Pour la première fois derrière la caméra, l’acteur Paul Dano (Little Miss Sunshine, Youth) adapte un roman de Richard Ford et signe une très belle chronique sur le délitement d’un couple dans l’Amérique des sixties
Jeanette, Jerry et Joe forment une famille de la classe moyenne américaine. Comme la norme l’exige à l’époque, Jerry est le seul à travailler et à subvenir aux besoins du foyer. Assistant dans un club de golf, celui-ci se fait, dès le début du film, licencier pour s’être montré trop familier avec la riche clientèle. De retour à la maison, à nouveau au chômage – on comprend vite qu’il ne s’agit pas de sa première déconfiture –, il traîne devant le poste de télé, hypnotisé par les images d’incendies qui embrasent les forêts du Montana, muré dans un silence dépressif que seule la bière semble consoler. Sa femme tente de lui remonter le moral, s’efforce de trouver des solutions, propose de chercher un travail, mais cette option ne semble pas valable pour Jerry qui, pourtant, lutte contre son incapacité à répondre au modèle patriarcal américain.
On perçoit dans son regard le mépris qu’il ressent pour lui-même. Alors, sans vraiment s’inquiéter de l’avis de sa femme et de son fils, il prend la décision de s’engager en tant que pompier, un métier dangereux, qui paie peu et pour lequel il doit en plus s’absenter longtemps. Délaissée par son mari, Jeanette va tenter de s’en sortir, mais pour une femme des années 1960, éduquée dans l’idée qu’elle doit s’épanouir au sein de son foyer, renverser ce rôle de ménagère n’ira pas sans une certaine schizophrénie. Sous les yeux de son fils, Jeanette va progressivement perdre pied, sombrer dans une froide dépression et l’entraîner dans des situations inconfortables. Ce à quoi nous assistons, en même temps que Joe, impuissant face à la décomposition du couple de ses parents, ce n’est pas seulement au désordre d’une crise conjugale, mais à l’essoufflement d’un modèle social. C’est une époque où les femmes n’ont pas encore entamé leur marche féministe, et, à l’intérieur de leur cuisine, elles commencent sérieusement à suffoquer.
Dans le rôle de Jeanette, Carey Mulligan est exceptionnelle. C’est une battante, toujours prête à soutenir son mari, à combler les failles de sa virilité tout en lui laissant penser qu’il garde le contrôle. Mais quand il s’en va, c’est une toute autre facette qui fait surface. Celle d’une femme névrosée, écartelée entre l’image d’une femme émancipée et celle d’une femme au foyer, et qui devra encore batailler pour trouver la place, l’identité qui lui convient.
ALICIA DEL PUPPO, LES GRIGNOUX