Ozon s’empare à bras-le-corps de la tragédie des violences sexuelles des prêtres pédocriminels et de l’inaction complice de l’Église. Topographie intime et sociale des victimes, Grâce à Dieu est un portrait bouleversant d’hommes blessés qui se battent pour la justice terrestre, un film magistral d’où suinte une douleur sobre devenue puissance d’agir
Un cardinal, tout en solennité blanche et crosse en main, avance vers un imposant promontoire. De là, il surplombe une grande ville qu’il bénit : Lyon. Cette mainmise symbolique comme acte inaugural n’aura de cesse de nous hanter tout au long du nouveau film de François Ozon. Nous suivons d’abord Alexandre Guérin, catholique pratiquant qui transmet à ses cinq enfants l’amour du Christ. Guérin apprend que le prêtre qui l’a « tripoté » quand il était scout est toujours en activité et entouré d’enfants. La nouvelle le glace et le pousse à la parole, par un dialogue intime avec sa famille, et par un échange épistolaire avec un cardinal fraîchement ordonné, Philippe Barbarin. Alexandre veut agir, en tant que catholique, au sein de l’Église et pour l’Église, persuadé qu’elle peut en sortir grandie. Depuis les lettres compatissantes jusqu’à une rencontre avec le prêtre qui a commis les attouchements, Alexandre se heurte à l’hypocrisie, à l’inaction et à l'absence de remords. Ses démarches se muent, lentement et sûrement, en combat.
Si l’Église ne peut entamer un processus autocritique sévère, il faudra peut-être en passer par la justice des hommes. Nous suivrons ensuite d’autres hommes, aux vécus différents, issus de classes sociales diverses et aux traumatismes plus ou moins marqués. Tous unis dans une association, La Parole Libérée, qui veut documenter, rendre visible, apporter un soutien aux trop nombreuses victimes. Bref, permettre une mémoire agissante. Et Ozon nous montrera aussi, judicieusement, l’impact intime des traumas passés et celui de la parole présente, dans les conflits familiaux, les dénis atroces, et les quelques marques de soutien. C’est une gageure de faire un film verbal qui soit aussi un grand film de cinéma. Les premiers plans, concis, informatifs, saturent le champ d’une parole où chaque mot compte. Pour aller à l’essentiel, il fallait d’abord paradoxalement que le maximum soit dit, et que le minimum soit montré – dans quelques flashbacks épurés mais suffocants. Pour ensuite laisser le récit nous captiver autant que nous bousculer. Si chaque mot compte, chaque nom aussi, et Ozon ose utiliser les vrais noms des protagonistes de cette histoire tristement réelle, et mettre par là même son film en danger – deux procès sont en cours. Si l’on ne peut que respecter son courage, c’est aussi son indisputable talent qu’il faut saluer.
CATHERINE LEMAIRE, LES GRIGNOUX