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Une analyse réalisée par le centre culturel Les Grignoux
et consacrée au film
Million Dollar Baby
un film de Clint Eastwood
USA, 2004, 2 h 12


1. Le film en bref

C'est l'histoire d'une relation complexe entre deux personnalités différentes, Maggie, une jeune boxeuse, et Frankie, un entraîneur âgé qui refuse d'abord de croire aux chances de cette femme obstinée mais déjà trop âgée, selon lui, pour monter sur le ring. Après des débuts difficiles, l'histoire de leur relation prend des allures de « success story » à l'américaine ; mais les événements vont bientôt prendre une tournure inattendue ...

2. À quels spectateurs est destiné le film?

Le film, par la complexité des relations mises en images, par la dureté également de certaines scènes, s'adresse à un public averti et relativement mûr (à partir de 15 ans environ). Les pistes d'animation proposées ici sont plus particulièrement destinées à un public en situation scolaire.

3. Relations à la problématique santé

Million Dollar Baby ne traite pas à proprement parler d'un thème de santé, mais, de façon plus profonde, il questionne (ou permet de questionner) des enjeux aussi essentiels que notre rapport au corps et à son apparence, la définition de l'identité sexuelle, la valeur que nous donnons à notre présent et à notre futur... À travers l'histoire singulière de Maggie et de Frankie, la fiction permet ainsi notamment aux spectateurs de mesurer la place que l'on peut, que l'on veut ou que l'on doit accorder à la santé dans « l'économie » générale de notre propre existence. C'est dans cette perspective que l'animation proposée ici a été conçue : elle s'adresse en particulier à un public adolescent qui est confronté à différents choix de vie dont le sens et la valeur sont certainement perçus comme problématiques.

Deux thèmes nous retiendront de façon plus particulière.

Tout en racontant une histoire singulière, Million Dollar Baby joue, comme la plupart des films de fiction, sur des affects et des émotions qui sont sans doute universels ou du moins largement partagés. Ainsi, l'identification au personnage central de Maggie repose en partie sur la peur ou l'angoisse que peuvent susciter les atteintes au corps propre dues à une violence subie. La boxe est évidemment un sport où « l'on prend des coups », où l'on en donne aussi, mais un peu de réflexion nous fait facilement percevoir le fait que le film de Clint Eastwood sollicite sans doute moins notre « agressivité » naturelle que des sentiments de crainte quant à la violence dont pourrait être victime la jeune femme. C'est le cas en particulier d'une scène marquante où Maggie a le nez cassé par son adversaire : son entraîneur le remet alors en place et stoppe l'hémorragie en la prévenant cependant qu'elle n'a plus que quelques secondes pour abattre son adversaire avant que le sang ne se remette à couler. Cette séquence, qui répète d'ailleurs la scène d'ouverture où Frankie soignait de la même manière un jeune boxeur noir, montre cette fois clairement le visage crispé de l'entraîneur qui arrêterait sans doute le match sans la volonté obstinée de sa boxeuse ; on entend en outre distinctement le bruit de l'os ou du cartilage au moment où il est remis en place, ce qui suscite sans doute chez beaucoup de spectateurs une réaction d'effroi ou de recul (au moins mental...).

Le fait que Maggie soit une femme accentue certainement une telle réaction : la violence, qu'elle soit subie et donnée, est dans notre société (mais pas uniquement...) « affaire d'hommes », et le corps féminin est au contraire évalué en fonction d'une apparence à laquelle il ne faut en aucun cas porter atteinte, et qui doit être au contraire préservée et embellie. Que ce soit là affaire de convention et d'imaginaire – la violence faite aux femmes est malheureusement une terrible réalité – ne rend pas moins efficaces de telles représentations : Maggie, en choisissant une carrière « masculine », heurte peu ou prou notre « sensibilité » et nous confronte à un choix de vie qui est - pour la plupart des spectateurs au moins sur le plan émotionnel - « dérangeant » (rares sinon exceptionnels seraient par exemple les parents qui choisiraient une telle carrière pour leur fille).

Par ailleurs, le film de Clint Eastwood joue sur une ambivalence de sentiments, sans doute partagée par de nombreux spectateurs : la boxe est un sport à risques tout en étant synonyme pour les meilleurs (ou les plus chanceux) de gloire et de réussite. Pour Maggie, l'aventure d'abord marquée par le succès se terminera en effet de façon tragique, la laissant finalement gravement handicapée. Deux points de vue vont alors s'affronter, celui de la jeune femme qui accepte d'une certaine manière le prix à payer d'une carrière dont un accident n'efface pas la réussite antérieure, et celui de Frankie, son entraîneur, qui se sent responsable (au moins partiellement) de cet accident et du terrible handicap qui en résulte. Cette confrontation répète cependant un conflit antérieur entre Frankie et un autre de ses boxeurs, Scrap, qui, bien qu'ayant perdu un œil sur le ring, estime néanmoins qu'il a eu « sa chance » et qu'il a eu raison de vouloir la saisir à ce moment-là, quelles qu'en aient été les conséquences.

