À 83 ans, Marco Bellocchio démontre une fois de plus (après Le Traître) qu’il est l’un des plus grands cinéastes vivants. Du scénario à la mise en scène, son dernier film est tout simplement un chef-d’œuvre : leçon d’histoire, plaidoyer contre l’obscurantisme religieux et époustouflant spectacle de cinéma !
En 1858, dans le quartier juif de Bologne, les soldats du pape font irruption chez la famille Mortara. Sur ordre du cardinal, ils sont venus prendre Edgardo, leur fils de 7 ans. L’enfant aurait été baptisé en secret par sa nourrice étant bébé et la loi pontificale est indiscutable : il doit recevoir une éducation catholique. Les parents d’Edgardo, bouleversés, vont tout faire pour récupérer leur fils. Soutenus par l’opinion publique de l’Italie libérale et la communauté juive internationale, le combat des Mortara prend vite une dimension politique. Mais l’Église et le pape refusent de rendre l’enfant, tentant d’asseoir un pouvoir de plus en plus vacillant…
Nul besoin d’être un fin connaisseur de l’histoire en général, et de celle des religions en particulier, pour saisir les enjeux dramatiques complexes cristallisés autour de la figure d’Edgardo Mortara — personnage réel qui, soit dit en passant, vécu la fin de sa vie à Liège et y est enterré. À partir du déchirement originel induit par l’enlèvement de cet enfant, de l’immense injustice qu’un tel acte évoque à nos consciences contemporaines, Bellocchio déploie toute l’ampleur de son propos et de son cinéma. Certes, l’époque n’est pas la même qu’aujourd’hui, l’Église n’a heureusement plus autant de pouvoir, mais les résonnances avec notre monde actuel sont plurielles et participent à l’intense émotion que le film suscite. Une émotion qui passe bien entendu par la narration, mêlant la lutte intime des parents pour récupérer leur enfant à l’insurrection du peuple contre le pape Pie IX et l’intransigeance dogmatique — qui confine à la folie — avec laquelle celui-ci y répond. Enfin, une émotion qui surgit surtout de la mise en scène baroque et flamboyante de Bellocchio, de sa maîtrise absolue du clair-obscur, d’un lyrisme visuel et musical qui donne de la puissance à chaque plan. Il perce hors de ce film quelque chose de sacré, qui finit par nous laisser pantois, subjugués par la force du cinéma à pouvoir nous transporter dans sa forme, y compris quand celle-ci est classique, tout en élevant nos esprits, non pas vers une communion céleste, mais vers plus de beauté et d’intelligence.
ALICIA DEL PUPPO, les Grignoux