Composée à partir de thèmes chers au cinéaste (un univers entre songe et réalité, le questionnement sur le tangible et l’intangible…), Le visage est une œuvre brillante, drôle et effrayante, au ton expressionniste
Au milieu du XIXe siècle et de la nuit, une troupe de bateleurs menée par l’inquiétant magnétiseur Vogler arrive en ville et est immédiatement escortée chez le consul, où le préfet de police et le docteur Vergerus fourbissent les actes d’un procès destiné à démasquer la supercherie des saltimbanques. Par-delà l’opposition aménagée entre des notables momifiés dans leur rationalisme et une troupe de bateleurs artificieux, le film est un étourdissement manifeste de l’impureté, de l’illusion et du mystère.
Drame et comédie à la fois, tout y est trompeuse apparence, versatilité du visible, ambiguïté du sens. Entre La règle du jeu de Renoir et Monsieur Arkadin de Welles, le film est évidemment un plaidoyer en faveur d’un art dont l’ultime vérité réside dans une puissance du faux démasquant les représentations sociales, mais il est en même temps, et pour cette raison même, une manière pour son auteur d’exprimer, à l’instar du personnage de Vogler qui désespère de sa vocation, sa lassitude à l’égard d’un artifice qui est pourtant sa raison d’être. Une ère nouvelle se lève pour le cinéma de Bergman.