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Une analyse réalisée par le centre culturel Les Grignoux
et consacrée au film
Erin Brockovich
de Steven Soderbergh
USA, 2000, 2 h 11, avec Julia Roberts, Albert Finney, Aaron Eckhart


1. Résumé du film

Inspiré d'événements réels (mais sans doute pas mal romancés), l'histoire d'Erin Brockovich est celle d'une jeune femme célibataire qui a trois gosses à charge et pas mal d'ennuis financiers. Décidée à tout prix à trouver du travail, elle déniche un boulot dans un bureau d'avocats où elle se retrouve en charge d'une sombre affaire de rachat de terrains par une compagnie d'eau. Menant sa propre enquête, Erin va découvrir que de terribles négligences ont entraîné une pollution de la nappe phréatique responsable à son tour de l'empoisonnement de centaines de personnes.

Réalisé par Steven Soderbergh (l'auteur notamment de Sexe, mensonge et vidéo, Traffic et le récent Ocean's Eleven), Erin Brockovich mêle habilement distraction et réflexion écologique, mettant notamment en cause la puissance d'industries qui sont prêtes à mettre en danger la vie de leurs concitoyens pour maintenir leurs profits. Il brosse par ailleurs un portrait savoureux d'Erin grâce à l'actrice Julia Roberts qui conjugue vulgarité assumée et détermination courageuse dans un combat qu'elle croit juste.


2. Le public auquel le film est destiné

Ce film peut être vu par un large public adolescent entre douze et dix-huit ans environ.

3. Rapport avec la problématique santé

Plusieurs aspects du film concernent l'éducation à la santé. Le thème des risques des pollutions industrielles est évidemment d'actualité, et le film permet d'en comprendre certains mécanismes : il montre notamment la complexité de l'administration de la preuve en ce domaine.

Un autre aspect du film retiendra cependant ici notre attention : il s'agit du personnage d'Erin Brockovich incarné par Julia Roberts qui compose un portrait de femme assez étonnant, démunie socialement mais extrêmement débrouillarde et décidée, jouant de ses attraits physiques tout en affirmant son autonomie sinon sa supériorité sur son entourage.

4. Le compte-rendu d'une animation

L'animation, dont nous proposons le compte-rendu, s'est déroulée dans une école technique avec des adolescents âgés de seize ans environ quelque jours après la vision du film en salle de façon à ce que les souvenirs des spectateurs soient encore frais. Toute la classe était réunie (environ vingt-cinq élèves), et c'est un animateur extérieur qui, en accord avec l'enseignante, a mené l'ensemble de l'animation qui a duré deux heures de cours.

Les élèves, qui avaient été prévenus de la présence de cet animateur, s'attendaient sans doute à ce qu'on aborde les thèmes « sérieux » du film, à savoir les pollutions industrielles et leurs conséquences, alors qu'il avait été décidé, avec l'enseignante, de questionner, à travers le film, la représentation des rôles masculins et féminins, ainsi que l'image de soi qui est liée à cette représentation. Le personnage de Julia Roberts — l'actrice étant pratiquement indissociable du personnage qu'elle incarne — nous paraissait pouvoir fonctionner comme un « révélateur » efficace des valeurs et des représentations personnelles des différents participants, dans la mesure où la jeune femme apparaît porteuse de traits à la fois « saillants » (par exemple son sens de la répartie), susceptibles de frapper l'imagination, mais aussi relativement contradictoires : malgré ses handicaps de départ, elle réussira une brillante carrière dans un cabinet d'avocats. Tous ces traits nous semblaient pouvoir susciter les réactions des jeunes spectateurs.

L'objectif — modeste — de l'animation était, d'une part, de favoriser l'expression de valeurs et d'émotions personnelles face au film et, d'autre part, de faire prendre conscience aux participants des différences d'attitudes en ce domaine : de ce point de vue, il nous semblait intéressant de faire dialoguer les adolescents et adolescentes sur les images que les uns et les autres se font des « rôles » masculins et féminins ainsi que des relations entre les sexes (ou plus exactement entre les genres, ces relations dépassant évidemment le cadre « sexuel » ou même amoureux).

Un jeu de photos

Après avoir lancé la discussion en demandant à l'ensemble de la classe son avis sur le film, nous avons distribué un jeu de cinq ou six photos du film montrant Julia Roberts dans des « accoutrements » divers : généralement une minijupe, un décolleté plus ou moins plongeant, une robe moulante, des hauts (sinon très hauts !) talons, un mélange parfois étonnant de vêtements « élégants » et « vulgaires ».

Ces photos suscitent rapidement des réactions de tolérance souriante : Erin Brockovich est sans doute provocante, mais pourquoi pas ? si ça lui plaît... puisqu'elle a un physique pour ça... Cependant, lorsqu'on demande aux garçons (qui expriment diversement leur admiration) s'ils aimeraient que leur petite amie s'habille de cette façon, une fracture très nette apparaît parmi les participants : quelques-uns ne reculent pas devant l'audace, mais la plupart se montrent beaucoup plus réservés sinon carrément hostiles.

Semblablement, les filles à qui l'on demande si elles pourraient s'habiller ainsi émettent aussitôt des réserves : quand ce n'est pas carrément « non », ça dépend alors des « circonstances ». Peu, sinon aucune, s'imaginent se rendre au travail, comme le fait Erin, dans une telle tenue. Très rapidement, les jeunes spectateurs font alors la différence entre le cinéma et la « vie » et affirment que le personnage de Julia Roberts est un personnage de fiction même s'il est porteur de traits qu'on peut retrouver disséminés dans la réalité.

