Le réalisateur de The Lobster revient avec une savoureuse comédie noire à la cour d’Angleterre, où le baroque se fait punk et l’intelligence se mue en sauvagerie grotesque. Sans aucun doute son film le plus délicieux, et le plus grand public
Presque tout le film se déroule au Palais de la Reine Anne de Grande-Bretagne, à l’aube du XVIIIe siècle. Les perruques y sont foison, tout comme les longs corridors, les tapisseries, les clavecins et les prises de vue en très grand angle. La Reine souffre de la goutte et le seul remède qu’on ait trouvé pour soulager sa douleur est de saucissonner ses jambes dans des tranches de bœuf. Son estomac est si faible qu’elle ne peut manger un morceau de gâteau sans le vomir l’instant d’après. Bien qu’elle sache parfaitement marcher, on la trimballe d’une pièce à l’autre en chaise roulante. Quand elle se glisse hors de son lit, c’est pour – parfois – parler aux politiciens et – souvent – jouer avec ses nombreux lapins domestiques. Le palais, tout comme le pays entier, d’ailleurs, est essentiellement géré par son amie d’enfance Sarah (Rachel Weisz), Duchesse de Marlborough, qui déploie un talent fou pour préserver son statut de favorite.
Mais arrive un jour toute dépenaillée Abigail, une cousine que Sarah engage comme servante… Il se fait que celle-ci connaît les herbes médicinales et parvient à soulager la Reine de sa goutte plus efficacement que les beefsteaks quotidiens. Avec son caractère obéissant, sa jolie frimousse et son apparente honnêteté, Abigail pourrait bien devenir la favorite… C’est sans compter sur les vilénies, grossièretés et autres décadentes intrigues de cour pour l’en empêcher…
Yórgos Lánthimos est connu pour ses univers parallèles où l’absurde le dispute au scabreux, où le malaise autant que le rire nous font gigoter sur notre siège. Avec La favorite, il a trouvé un monde idéal pour déployer son regard sans pitié et sa sévérité formelle : celui du film historique en costume. Il n’en rate pas une pour exploser les codes du genre, faisant jurer les nobles comme des charretiers, jouant ironiquement de la musique classique comme contrepoint aux viles chicaneries de nos protagonistes, utilisant une esthétique léchée comme du Caravage pour dépeindre des scènes grotesques et outrageantes. La favorite, c’est un peu comme si les Monty Python avaient repris à leur sauce Les liaisons dangereuses, mâtinées d’un chouia de Barry Lyndon. Un bien réjouissant programme !
LES GRIGNOUX