Le retour derrière et devant la caméra de Yolande Moreau est tant une jolie fable atypique qu’une réflexion mélancolique et personnelle sur l’amour et l’amitié à travers le portrait, tout en simplicité, de marginaux au cœur tendre
Amoureuse de peinture et de poésie, Mireille (Yolande Moreau) s'accommode de son travail de serveuse à la cafétéria des Beaux-Arts de Charleville tout en vivant de petits larcins et de trafic de cartouches de cigarettes. N'ayant pas les moyens d'entretenir la grande maison familiale des bords de Meuse dont elle hérite, Mireille décide de prendre trois locataires. Trois hommes qui vont bouleverser sa routine et la préparer, sans le savoir, au retour du quatrième : son grand amour de jeunesse (Sergi López), le poète…
Il se dégage du travail de réalisatrice (mais aussi de comédienne, finalement) de Yolande Moreau un fort sentiment de bienveillance et de douce excentricité toujours très contagieuses. Tout cela en trois films aux couleurs atypiques qui ne répondent à aucun cahier des charges habituel, inventent leur propre monde, à l’abri du vent léger des modes. C’est un geste artistique qui témoigne de beaucoup de liberté et certainement d’une profonde nécessité quand on sait la difficulté de développer des projets de cinéma sans enjeu narratif fort, totalement dédiés à l’ambiance et aux personnages. À la suite de Quand la mer monte et d’Henri vient se greffer cette Fiancée du poète dont la mise en scène, discrète, s’abandonne totalement au jeu généreux des comédiens. Le film se garde le plaisir secret de tendre vers des instants de réalisme magique (cette péniche qui glisse sur la Meuse en fendant l’épais brouillard) qui lui donnent une grandeur supplémentaire.
Dans cette vaste demeure qui tient debout vaille que vaille, les cicatrices murales disent beaucoup du passé, de ce qui s’y est joué et de la fragilité actuelle du personnage principal.
Regarder La Fiancée du poète, c’est l’assurance de ressentir le passage du temps autrement, dans son étirement le plus absolu, et de vivre dans un monde à part, mélancolique, mais qui se refuse d’être terne, bien au contraire, car il ne manque jamais d’humour.
Le scénario ne se donne pas d’ambition démesurée, tout prend sens et passionne grâce à cette communauté d’esprits chaleureuse, à ces personnalités fortes qu’aura réussi à nous révéler tendrement Yolande Moreau. Revenir dans ce nid familial aujourd’hui délaissé, c’est la conviction pour Mireille que le passé ne doit plus lui faire du mal. En ouvrant la porte à ces marginaux qui lui ressemblent chacun à leur façon (drôle, rebelle ou sensible), c’est comme si elle ouvrait la première page d’un nouveau livre à écrire. Elle partage son bonheur pour l’art, rappelle à quel point il nous façonne et nous bouleverse. Que l’amour de jeunesse de Mireille soit ce poète mystérieux est la preuve évidente que l’art et l’amour sont indissociables, même s’ils ne peuvent toujours se relier sans fausse note, sans gravité. Finalement, partager un moment avec des personnages comme ceux-là ne peut décidément pas faire de tort si l'on garde à l’esprit que vivre dans le rejet du conformisme, dans une totale indépendance d’esprit et d’humeur comme eux, fait beaucoup de bien.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux