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Une analyse réalisée par le centre culturel Les Grignoux
et consacrée au film
The Magdalene Sisters
un film de Peter Mullan
Grande-Bretagne, 2002, 2 h 00


1. Le film

L'Irlande catholique n'a jamais badiné avec l'amour et encore moins avec le sexe, au point d'enfermer les jeunes filles qui avaient «fauté» — ou qui étaient seulement susceptibles de «fauter» — dans des couvents où elles étaient contraintes de travailler sans relâche et sans salaire pour les éloigner de la tentation du péché. En fait de couvents (dont les derniers n'ont été fermés que dans les années 90 !), il s'agissait pour ces jeunes filles de véritables prisons où elles étaient privées de tout droit, passant leurs journées à nettoyer des tonnes de linge venant des institutions et entreprises des environs.

C'est à travers l'histoire — largement authentique — de trois adolescentes victimes de ce brutal enfermement dans les années 60 que Peter Mullan (un acteur remarqué chez Ken Loach, passé à la mise en scène) décrit avec beaucoup de finesse les mécanismes pervers de ce genre d'institution : si l'oppression est arbitraire et violente, elle engendre cependant chez ses victimes une grande variété de comportements depuis la révolte franche (de fait exceptionnelle) jusqu'à la collaboration en passant par la soumission réelle ou seulement apparente.

2. À quels spectateurs est destiné le film?

Ce film [1] s'adresse à un large public d'adolescents et adolescentes à partir de quinze ans environ. Son propos polémique ainsi que la crudité de certaines scènes peuvent cependant heurter certains spectateurs. Les propositions d'animation suggérées ici visent également un public d'adolescent(e)s.

3. Relation à la problématique santé

L'éducation à la sexualité, on le sait bien, dépasse largement la question de la santé (au sens étroit) et met en jeu les valeurs, les attitudes, les représentations les plus intimes des individus [2]. Si, de ce point de vue, The Magadalene Sisters met en scène une situation extrême (si du moins on la rapporte à l'aune de la plupart des sociétés occidentales contemporaines), les comportements contrastés des personnages traduisent des «mécanismes» psychologiques qui se retrouvent sans doute à des degrés divers et avec de multiples nuances chez la plupart de nos contemporain(e)s.

La «focalisation» de l'Irlande catholique sur la sexualité féminine trahit ainsi une valorisation de la virginité et plus largement de la pureté profondément ancrée dans de nombreuses sociétés mais également des craintes, des peurs profondes liées à la défloration qui n'ont pas disparu de nos sociétés «libérales» et «libérées» : filles et garçons accordent en général une importance différente à la sexualité, s'y engagent de manière spécifique, manifestent également des attentes ou des angoisses à son égard qui engagent toutes leurs représentations de la personne humaine [3].

Il ne s'agira donc pas ici pour l'animateur ou l'enseignant de prendre la défense du film de Peter Mullan qui est effectivement engagé et qui a déjà suscité des réactions contrastées (le Vatican a, paraît-il, protesté contre l'attribution du Lion d'or de Venise à ce film), mais plutôt de favoriser l'expression des différentes opinions à son propos. Au-delà de cette expression d'opinions individuelles (qui risquent d'être plus ou moins convenues), on essayera également d'amener les participants à interroger leurs propres certitudes par un questionnement plus approfondi sur les motivations des personnages mis en scène dans le film.

4. Suggestion d'animation

Le point de vue des autorités

La sévérité des mœurs de l'Irlande catholique représentée dans The Magdalene Sisters est sans doute extrême et très éloignée de ce que vivent aujourd'hui la plupart des adolescents européens. Il n'est pas sûr cependant que tous les spectateurs partagent le jugement du réalisateur Peter Mullan sur ces institutions répressives, et certain(e)s seront peut-être tenté(e)s d'en justifier l'un ou l'autre aspect en fonction de leurs propres valeurs et croyances mais aussi du contexte historique particulier où sont apparues ces institutions.

