En racontant l’histoire d’une mère astronaute sur le point de partir en mission, Alice Winocour nous expose la conquête spatiale sous une toute nouvelle perspective : ce qu’elle peut avoir d’étrangement ordinaire
Le cinéma nous a habitués à l’aspect épique des conquêtes spatiales, souvent prises en charge par la science-fiction. Et quand ce n’est pas dans ce registre qu’elles se racontent, celles-ci s’accompagnent souvent d’une rumeur mythique, comme le First man de Damien Chazelle, biopic dramatique sur Neil Armstrong, premier homme à avoir marché sur la Lune, qui, malgré une approche plus intime, conservait une grandiloquence toute américaine. Tourné en Europe, Proxima se déploie visuellement avec une tout autre texture, une tonalité plus délicate, loin du sensationnel. Ici, les combinaisons d’astronautes ressemblent davantage à des uniformes massifs et indomptables à l’intérieur desquels il est compliqué de se mouvoir, tandis que le centre d’entraînement russe où séjourne l’héroïne a un côté rétro-futuriste, légèrement vétuste.
Alice Winocour dépouille son film de toute la fascination liée à l’espace, traitant chacune des étapes avant le décollage de manière quasi documentaire. Pourtant, paradoxalement, ce traitement nous amène à mieux appréhender la folie, l’impression d’irrationnel qui entoure le métier d’astronaute. Lorsque le personnage principal, Sarah (superbe Eva Green), assiste avec sa fille à un entretien préalable à sa mission, et qu’elle fait mine de vouloir l’écourter, la responsable du protocole (Sandra Hüller) lui assène : « Mais enfin, Sarah, vous ne partez pas en voyage d’affaires, vous allez quand même… quitter la Terre ». Et cette phrase de résonner étrangement à nos oreilles, nous confrontant à l’énormité de fait que cela implique. Sarah est donc cette astronaute sur le point de partir pour une mission d’un an sur Mars.
Le film se déroule durant les semaines qui précèdent le décollage, où celle-ci suit un entraînement rigoureux en Russie. Elle est la seule femme d’une équipe dirigée par Mike (Matt Dillon), et doit aussi faire face au sexisme latent du milieu, tentant d’y répondre en faisant davantage d’efforts. Mais le plus dur pour Sarah reste cependant de dire au revoir à sa fille, Stella (« étoile » en italien), de manier ces moments délicats où elle doit à la fois lui faire comprendre qu’elle l’aime de manière inconditionnelle, mais qu’elle désire aussi embrasser cette carrière qu’elle a minutieusement, et brillamment, mise en place durant des années. Un dilemme assez commun en somme pour toute mère de famille. Mais cette mère est ici astronaute, et cette spécifité donne au film toute son intensité.
ALICIA DEL PUPPO, LES GRIGNOUX