On perçoit facilement que le film « donne raison » sans doute à Maggie (et à Scrap) puisque Frankie acceptera de mettre fin aux jours de Maggie, considérant donc que la vie qui lui reste ne vaut pas la peine d'être vécue (devenue tétraplégique, incapable de survivre sans assistance respiratoire, Maggie demande à Frankie de la laisser mourir, ce qu'il refusera dans un premier temps, essentiellement pour des raisons religieuses). En cela, le film de Clint Eastwood est assez conforme à une idéologie américaine qui valorise surtout la réussite individuelle pouvant prendre la forme la plus matérielle qui soit : le rêve américain de Maggie consiste notamment à devenir la « Million Dollar Baby », la fille qui, par la boxe, gagnera un million de dollars.

Il ne s'agira pas ici de dénoncer ni d'approuver cette dimension idéologique (qui devrait d'ailleurs être nuancée) mais plutôt d'en faire percevoir le caractère problématique surtout lorsqu'on considère l'aspect exceptionnel de la situation mise en scène.

4. Suggestion d'animation

L'objectif de l'animation proposée autour de Million Dollar Baby ne saurait être de modifier des comportements ni même des attitudes profondément ancrées. Si l'on considère par exemple la prise de risque que constitue la carrière choisie par Maggie, on sait bien que de tels comportements sont plus fréquents parmi les adolescents que chez les adultes, mais il est clair que tous les adolescents (notamment parmi ceux qui participeraient à une telle animation) ne sont pas des « casse-cous » et que certains sont même particulièrement timorés...

Semblablement, si le film met en jeu des craintes ou des angoisses liées aux atteintes au corps propre, celles-ci sont sans doute vécues très différemment selon le sexe mais également à l'intérieur de chaque sexe : toutes les jeunes filles et jeunes femmes n'ont évidemment pas le même souci de leur apparence, et certaines sans vouloir nécessairement se lancer dans une carrière de boxeuse peuvent néanmoins s'identifier plus ou moins intensément à un personnage comme Maggie.

Face à un public nécessairement hétérogène, il serait donc naïf de vouloir promouvoir une bonne attitude — par exemple, « ne prenez pas de risques inutiles » —, et il paraît plus raisonnable de favoriser une confrontation des opinions et indirectement une explicitation sinon une prise de conscience des attitudes personnelles de chacun.

Une première étape consisterait classiquement à demander aux jeunes participants leurs impressions immédiates sur le film. On s'attacherait notamment aux scènes les plus « marquantes », c'est-à-dire celles qui ont suscité, positivement ou négativement, des réactions émotionnelles importantes. Sans préjuger de ces réactions, on peut penser qu'elles porteront notamment sur les deux grands thèmes que l'on a précédemment dégagés.

L'animateur essaiera en particulier d'amener les participants à expliciter les raisons – sans doute plus ou moins confuses – de leurs réactions positives ou négatives. L'utilisation d'un questionnaire écrit pourrait être ici un outil efficace.

Un tel questionnaire, qui porterait d'abord sur la carrière choisie par Maggie, serait composé de deux grands volets selon que l'on se sent proche ou non du personnage :

  1. « Personnellement, vous vous sentez éloigné(e) de la volonté de Maggie de devenir une boxeuse professionnelle parce que :
    • les risques pour la santé sont trop importants ;
    • la boxe, c'est la violence : il faut aimer se battre et donner des coups ;
    • c'est une carrière qui demande trop d'entraînement, trop d'efforts ;
    • je n'ai pas envie de me retrouver avec le nez cassé ;
    • c'est un sport d'hommes ;
    • Maggie choisit cette carrière parce qu'elle n'a pas d'alternative ;
    • c'est une compétition où l'on n'a pratiquement aucune chance de gagner (et beaucoup de perdre...).
  2. Personnellement, vous comprenez la volonté de Maggie de devenir une boxeuse professionnelle parce que :
    • pour réussir, il faut savoir prendre des risques et tenter sa chance au bon moment ;
    • c'est une carrière inhabituelle pour une femme ;
    • ça permet à Maggie de sortir de son milieu et de monter à sa famille de quoi elle est capable ; et elle ne veut pas ressembler à sa famille ! ;
    • c'est un sport qui permet de s'affirmer et qui oblige à surmonter sa peur ;
    • il vaut mieux une carrière brève mais réussie qu'une vie de travail sans éclat ;
    • c'est une carrière exceptionnelle, que l'on choisit parce que c'est une espèce de rêve et qu'on veut aller jusqu'au bout ;
    • c'est une manière d'éprouver ses propres limites, de savoir jusqu'où on peut aller ».

