Après une mise à pied de deux ans pour le virulent Cochons et cuirassés (1961), satire de l’occupation américaine, Shohei Imamura enfonce le clou avec un projet encore plus audacieux : substituer à la tradition pathétique du mélodrame féminin une étude lucide et implacable, retraçant le parcours d’une modeste paysanne, de sa naissance à sa maturité, jalonné des soubresauts de l’histoire japonaise contemporaine
La remarquable comédienne Sachiko Hidari prête ses traits aux différents âges de Tome, une villageoise des montagnes née dans une famille indigente qui, d’ouvrière fileuse à servante, puis prostituée, se fraie une voie jusqu’à devenir mère maquerelle dans un bordel de Tokyo.
Pourquoi la qualifier d’« insecte » ? Parce qu’elle accomplit son cheminement à ras de terre, uniquement mue par la plus élémentaire des forces : l’instinct de conservation, qui croise les dimensions du sexe et du commerce. Pour Imamura, l’homme n’est jamais qu’un animal comme les autres, et ce qui l’intéresse, c’est le flux vital, impérieux et cruel, qui mobilise l’individu. Filmé dans un beau noir et blanc contrasté aux cadres souvent oppressants, La femme insecte inscrit son héroïne dans un faisceau complexe de lignées. Lignée de mères volages qui se donnent au premier venu. Lignée de pères incestueux (les hommes avec lesquels on couche, souvent appelés « papa »). Lignée de grossesses et d’enfants à la paternité incertaine. Lignée d’événements historiques qui modifient les conditions objectives de l’ascension de l’héroïne : la Seconde Guerre mondiale, la capitulation (le discours de l’empereur entendu à la radio), le syndicalisme d’après-guerre, la reprise économique, les manifestations estudiantines (contre le traité de sécurité nippo-américain)…