Reflétant les multiples visages d’une Chine protéiforme, cette épopée romantique d’un couple de gangsters a tout pour être mythique. Jia Zhang-ke (Au-delà des montagnes, A touch of sin) est décidément l’un des cinéastes majeurs de notre temps
Quand Qiao rencontre Bin, elle est une jeune fille sans vague, au regard pétillant et grave. Issue de la classe ouvrière du Xinjiang, elle porte à bout de bras son père mineur pas si vieux, mais déjà usé. Bin n’est qu’un petit caïd de la pègre locale, pur fruit de l’incontournable Jianghu. Deux mondes si lointains, si proches. Alliance fulgurante entre la glace et le feu, les eaux dormantes et celles des rivières déchaînées. Seule femme au milieu de tous ces hommes, Qiao sait déjà s’en faire respecter tout en vivant poliment dans l’ombre du sien. C’est un univers rude, aux principes moraux exigeants mais paradoxaux, dans lequel bonté et vengeance, douceur et violence s’entremêlent, inextricables.
D’emblée, tout nous fascine. On pressent que la vie du jeune couple ne sera pas un long fleuve tranquille. Les éternels, c’est peut-être justement ce qu’ils ne sont pas. Mais ils en sont à cette étape d’une vie où on se sent tellement vivant et fort qu’on se croirait presque invincible, même face à la mort. Le temps attend son heure pour nous prouver l’inverse. Qiao et Bin n’auront jamais d’enfants. Ils vivront heureux, un temps, jusqu’à la fusillade. Ce jour-là, Qiao n’écoute que son cœur pour défendre son amoureux, arme au point. Elle le protégera jusque devant le tribunal, jurant son innocence. Cinq ans de taule… Cinq ans à attendre un geste en retour de sa loyauté. À sa sortie, plus rien ne sera pareil, mais rien ne sera comme on le croit. De retournements de situation en coups du sort, il est impossible d’anticiper le scénario, qui compose en filigrane la fresque d’une Chine en plein bouleversement économique et idéologique au début du XXIe siècle. Œuvre subtile, riche par son propos, Les éternels procède par étapes entre chaleur humaine et douches froides, grandeur et décadence, humour inénarrable et cynisme décapant.