Ce geste de cinéma fascinant se présente comme un documentaire sur la préparation d’une fiction autour d’Olfa, une mère célibataire tunisienne de quatre filles, dont les deux aînées ont rejoint Daesh. Un voyage intime fait d’espoir, de rébellion, de violence, de transmission et de sororité qui va questionner le fondement même de nos sociétés
Au départ, la réalisatrice voulait filmer la vie bien réelle d’Olfa, une femme complexe, aussi exubérante que secrète, dont la subtile cinéaste a vite décelé les contradictions, sinon les ambiguïtés. En clair, Olfa, qui est passée plusieurs fois à la télé (son histoire a fait la une des médias en Tunisie), est une comédienne née, qui n’hésite pas à réécrire son passé. Une question de survie ! Plutôt que de s’obstiner à tourner un documentaire classique avec elle, Kaouther Ben Hania a donc opté pour un dispositif autrement plus intense et pénétrant. Les Filles d’Olfa épouse la forme d’un huis clos et s’appuie sur deux clés de voûte audacieuses. D’abord, un grand et unique décor, réduit à l’essentiel, donc idéal pour accueillir un récit aussi intime. Ensuite, une interaction permanente entre ses actrices amatrices (Olfa et ses deux benjamines) et professionnelles (celles qui jouent les deux aînées, évidemment absentes, mais aussi Hend Sabri, star dans son pays, qui incarne Olfa pour mieux la confronter à son double fictionnel…). Tandis que la parole circule entre elles, déjouant tabous, digues ou non-dits ; tandis qu’alternent des moments de jeu, radieux, et des moments de réflexion sur le jeu ; l’émotion gagne du terrain, et fendille le moule de ce dispositif dont on aurait pu craindre qu’il ne soit trop conceptuel. Or, c’est tout le contraire qui se produit, Kaouther Ben Hania réussit l’exploit de nous immerger dans un cinéma lumineux, quoique terriblement humain… Nul hasard si elle se place sous la tutelle stimulante d’Abbas Kiarostami. Son film corrobore l’une des plus célèbres affirmations du cinéaste iranien, explorateur têtu de la frontière entre fiction et non-fiction : « Le mensonge est le seul chemin vers la vérité ». D’ailleurs, Les Filles d’Olfa a beau être une œuvre-dédale, on ne s’y sent jamais perdu. Sans doute parce que les thèmes qui l’animent sont puissants, et surtout puissamment déclinés…