Chaque participant devra se limiter à un seul choix, le plus proche de ses convictions ou sentiments. L'animateur passera ensuite en revue les différentes réponses du questionnaire en demandant à chaque fois quels sont les participants qui y ont répondu positivement. Ceux-ci seront alors invités à justifier leur choix en se référant d'abord au film de Clint Eastwood et aux événements mis en scène. Des réactions plus personnelles (au-delà de l'histoire de Million Dollar Baby) pourront éventuellement compléter ces premières réflexions.

L'animateur suggérera ensuite des situations contradictoires pour inciter les différents participants à nuancer leurs prises de position. Ainsi, on pourrait demander à ceux et celles qui défendent la prise de risque quelles limites ils envisagent pour de tels comportements. On s'interrogera à ce propos sur l'histoire de Maggie, qui est évidemment construite de manière à rendre inéluctable son issue dramatique : il suffit d'imaginer que Maggie ait été victime du même accident lors de son premier combat alors qu'elle n'était qu'une boxeuse inconnue pour faire apparaître d'un côté la dimension artificielle du récit (évidemment destiné à favoriser certaines émotions) et de l'autre le caractère démesuré des risques pris dans une telle carrière. Or tous les jours, des sportifs amateurs sont victimes d'accidents parfois aussi dramatiques que celui de Maggie sans qu'ils en aient évidemment retiré la « gloire » de la jeune boxeuse.

À l'inverse, le refus de la violence – évidemment légitime – peut également poser problème dans certaines circonstances : le fait que les jeunes filles soient en général rétives à toute violence sinon même incapables même d'y répondre risque bien de les mettre en situation dominée dans leurs relations avec les hommes, que cette domination soit seulement verbale ou dans certains cas malheureusement strictement physique. Dans ces circonstances, la pratique d'un sport de combat – sans doute moins violent que la boxe – ne serait-il pas un moyen pour prendre une assurance qui autrement risque de faire défaut, même s'il ne s'agit pas évidemment de répondre à la violence par la violence ? Sur ce point, le personnage de Maggie, peu « féminin » selon les critères habituellement en vigueur, suscite néanmoins la sympathie sinon l'admiration pour sa capacité à s'imposer moralement face à Frankie qui joue d'abord au vieux cynique et n'hésite pas à la rabaisser.

D'autres personnages ou d'autres situations du film peuvent également être évoqués pour stimuler la discussion et l'émergence de points de vue différents : ainsi, le personnage de Danger, ce jeune paumé qui croit obstinément qu'il sera le futur champion du monde des poids welter malgré son manque évident de talent, est un peu une figure inversée de Maggie : tous deux veulent aller au bout de leurs rêves, mais la réussite de l'une se paie au prix fort tandis que l'échec de l'autre ne l'empêche pas de poursuivre obstinément dans la même voie (il réapparaît au gymnase à la toute fin du film en reprenant une parole de Scrap : « N'importe qui peut perdre un match »). Dans ce cas aussi, il ne s'agit pas d'imposer une interprétation ni un jugement de valeur mais d'interroger les dimensions contradictoires du personnage : a-t-il raison de s'obstiner dans une carrière où il n'a aucune chance de réussite ? Jusqu'où faut-il persévérer dans la voie qu'on s'est choisie, malgré les échecs rencontrés ? La vie vaut-elle la peine d'être vécue sans un rêve à accomplir ?

Sans doute, de telles questions semblent dépasser le champ de l'éducation à la santé et nous entraîner vers un questionnement de type philosophique. On propose donc, après cette discussion qui risque de glisser vers des opinions trop générales, de demander aux participants de répondre par écrit et de façon individuelle aux questions suivantes :

  • « Est-ce qu'aujourd'hui, je prends des risques par rapport à ma santé ? Lesquels ? » ;
  • « Quel(s) risque(s) suis-je prêt à prendre malgré tout par rapport à ma santé ? » ;
  • « Quels sont les risques que je ne suis pas prêt à prendre pour ma santé ? Quels sont les risques que je pourrais envisager de réduire ? ».

Ces textes pourront servir à la réflexion personnelle de chacun. Mais ils pourront également être remis à l'animateur pour mieux connaître le public auquel il s'adresse, et servir ainsi de base à une rencontre ultérieure.


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