De façon plus fondamentale, les discussions portent alors sur les relations entre filles et garçons et sur l'importance différente que les uns et les autres accordent à l'apparence physique. À ce propos, l'on voit surgir un véritable ressentiment de certaines jeunes filles qui ne supportent pas le regard des garçons sur le physique féminin (le leur ou celui des femmes en général), regard qu'elles perçoivent comme constamment évaluateur et trop souvent dépréciatif. Dans la même perspective, plusieurs évoquent la jalousie qu'un tel habillement ne manquerait pas de provoquer dans un groupe de filles.

La tolérance apparente masque, on le voit, des crispations, des sentiments parfois violents qui ont pu néanmoins s'exprimer assez facilement dans le cadre d'une discussion libre [1].

George, un vrai mâle ?

Des divergences similaires apparaîtront lorsqu'il s'agira de juger George, le compagnon d'Erin qui apparaît d'abord sous les traits d'un motard portant catogan et arborant une musculature développée : malgré ses airs rudes, c'est lui qui se retrouvera en charge des jeunes enfants d'Erin essentiellement préoccupée par l'affaire de pollution qu'elle cherche à résoudre. Beaucoup de garçons trouvent alors une telle attitude irréaliste et suspectent volontiers le personnage de duplicité, l'amour des enfants n'étant à leurs yeux qu'un stratagème pour séduire leur mère, ce qui n'est cependant pas conforme à l'histoire, George s'occupant des enfants bien après le début de son histoire d'amour avec Erin.

D'autres en revanche — plutôt les jeunes filles — pensent que l'affection de George pour les enfants, qui s'est développée petit à petit, est sans doute sincère, et estiment que cette attitude n'est pas contradictoire avec son apparence fièrement « virile ». Si la paternité apparaît donc pour beaucoup de garçons comme une perspective lointaine dans laquelle ils ne se sentent pas impliqués, les jeunes filles (ou du moins certaines d'entre elles) « militent » (déjà ?) pour un partage plus équitable des rôles parentaux, le père pouvant à leurs yeux s'occuper des enfants dès leur plus jeune âge et leur « virilité » n'impliquant pas l'absence d'affection ou d'émotion. Bien sûr, la discussion sur ce point ne pouvait suffire à rapprocher les points de vue.

Quelle carrière pour une femme ?

George s'occupant des enfants et Erin s'investissant dans sa carrière d'avocate, le film de Soderbergh présentait un intéressant renversement de rôles. Alors, entre le boulot et la famille, faut-il nécessairement choisir ? Tout le monde tombe sans doute rapidement d'accord en déclarant que l'idéal serait de pouvoir concilier harmonieusement les deux, et personne ne semble vouloir sacrifier sa vie personnelle ni faire l'impasse totale sur le travail... Certains, et notamment certaines jeunes filles qui défendent le personnage d'Erin Brockovich à ce propos, soulignent cependant l'importance d'un travail dans lequel on s'épanouit, et affirment en particulier que l'investissement d'Erin dans son boulot peut se justifier sans doute par l'argent qu'elle y gagne mais surtout par la reconnaissance qu'il lui apporte : elle est fière de ce qu'elle fait, elle est heureuse qu'on la respecte, alors que, comme mère au foyer, non seulement elle ne parvenait pas à joindre les deux bouts mais elle était déconsidérée aux yeux de tous.

Même si tout le monde est conscient que le film de Soderbergh est largement fictionnel et que la carrière d'Erin Brockovich (qu'il s'agisse du personnage réel ou de celui interprété par Julia Roberts) est tout à fait exceptionnelle, c'est pour certain(e)s l'occasion d'affirmer des valeurs — et notamment une soif de reconnaissance individuelle — qui semblent déniées par ailleurs.

À ce propos, beaucoup admirent l'aisance verbale d'Erin Brockovich qui, au début du film, est déconsidérée à cause de ses écarts de langage (gros mots et autres vulgarités) mais qui se servira précisément de ces « faiblesses » pour clouer le bec à ses adversaires. On perçoit facilement que, pour ces élèves souvent stigmatisés par l'école, il y a là une forme de revanche sociale consistant à valoriser ce qui jusque-là était considéré comme un « défaut ».

Pas de conclusion ?

D'autres thèmes ont été abordés au cours de cette discussion qui a duré deux heures, par exemple le type de carrière professionnelle choisie par Erin Brockovich qui, du statut de salariée, passe à celui de membre d'une profession libérale dont la rémunération dépend de l'importance des affaires qu'elle traite. Ici aussi, l'on a pu relever des différences de sensibilité, même si la question suscite des réactions moins personnelles dans la mesure où elle ne se pose pas encore concrètement aux participants.

Il est clair que cette discussion ne représentait qu'une étape dans une possible réflexion à plus long terme sur les rôles masculins et féminins. L'intérêt de cette démarche était notamment pour nous de montrer à l'enseignante qui y était associée comment utiliser un film de fiction pour permettre aux élèves d'exprimer des valeurs et des attitudes dont ils n'ont souvent qu'une faible conscience. Par ailleurs, comme l'objectif d'une telle animation n'est évidemment pas d'obtenir une « bonne réponse », le travail préparatoire consistant à élaborer un questionnaire portant sur une dizaine d'éléments précis du film (comme l'habillement d'Erin et dont on a présenté un résumé) a néanmoins guidé la discussion et évité qu'elle ne s'éloigne trop de son thème principal.

L'ensemble de cette discussion a d'ailleurs fait l'objet d'un compte-rendu écrit qui a ensuite été remis aux participants.


[1] La « dynamique » générale du groupe était sans doute suffisamment bonne pour permettre une telle expression : dans d'autres groupes, il aurait peut-être mieux valu séparer la classe en deux groupes unisexes (cf. Josette Morand et Claude Rozier « Éducation à la sexualité : une animation en classe de 4e », La Santé de l'homme. Novembre-décembre 2001, p. 23-24).


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