisant ce que les livres en disent ou bien un recours à un professionnel de la santé est-il indispensable ?
  • qu'est-ce qui est le plus déterminant dans le mieux-être d'Eric ? Le dialogue qu'il a avec Cantona ? Le soutien de ses amis ? Le haschich ? Le sport ?

Commentaire

La question de la thérapeutique risque de susciter des réactions très diverses. En effet, sous des dehors plutôt comiques, le film évoque la thérapie de manière assez ambiguë. On l'a dit, pour Eric Bishop, la consultation du psy est davantage une conséquence du malaise plutôt qu'une démarche positive vers le mieux-être. Sa vision de cette profession correspond peut-être à celles de certains spectateurs. Le caractère professionnel mais aussi intellectuel ou érudit peut intimider ou être dénigré.

Le personnage de Meatballs est à cet égard intéressant à observer. À la fois ami et collègue d'Eric, il fréquente les bibliothèques et cherche des solutions aux problèmes dans les livres. Cela suffit pour le faire passer pour l'intellectuel de l'équipe parmi les postiers et pour susciter les moqueries («On devrait t'interdire l'accès aux bibliothèques !» lui dit l'un d'eux). Pourtant, c'est bien Meatballs qui intervient de la manière la plus efficace pour aider Eric, et c'est lui également qui est le plus à l'écoute et qui lui offre un soutien inconditionnel. Meatballs va notamment organiser une sorte de séance de thérapie collective où les amis postiers d'Eric seront invités à s'identifier à un personnage charismatique. Les participants à cette séance ne la prennent guère au sérieux («Ce n'est pas un secte, au moins ? Il n'est pas question que j'enlève mon pantalon !» dit l'un d'eux) mais jouent néanmoins le jeu et citent chacun une personnalité remarquable… Qu'il s'agisse de la vulgarisation scientifique ou de la popularité du «développement personnel» auprès d'un certain public, l'auteur du film semble mi-amusé, mi-intrigué…

Finalement, cette identification à Eric Cantona sera décisive pour Eric Bishop, puisqu'elle l'amènera à dialoguer avec le footballeur. Or, ce dialogue est purement imaginaire - il se produit la première fois alors qu'Eric fume un joint et leurs discussions suivantes auront parfois lieu autour d'une bouteille de vin, mais dans tous les cas quand Eric est seul… -, cela signifie donc que tous les conseils de Cantona, toutes les pensées de celui-ci (le plus souvent des aphorismes assez drôles comme «Celui qui anticipe tous les dangers ne prend jamais la mer»), c'est en lui-même qu'Eric les formule. C'est également avec Cantona et donc avec lui-même qu'il évoque les blessures du passé. L'on pourrait dire qu'il instaure ainsi un dialogue avec lui-même et que c'est précisément ce dialogue qui lui permet de trouver le chemin vers le «mieux-être».

Tout se passe ensuite comme si le dialogue avec soi-même permettait le dialogue avec l'autre. En effet, Eric va progressivement passer d'un état où il est renfermé sur sa honte et sur son secret à un sentiment de confiance qui lui permet de parler sans crainte à ses proches et même de leur demander de l'aide, c'est-à-dire reconnaître ses faiblesses et ses difficultés : le premier pas sans doute pour les surmonter…


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