À ce propos, l'on pourrait soumettre aux participants le témoignage [4] de responsables de ces couvents qui, face aux critiques et aux témoignages des victimes [5], expliquèrent a posteriori que les jeunes femmes qui y étaient hébergées étaient en fait rejetées par leurs familles, qu'il s'agissait bien souvent de prostituées ou d'alcooliques ou encore de personnes « socialement inadaptées » qui, jetées à la rue, auraient été exposées à de bien plus grands dangers... La discussion ne visera pas à justifier l'attitude de ces responsables mais seulement à faire apparaître les raisons qui ont pu les motiver, ainsi que le rôle complexe des parents qui ont été amenés à laisser enfermer (ou à faire enfermer) leurs filles dans de telles institutions.

L'animateur pourrait ainsi suggérer de comparer les situations mises en scène dans ce film avec une série d'autres plus banales et plus proches de ce que peuvent sans doute connaître les participant(e)s : si l'enfermement brutal des héroïnes des Magdalene Sisters est sans doute révoltant, cela signifie-t-il que les parents ne peuvent poser aucun interdit ni aucune norme ?

Ainsi que pensent les participants des situations suivantes :

  • Est-il normal d'interdire à une jeune fille de moins de seize ans (ou de quatorze, de treize, de douze...) de sortir seule après minuit ?
  • Peut-on refuser qu'une adolescente porte certaines tenues (provocantes, osées, sexy ?) dans certaines circonstances ?
  • Une mère peut-elle fermement conseiller à une adolescente de prendre la pilule (ou un autre contraceptif) pour ne pas tomber enceinte avant sa majorité ?
  • Y a-t-il un âge avant lequel des parents peuvent interdire à une adolescente d'avoir des rapports sexuels ?
  • Est-il admissible qu'une adolescente ait plusieurs amants en même temps ?
  • Y a-t-il des lieux ou des personnes que des parents doivent déconseiller à leur(s) fille(s) de fréquenter ?
  • Y a-t-il des situations dangereuses contre lesquelles on doit prévenir plus particulièrement les adolescentes ?
  • Peut-on définir un âge minimum pour autoriser une adolescente à boire du vin ou de l'alcool ?
  • Les parents doivent-ils interdire à une jeune fille de consommer des drogues « douces » ?
  • Etc.

Il n'y a pas bien sûr de « bonne » réponse à toutes ces questions (qu'il faudra d'ailleurs adapter en fonction des réactions du public auquel on s'adresse), et leur but est seulement de susciter le débat entre les participant(e)s.

L'animateur ne cherchera pas le consensus mais soulignera plutôt les différences de sensibilité en la matière : pour des adolescent(e)s, l'affirmation d'un interdit (ou au contraire d'une absence d'interdits) sera bien souvent l'expression de peurs diverses (pour soi ou pour autrui) qu'il est précisément important de mesurer et de faire percevoir aux (autres) participant(e)s. Dans cette perspective, les questions relatives à la consommation éventuelle d'alcool et de drogues ont plutôt une fonction de diversion par rapport au thème principal qui concerne les craintes liées à la sexualité, craintes vécues diversement selon le sexe mais également selon les individus.

Ainsi, cette première série de questions pourra être reposée (tant aux garçons qu'aux filles) en prenant cette fois le cas d'un jeune homme et non plus d'une jeune fille :

  • Est-il normal d'interdire à un jeune homme de moins de seize ans (ou de quatorze, de treize, de douze...) de sortir seul après minuit ?
  • Peut-on refuser qu'un adolescent porte certaines tenues dans certaines circonstances ?
  • Un père peut-il fermement conseiller à un adolescent d'utiliser des préservatifs pour éviter que sa petite amie ne tombe enceinte avant sa majorité ?
  • Y a-t-il un âge avant lequel des parents peuvent interdire à un adolescent d'avoir des rapports sexuels ?
  • Est-il admissible qu'un adolescent ait plusieurs maîtresses en même temps ?
  • Y a-t-il des lieux ou des personnes que des parents doivent déconseiller à leur fils de fréquenter ?
  • Y a-t-il des situations dangereuses contre lesquelles on doit prévenir plus particulièrement les adolescents ?
  • Peut-on définir un âge minimum pour autoriser un adolescent à boire du vin ou de l'alcool ?
  • Les parents doivent-ils interdire à un jeune homme de consommer des drogues « douces » ?
  • Etc.

