Pour son premier long métrage en tant que réalisatrice, l’actrice Veerle Baetens (The Broken Circle Breakdown, Duelles) adapte le roman à succès de Lize Spit et livre un drame opaque, mélancolique sur la détresse psychologique des victimes d’agression. Percutant !
De nombreuses années après cet été caniculaire au cours duquel tout a basculé, Eva retourne dans son village natal avec un énorme bloc de glace dans son coffre. Au cœur de l’hiver, elle devra affronter son passé et se mesurer à ses agresseurs…
Quand on la rencontre au début du film, Eva est adulte (et interprétée par Charlotte De Bruyne). Assistante d’un photographe à Bruxelles, elle semble éteinte, renfermée sur elle-même, presque inadaptée socialement. Quelque chose dans son rapport aux autres trahit un mal-être profond. Elle refuse de voir ses parents, et seule sa sœur peut rentrer dans sa bulle. L’origine de ce malaise sera évoqué dans une série de flash-back. Dix ans plus tôt, Eva est une pré-adolescente (interprétée alors par Rosa Marchant, dont l’incroyable talent lui a valu un prix au Festival Sundance) et profite de l’été dans la petite bourgade flamande où elle vit. Tout n’est pas rose — notamment une mère dépressive, des contraintes inhérentes à la puberté et un drame passé qui semble avoir marqué le village —, mais on se débrouille, et, globalement, Eva est heureuse. Elle traîne avec deux de ses amis d’enfance, on les appelle “les trois mousquetaires”. Eux aussi sont en train de grandir et leur comportement, leurs propos à l’encontre d’Eva ne sont pas toujours adéquats. Le film progresse ainsi du présent au passé, nous laissant peu à peu deviner le rôle du bloc de glace dans cette histoire où l’on sent poindre quelque chose de tragique…
Pour son incursion dans le domaine de la réalisation, Veerle Baetens, actrice résolument solaire, nous entraîne dans un drame sombre, à la tristesse enfouie, retenue, mais qui palpite au creux du récit bien avant les révélations. Veerle Baetens se distingue dans sa manière de mettre en scène un milieu populaire typiquement belge, ses enseignes immuables (la boucherie et son morceau de boudin), son folklore provincial, et ses visages, ses accents modelés par la campagne environnante. Cette enfance relativement joyeuse — à laquelle les spectateurs et spectatrices belges pourront s’identifier — contraste avec la noirceur de l’âge adulte, et c’est très aisément que l’on décrypte la violence d’un drame qui n’a pas été digéré, qui n’a pas pu être digéré. Alors que l’on proclame partout la puissance salvatrice de la résilience, antidote ultime à la vulnérabilité, Débâcle rappelle qu’il existe des victimes qui n’y parviennent pas... Des personnes pour qui la tragédie demeure, innervée à l’intérieur, difficile à surmonter.
ALICIA DEL PUPPO, les Grignoux