Une nounou (trop) parfaite s’immisce dans une famille (trop) bien sous tous rapports… Tableau grinçant, Chanson douce joue habilement de nos craintes les plus profondes, celles qui concernent les enfants. Karin Viard, magnétique, souffle le chaud et le froid dans un rôle d’une exceptionnelle densité
En adaptant le prix Goncourt éponyme de l’écrivaine Leïla Slimani, la réalisatrice Lucie Borleteau (découverte avec Fidelio, l’odyssée d’Alice) innove en n’abordant pas le récit par le même bout que le roman, tout en restant très fidèle à son esprit, son ambiance, son terreau sociétal cruel. Myriam (Leïla Bekhti) n’arrive plus à rester dans ce rôle anxiogène de mère au foyer, sans autre horizon que couches et torchons. Les gazouillis de ses petiots, quand bien même elle les chérit, l’enferment dans un univers rétréci, son esprit, son intelligence n’y trouvent pas leur compte. Une petite discussion entre époux… et c’est décidé : ils vont chercher une nounou. Les entretiens qui s’en suivent campent le décor, satirique. Dans les regards complices, parfois effarés ou moqueurs, que notre sympathique (?) couple de tourtereaux se lancent, transparaît déjà un certain mépris de classe. Rapidement, il apparaît qu’aucune bonne d’enfant n’a une chance d’être à la hauteur de leurs légitimes – se persuadent-ils – exigences et angoisses parentales. Ils sont presque prêts à lâcher l’affaire quand soudain arrive Louise (Karin Viard), tenue maîtrisée, souriante, rigoureuse, douce, séductrice juste ce qu’il faut, parfaitement respectueuse et déférente. C’est le coup de foudre immédiat, inespéré, unanime ! Une fée marraine du logis, allant même au-delà de son rôle, comblant leurs attentes les plus secrètes, transformant l’appartement en havre de propreté, de sérénité, en jardin d’Eden…
Mais là où passent les anges, les démons ne sont pas loin. Louise, adulée par les deux mômes qu’elle mène par le bout du nez, leur devient vite indispensable. Une deuxième maman… Myriam, tiraillée entre son travail passionnant d’avocate et la culpabilité d’être moins présente, en deviendrait presque jalouse. Bien sûr, la partition se délite progressivement en fausses notes, d’abord rares, comme accidentelles, mais on se prend à redouter que la musique devienne stridente, ne sachant plus trop sur quel pied danser… Plus rien ne sera sûr, ni le pire, ni le meilleur.