Ce double échange à partir de deux questionnaires fera sans doute apparaître des préjugés courants sur les rôles masculins et féminins (ainsi que sur les normes censées définir ces rôles) mais ces préjugés, loin d'être superficiels, sont intimement liés à l'image de soi et du rapport personnel aux autres : on parlera beaucoup plus facilement d'une tenue provocante chez une femme que chez un homme, mais cette différence de regard renvoie plus largement à notre perception de la séduction (ou du refus de la séduction), de son rôle dans le rapport aux autres et à l'autre sexe en particulier, à la valeur (ou au contraire à l'absence de valeurs) accordée au corps et aux différentes dimensions corporelles, à l'importance donnée par la société contemporaine à l'apparence corporelle et vestimentaire...

L'objectif de la discussion ne sera pas de forger un consensus artificiel mais, comme on l'a dit, de susciter une confrontation (pacifique) des points de vue et de faire prendre conscience aux participant(e)s des différences de point de vue en la matière. Dans cette perspective, l'animateur veillera notamment à permettre l'expression des opinions minoritaires ou minorisées.

Le point de vue des victimes

D'autres approches du film de Peter Mullan sont cependant possibles. Ici, l'on aimerait suggérer une réflexion sur certains comportements problématiques des héroïnes mises en scène : celles-ci réagissent en effet de façon diverse et parfois surprenante à leur enfermement.

Pour des adolescent(e)s qui, pour la plupart, n'ont (heureusement) pas été confronté(e)s à ce genre de situations extrêmes, il est sans doute intéressant de dépasser leur point de vue spontané et de s'interroger, à travers la fiction, sur des réactions psychologiques dont les motivations n'apparaissent pas immédiatement.

Ainsi, l'on pourrait demander aux participants de réagir aux séquences suivantes :

  • Bernadette vole « sans raison » la médaille de Saint-Christophe appartenant à Crispina ;
  • Crispina refuse de laver le « col des prêtres » mais accepte de nettoyer les vêtements tachés de sang ;
  • Bernadette essaie de séduire le jeune homme chargé de transporter le linge : elle se dénude devant lui mais lui interdit de la toucher ;
  • La vieille Cathy veut dénoncer Bernadette mais renonce, semble-t-il, quand Bernadette menace de se suicider si elle est dénoncée ;
  • Una O'Conner, la jeune fille qui avait tenté de s'enfuir avant d'être brutalement ramenée par son père, choisira finalement d'entrer au couvent ;
  • Crispina dort dans une chemise mouillée à l'eau froide puis se punit, dit-elle, pour avoir essayé d'attraper la grippe ; elle tentera ensuite de se pendre ;
  • Margaret découvre une porte ouverte dans l'enceinte du couvent : elle sort un moment puis rentre au couvent ;
  • Bernadette chargée de veiller sur Cathy agonisante lui dit qu'elle rendrait service à tout le monde en mourant le plus rapidement possible...

Les réponses seront bien sûr plus ou moins pertinentes, plus ou moins convenues, plus ou moins approfondies : une explication par le « caractère » des personnages — ainsi la « méchanceté » supposée de Bernadette ou la « folie » de Crispina — risque bien de laisser échapper l'essentiel et de manquer toute compréhension véritable de leurs comportements.

On incitera donc les participants à examiner les effets complexes de la situation d'enfermement vécue par ces jeunes filles ; on soulignera notamment l'ambivalence d'une institution que, d'après nos normes, nous jugeons spontanément répressive mais qui présente également des « avantages » cachés comme des formes de « sécurité » ou de « protection » pour les individus concernés.

C'est ce qui explique sans doute l'attitude de Margaret qui, ayant l'occasion de fuir, y renonce pourtant ; seule la venue de son frère lui permettra de sortir la tête haute du couvent. Ce frère — qu'elle accable pourtant de reproches — constitue ainsi le contrepoids nécessaire à la « protection » que représente paradoxalement cette institution. Patricia et Bernadette quant à elles prendront finalement la décision de s'enfuir (et y parviendront) mais en sachant qu'elles bénéficieront de l'aide de la tante de Bernadette.

En revanche, l'on peut comprendre qu'Una rejetée par son père (qui la ramène violemment au couvent), dépourvue de tout appui extérieur, en vienne finalement à s'identifier à cette institution qui représente le seul avenir possible pour elle. Ainsi aussi, l'attitude de Cathy qui préfère constamment donner raison aux supérieures apparaît aux yeux du spectateur et de Bernadette comme une forme d'aliénation, comme un refus de « voir » la réalité (comme le lui dit brutalement Bernadette) mais qui est sans doute, pour elle, la seule réponse possible à une situation à proprement parler sans espoir.

Les participants pourront comparer ces différents comportements avec d'autres qu'ils ont déjà rencontrés ou évoquer des situations plus ou moins proches de celles mises en scène dans The Magdalene Sisters (l'on pense bien sûr à toutes ces « institutions totales » dont a parlé Erving Goffman ). Et pourquoi ne pas questionner cette institution que tous les jeunes connaissent intimement, l'école qui suscite elle aussi de la part de ses « pensionnaires » un éventail de comportements diversifiés depuis le rejet franc et massif jusqu'à l'adhésion totale à ses idéaux ?

Bien entendu, il ne s'agira pas de verser dans la caricature, ni de présenter l'école comme une prison, mais la comparaison devrait mettre en évidence des aspects habituellement méconnus de l'institution scolaire sur lesquels les adolescents auront sans doute envie de s'exprimer.


1. Le film est disponible en vidéo et DVD. Il est également possible d'organiser des séances par exemple en matinées scolaires avec des cinémas partenaires.

2. Dans ce court article, l'on ne fera pas nettement la distinction entre attitudes, valeurs, représentations. Sur les multiples dimensions de l'éducation à la sexualité, l'on peut se reporter au dossier paru dans La Santé de l'homme, n° 356, novembre - décembre 2001, p. 11-37.

3. Dans cette période de crise des identités, les différences d'attitudes entre filles et garçons, souvent très visibles, ne doivent pas être cependant surestimées ni surtout occulter les différences à l'intérieur de chacun de ces groupes (filles/garçons).

4. Cf. par exemple l'article de Gary Cullinton paru dans The Irish Times, le 25 septembre 1996 et disponible sur le WEB à l'adresse suivante : http://users.erols.com/bcccsbs/bass/new_lastdays.html

5. Différentes accusations ont été portées contre les couvents de Marie-Madeleine à partir des années 1990 mais c'est un documentaire réalisé en 1997 par Steve Humphries et intitulé Sex in a Cold Climat qui a véritablement joué le rôle de détonateur : présenté sur une chaîne britannique (également diffusée en Irlande) dans le cadre d'une émission religieuse habituellement peu regardée, ce documentaire, qui racontait l'histoire de quatre femmes passées dans ces couvents, a suscité énormément d'émotion et de réactions notamment de la part de nombreuses femmes victimes du même enfermement. Celles-ci vont alors former des associations destinées en particulier à renouer les liens entre les mères et les enfants naturels (aujourd'hui adultes) dont elles avaient été séparées, mais également à apporter leurs témoignages sur ce qu'elles avaient vécu (on trouvera des informations complémentaires sur le site WEB : http://www.adoptionireland.com/magdalene/). Peter Mullan reconnaît d'ailleurs sa dette à l'égard du documentaire Sex in a Cold Climat.


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