Ce documentaire en forme d’instantané rock’n’roll de la jeunesse russe d’aujourd’hui, marginale et courageuse, est une magnifique découverte de cinéma, intime et politique, tragique et vivante
À 16 ans, Marusya est déterminée à en finir avec la vie, comme beaucoup d’adolescent·e·s russes. Puis, elle rencontre l’âme soeur chez un autre millenial du nom de Kimi. Pendant dix années, ils filment l’euphorie et l’anxiété, le bonheur et la misère de leur jeunesse muselée par un régime violent et autocratique au sein d’une « Russie de la déprime ». Un cri du coeur, un hommage à toute une génération réduite au silence…
Ce n’est pas tous les jours que nous obtenons des nouvelles du jeune cinéma russe indépendant et, dans le contexte géopolitique dramatique que l’on connait, cela fait particulièrement du bien d’entendre d’autres voix, dissonantes, et de découvrir des visages, si beaux, de cette jeunesse rebelle.
How to Save a Dead Friend est à ranger dans la catégorie des films fauchés tournés à l’arrache. Le genre de projet filmé avec tant d’idées artistiques, de générosité et de sensibilité qu’il finit d’office par tenir debout et marquer au fer rouge les cinéphiles qui le croisent sur leur chemin. L’inventivité du montage, ludique et expérimental, renvoie aux battements du coeur et à son rythme qui ne cesse de différer selon les émotions vécues. Ce film est en quelque sorte la transposition d’un journal intime sur grand écran. Un voyage tourbillonnant et rock’n’roll (la B.O. n’y est pas étrangère) qui nous emmène de la joie d’une histoire d’amour naissante à son futur que l’on sent tragiquement inéluctable, car il révèle une jeunesse écorchée et autodestructrice. La puissance du film est de refuser la noirceur par l’aspect bouillonnant et poétique de sa forme, par la présence d’un humour noir aux vertus vivifiantes et, surtout, en restant viscéralement romantique. Comme si l’amour ne pouvait pas sombrer dans les abîmes et que filmer jusqu’au bout l’être que l’on aime, en jouant des potentialités du montage et de la texture des images, est le moyen le plus direct de témoigner de la beauté du quotidien et, par la même occasion, des pouvoirs cathartiques du cinéma. Terriblement poignant et sombre, tel le son produit par une guitare d’un groupe de new wave à la Joy Division, c’est dire.
NICOLAS BRUYELLE, Les Grignoux