Sensation du dernier Festival de Cannes, ce film de genre réaliste à l’esthétique époustouflante se sert de la science-fiction pour aborder des préoccupations écologiques et humaines parmi les plus brûlantes actuellement
Reprise dans le cadre des César 2024 : nommé douze fois (record de l'année), le film a reçu 5 cinq prix !
Dans un monde en proie à une vague de mutations qui transforment peu à peu certains humains en animaux, François fait tout pour sauver sa femme, touchée par ce phénomène mystérieux. Alors que la région se peuple de créatures d’un nouveau genre, il embarque Emile, leur fils de 16 ans, dans une quête qui bouleversera à jamais leur existence…
En 2014, Thomas Cailley réalisait Les Combattants, un premier film qui s’inscrivait déjà dans le genre du thriller apocalyptique, avec deux héros persuadés d’une fin du monde imminente. Le réalisateur se montrait très habile dans la gestion contrastée des émotions (du premier et du second degré) et, derrière un enrobage divertissant, aussi préoccupé par l’état du monde. Dans Le Règne animal, il démontre à nouveau, mais de façon plus convaincante encore, sa capacité à mettre en scène un récit de science-fiction avec un sens incroyable du spectaculaire et, au bout du compte, à imposer un univers et un propos cohérents, tout cela en à peine deux films. Il a pu recourir à des effets spéciaux techniquement très aboutis, qui n’ont absolument rien à envier au meilleur du cinéma américain ou asiatique dans le domaine, tout en inscrivant son histoire dans un contexte réaliste, ce qui donne au film encore plus de force.
Comme dans le meilleur du cinéma de genre, Le Règne animal combine le pur plaisir de cinéma à la réflexion politique sur la différence et la discrimination et, plus largement, sur l’avenir écologique de notre planète littéralement à la dérive.
Thomas Cailley connait ses classiques et maîtrise les codes du récit apocalyptique, avec ces personnages en déroute, contraints de tout abandonner pour sauver leur peau et celle de leurs proches. La réussite de son film, au-delà donc du rôle majeur tenu par les effets spéciaux, est dans la gestion des émotions dégagées par les personnages qui, malgré eux, s’éloignent de leur caractère humain au risque de retrouver un état sauvage incontrôlable. Ce recentrage intimiste sur la cellule familiale confère au film une tonalité bouleversante, particulièrement inattendue.
Jamais grandiloquent ni prétentieux, le film de Thomas Cailley ne manque pas non plus d’humour, histoire de désamorcer ce tourbillon de folie et d’inquiétude qui, au grand galop, contamine la planète Terre. S’il est habile à gérer plusieurs genres et niveaux d’émotion, Thomas Cailley le doit à un grand sens du montage qui maintient l’intrigue haletante et surprenante de bout en bout. Il n’oublie jamais non plus de lui donner une texture plus dense et poétique à travers ces séquences au cœur de la forêt, comme en apesanteur, et qui ralentissent à raison le tempo général. Il surgit de ces plans quelque chose de magique et de contemplatif (on rajoutera : de politique) dans le regard posé respectueusement sur la nature, son silence, son mystère et sa puissance, face à laquelle on est décidément bien peu de choses. Le Règne animal est un grand film d’aujourd’hui, spectaculaire et remuant.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux