Le réalisateur de La famille Bélier revient avec une comédie douce-amère portée par Alain Chabat. Il incarne idéalement un quinqua chef cuistot dont la vie opère un tournant décisif lorsqu’il prendra ses rêves d’ailleurs au sérieux
Stéphane s’active aux fourneaux, seul d’abord, rejoint ensuite par Suzanne, toujours un peu en retard pour la mise en place des tables. Aujourd’hui est un grand jour : Stéphane marie Ludo, son fils aîné. Stéphane danse un peu, parle avec les convives, mais un coin de sa tête est constamment occupé par une jeune femme coréenne, Soo, avec qui il échange sur Instagram photos et remarques anodines. Son entourage remarque bien qu’il est un peu absent, sans s’en formaliser plus que ça : il a toujours été un peu secret, peu causant, acharné dans son boulot. Sa seule manière de décompresser est d’envoyer des réponses incendiaires aux commentaires négatifs à propos de son établissement sur TripAdvisor. Réciproquement, ni ses fils ni son ex-femme ne lui confient rien de profond, et c’est ainsi que, le soir du mariage, il fait quelques découvertes pour le moins inattendues… Insensiblement, ses discussions avec Soo le font changer, lui font du bien. Il se permet de nouvelles choses, il ose. Jusqu’à prendre une décision sur un coup de tête, sans vraiment penser aux conséquences : il embarque pour Séoul, rencontrer Soo de visu… Enfin, si celle-ci vient le chercher à l’aéroport… Ainsi vont débuter une multitude de petites aventures d’un quotidien pour le moins chamboulé.
Il y a presque plusieurs films dans #JeSuisLà. En tous cas plusieurs idées qui se superposent pour former un film multiple, sensible, à fleur de peau, comme son personnage principal. Il est question de déconnection d’avec soi-même et ses aspirations profondes ; d’utilisation des réseaux sociaux et de leur limite, ou encore de l’importance de cultiver une ouverture au monde. Tout cela pourrait former un film un peu trop sentencieux ou inadvertamment ringard ; il en résulte plutôt une comédie qui trouve un bel équilibre entre un cocasse de circonstance et une vraie tendresse pour ses personnages. Alain Chabat incarne idéalement Stéphane : ses actions, que ce soit épousseter une tête de sanglier empaillée ou danser un ersatz de carioca au mariage de son fils, stimulent immédiatement sa veine comique. L’on rit d’autant plus facilement qu’il n’a pas besoin d’en faire beaucoup pour être drôle. Mais ce qui fait de #JeSuisLà une réussite, c’est l’émotion qu’il attise au fur et à mesure du « périple » de Stéphane ; Chabat délaissant son image de comique invétéré pour un rôle plus nuancé, chargé de failles et de profondeur. Là où La famille Bélier narrait une séparation nécessaire d’une jeune fille d’avec sa famille chérie, il se pourrait bien que #JeSuisLà parcourt le chemin inverse, celui d’un homme vieillissant pour retrouver les siens.
CATHERINE LEMAIRE, LES GRIGNOUX