Erwan Le Duc (Perdrix) impose un ton pop et délicat, subtilement fantaisiste, qui navigue entre légèreté et profondeur. Cette comédie sentimentale au scénario admirablement tendu et concis, surla complicité entre une fille et son père, est un enchantement de tous les instants !
Etienne a 20 ans à peine lorsqu'il tombe amoureux de Valérie, et guère plus lorsque naît leur fille Rosa. Le jour oValérie les abandonne, Etienne choisit de ne pas en faire un drame. Etienne et Rosa se construisent une vie heureuse. Seize ans plus tard, alors que Rosa doit partir étudier et qu’il faut se séparer pour chacun vivre sa vie, le passé ressurgit…
Il est donc d’abord question d’une histoire d’amour précoce qui prend ses racines dans une manifestation politique. Cette séquence, intense, soutenue par de la musique symphonique, met l’accent sur la jeunesse et le mouvement. Le tout s’additionne pour représenter le caractère virevoltant et la puissance émotionnelle d’un coup de foudre. Tout est dit en deux minutes, sans dialogue. C’est un vrai tour de force formel.
Erwan Le Duc est un cinéaste équilibriste qui se sert de l’humour pour désamorcer la tristesse et l’inquiétude. Il en joue parfaitement quand son récit pose la question de savoir s’il est encore possible d’aimer quelqu’un qui n’est plus là, lorsqu’il met l’accent sur la difficulté à élever un enfant quand on est jeune parent. Il possède aussi un indéniable sens graphique qui donne un supplément d’âme à ce réel devenu tout d’un coup gracieux. Les décors dégagent une tonalité pop, minimaliste, avec une attention portée à l’agencement des couleurs primaires, qui s’accordent aux désirs des personnages. Le cinéaste a l’œil pour enchanter un simple moment de la vie. Lorsque les deux héros se brossent les dents et que seul le haut de leur visage est filmé, on finit par ne voir que leurs grands yeux qui bougent. Une définition de ce que veut dire bricoler un bref instant burlesque au cinéma. Quand des nuages se reflètent sur le pare-brise d’une voiture et masquent en partie les visages des personnages, cela nous aide à mieux capter l’humeur de ce qui se joue dans l’habitacle.
Le passé rattrape le présent des personnages, les temporalités se télescopent, mais cette déconstruction du récit, aussi élaborée qu’elle soit, ne brouille pas notre vision. Tout est ajusté, coupé au bon moment : Erwan Le Duc fait preuve d’un grand sens de l’ellipse pour développer, en à peine une heure trente, une histoire qui s’étire dans le temps. On comprend rapidement, par exemple, que le père a retrouvé une compagne sans qu’il faille dix séquences pour nous le dire.
Nous sommes en plein dans le tourbillon de la vie et, à l’instar d’une comédie musicale, un genre auquel on pense beaucoup en regardant (et en écoutant) le film, les personnages ne cessent de courir.
La Fille de son père s’amuse à casser les frontières et les clichés entre parent et enfant, jusqu’à se demander si le père est en train de faire sa crise d’adolescence tardive ou sa crise de la quarantaine précoce.
S’il est très visuel, le film ne brade pas les dialogues, leur donnant souvent une allure littéraire et philosophique avec ces jeunes qui dissertent, écrivent de la poésie et s’inquiètent du climat.
Quand, au bord d’un terrain de football, la maire du village (Noémie Lvovski, toujours extraordinaire) s’inquiète du fait que le monde va mal, que tout s’effondre, la bande-son du film, avec ses sifflements guillerets, désamorce l’instant. Chaque fin de séquence ouvre la porte à une suivante dont on ne soupçonne pas la puissance poétique. Dans La Fille de son père, on avance de surprise en surprise, d’éblouissement en éblouissement, et l’on s’émeut devant ces personnages, magnifiquement incarnés, qui se démènent pour colorer leur vie et reprendre en main leur destinée.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux