Au plus profond de la jungle laotienne, Nicolas Graux est allé à la rencontre d’une communauté cultivant l’opium, seul moyen de survie dans cette région reculée de l’Asie, mais aussi poison puissant qui endort les hommes
Laosan regarde fixement la végétation luxuriante qui cerne le village Akha – une ethnie originaire de Chine – où il vit avec sa famille au nord du Laos. Pense-t-il à cette légende centenaire qui déterminerait sa perte, celle de son peuple ? La fille d’un empereur, dit-on, resta vierge toute sa vie à cause de sa beauté, qui intimidait les hommes. Sur sa tombe, une fleur poussa entre ses deux seins, portant un fruit d’où suintait un nectar. En le fumant, on oublie tout de l’amour, car il guérit les peines et mène jusqu’au sommeil : l’opium, dont le gouvernement laotien veut interdire la culture, permet encore aux Akha de subsister, tout en les faisant sombrer dans l’addiction.
Pendant un an, Nicolas Graux a filmé les proches de Laosan, scrutant sans juger la déréliction de ces hommes « maudits » par la princesse de l’histoire, nous offrant des images d’une grande qualité esthétique, qui se contemplent en même temps qu’elles offrent à voir une réalité tellement éloignée de la nôtre que nous en restons souvent abasourdis. Mais Century of smoke est avant tout une chronique sociale qui révèle la résistance des femmes, menant dans l’ombre un combat ordinaire pour garder la tête hors de l’eau, avant que le monde auquel elles sont attachées, aux sens propre et figuré, ne disparaisse dans la fumée opiacée.