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Prix du Jury au Festival de Cannes 2023
Ce Prix du jury du Festival de Cannes a le goût prononcé d’une Palme d’or. Minimaliste et stylé, le nouveau chef-d’œuvre d’Aki Kaurismäki est une réflexion douce-amère sur le destin et l’amour impossible, sur fond d’inflation
Deux personnes solitaires se rencontrent par hasard une nuit à Helsinki et chacune tente de trouver en l’autre son premier, unique et dernier amour. Mais la vie a tendance à mettre des obstacles sur la route de ceux qui cherchent le bonheur…
Fidèle à ses obsessions formelles et thématiques qui traversent son cinéma depuis quarante ans, Aki Kaurismäki poursuit une œuvre personnelle au style inimitable. Le cinéaste s’intéresse aux couches populaires de la société dont il rend à nouveau compte de l’existence avec une profonde empathie, sans une once de misérabilisme ou de noirceur malsaine, sublimant à tout instant leur beauté fragile.
C’est dans le creux de la fiction que s’affirment la position d’un artiste du côté des plus faibles et sa critique d’un monde capitaliste déshumanisé.
L’évidente simplicité de l’histoire des Feuilles mortes, racontée comme un conte, lui permet d’aborder, parallèlement, des questionnements surgis des profondeurs de l’âme et des dérèglements de la société. Tout est fluide et complexe à la fois, et cette fusion-là n’est pas donnée à tout le monde. Le réel est transcendé par la force de la lumière et du cadre, cette attention portée sur les décors dont l’atmosphère est en phase avec l’humeur des personnages. Nous découvrons, ébahis, de magnifiques tableaux de la vie de tous les jours qui ont de l’épaisseur (rien d’esthétiquement gratuit ici) et qui sont agencés avec concision, sans temps mort, aussi curieux que cela puisse paraître dans un film qui n’a pourtant recours à aucune facilité pour donner des vitamines à l’action. C’est la force d’un cinéma minimaliste qui arrive à rendre passionnant le fait de regarder un personnage assis à la table de sa cuisine, ne faisant rien de particulier, avec la radio (et ses infos sur la guerre en Ukraine) en fond sonore. Parce que le peu est tout chez Kaurismäki, ce qui sous-entend qu’il peut dégager un incroyable lyrisme et qu’il finit à chaque fois par émouvoir. Surgissent en même temps les larmes de la joie et de la peine, car rien n’est simple ni figé, à l’image de cette histoire d’amour qui n’arrive jamais à se concrétiser. Mais il y aura aussi toujours cette touche d’humour tendre inimitable qui détend l’atmosphère. La solitude, le doute et la grande fragilité intérieure qui définissent les héros de Kaurismäki sont incarnés par des comédiennes et comédiens au jeu sobre et rentré, ce qui rend plus attachant, mystérieux et trouble encore le comportement de leurs personnages touchés par l’amour. C’est du cinéma très romantique et mélancolique, à l’image des grands mélos classiques, qui atteint un magnifique équilibre entre le rétro et le moderne, entre le désuet et l’essentiel. Les personnages ne sont pas artificiels et sont bien d’aujourd’hui, car tant leurs émotions que le contexte de leur existence proviennent de l’imagination d’un auteur qui est à leurs côtés, les connaît. Kaurismäki a les deux pieds plantés dans la vie, la vraie.
Nicolas Bruyelle, les Grignoux
