L’Islandais Hlynur Pálmason réalise un faux polar autour de la quête obsessionnelle d’un mari rancunier persuadé d’avoir été trompé par sa femme, aujourd’hui décédée. Le voilà pris d’une jalousie nécrophile qui va le pousser à s’improviser détective, jusqu’à confondre envies de meurtre et travail de deuil
Le titre du film renvoie à un proverbe islandais disant que lorsque le blanc du ciel et celui de la terre enneigée se confondent, la barrière qui sépare l’espace des morts et celui des vivants est momentanément abolie. Avant que l’on sache de quelle morte et de quels vivants il s’agira ici, le film est effectivement d’abord affaire de météorologie et de paysages. Une très belle séquence elliptique commence par nous montrer le passage des saisons et les transformations de la nature autour de la maison du protagoniste, Ingimundur, un commissaire de police mis en congé après la mort accidentelle de sa femme. Puis, très vite, cette blancheur du paysage va être traversée par beaucoup de noirceur, jusqu’à risquer à plusieurs reprises d’être éclaboussée de taches rouge sang. Au noir du deuil d’Ingimundur s’ajoute celui d’un possible thriller, dont les premiers signes sont justement apportés par les polars qu’empruntait sa défunte épouse à la bibliothèque.
Parce qu’elle n’eut pas le temps de les rendre avant d’aller s’écraser dans le décor blanc avec sa grosse voiture noire, ces bouquins vont la trahir : sur les fiches d’emprunt, le veuf remarque que figure toujours le nom du même homme. Mais Ingimundur n’est pas seul, il accueille souvent chez lui sa petite-fille d’une dizaine d’années, beau personnage d’enfant, flegmatique et maligne, faisant figure de contrepoids éminemment vivant au sein de ce monde froid, brumeux, spectral.
À l’image du protagoniste, partagé entre une gosse espiègle et un fantôme adultère, le film est tiraillé entre plusieurs registres et humeurs, qui en font tout le prix : sa mélancolie scandinave va de pair avec un humour pince-sans-rire, tandis que sa violence semble constamment atténuée, voire absorbée, par le paysage. De même, sa forme extrêmement maîtrisée, aux cadres d’une précision parfois glaciale, est aérée par des digressions étonnantes laissant s’engouffrer un peu de naturel et de joie, tels ces petits chevaux entrant inopinément dans la maison d’Ingimundur.