Nerveux, habité, Les misérables conjugue une remarquable finesse d’analyse avec la tension d’un thriller social et politique sur les injustices structurelles, l’abandon des quartiers et la colère qui gronde… Cette claque salutaire a remporté un remarqué Prix du Jury au dernier festival de Cannes
Les misérables ne vous lâche pas. Six mois après sa découverte à Cannes, son souvenir reste vif, son propos, toujours aussi tranchant. Nous marchons dans les pas de Stéphane (Damien Bonnard), flic tout juste muté dans la Brigade anti-criminalité de Montfermeil, une banlieue de Paris avec ses hautes tours rectangulaires et liée à un imaginaire dénigrant construit à grand fracas pendant plusieurs décennies de politique répressive et humiliante ; imaginaire que Ladj Ly s’emploie à déconstruire pour rendre la vie dans la cité à ses nuances et ses diversités, se nourrissant de sa propre expérience et d’une bavure policière dont il a été témoin.
Stéphane, un peu gauche, n’a pas l’air taillé pour le job face à ses deux mentors du jour et futurs co-équipiers, Chris et Gwada, vieux de la vieille qui quadrillent le quartier depuis dix ans et se la jouent durs à cuire dans leur voiture dite banalisée, mais repérée comme le loup blanc. L’envie est grande de tester la nouvelle recrue… Et voilà Stéphane pris en tenaille, entre les fanfaronnades de ses collègues et celles des gamins du quartier, un brin paumé dans ce nouveau monde qu’il cherche à comprendre et à intégrer, tandis que la caméra nerveuse colle au plus serré de l’action qui se tend progressivement. Soudain, il est palpable que tous naviguent en terrain miné de longue date et qu’il ne faudra qu’une flammèche pour que la pétaudière s’embrase. Le ressort dramaturgique est en place, impeccable, implacable. Un simple enfantillage, le vol d’un lionceau, mettra le feu aux poudres dans la cité où rien n’échappe aux regards des téléphones portables ni à ceux des drones…
Du roman phare de Victor Hugo, le jeune réalisateur ne se contente pas d’emprunter le titre, il tisse un lien subtil avec l’univers de l’écrivain humaniste pour dresser un état des lieux de notre époque. Deux cents ans plus tard, nous voici de retour, sans que ce soit énoncé, dans le fief des Ténardier, à Montfermeil, la ville d’enfance de Cosette, celle du cinéaste également. Le film résonne dès lors comme un prolongement respectueux de l’immense épopée populaire éponyme, nous prend à la gorge avec le même sentiment d’injustice, d’impuissance. On se surprend alors à rêver de l’odeur des barricades…
Prix du Jury au Festival de Cannes 2019
