Présenté en compétition à Cannes, cette comédie humaine et politique comme seul Nanni Moretti en a le secret est totalement décomplexée, généreuse et très communicative. Le film d’un cinéaste inquiet au sujet de l’avenir de son art mais qui refuse le désenchantement
Giovanni, cinéaste italien renommé, s’apprête à tourner son nouveau film. Mais entre son couple en crise, son producteur français au bord de la faillite et sa fille qui le délaisse, tout semble jouer contre lui ! Toujours sur la corde raide, Giovanni va devoir repenser sa manière de faire s’il veut mener tout son petit monde vers un avenir radieux…
Dans chacun de ses films, Nanni Moretti ressert et élargit le cadre à la fois, orchestre des mouvements permanents entre l’intime et l’universel, entre sa propre histoire et celle de la société italienne d’hier et d’aujourd’hui. Il parle toujours de lui pour mieux parler de nous. Il le fait avec l’élégance du poète qui sait se regarder dans le miroir pour jouer ironiquement avec son ego et prendre une distance salutaire avec les choses. Il est ici tout de même question d’un cinéaste vieillissant, qui a toutes les peines à mettre son film sur les rails, dont le sujet fait écho aux pages sombres du communisme stalinien des années 1950, et dont la vision du cinéma ne colle absolument pas avec celle de la nouvelle génération.
Le scénario et son double niveau réflexif (le film dans le film) imposent tout de suite un ton ludique que renforce le jeu libre (quasi burlesque) des comédiens. Dans le rôle principal, Nanni Moretti est comme d’habitude quasiment de tous les plans, parle sans cesse, à deux doigts d’agacer et pourtant tellement attachant dans sa façon de se moquer de lui-même, dans la peau d’un clown triste qui a encore envie de faire rire et de faire un bout de chemin avec nous. Moretti n’est pas un cinéaste formaliste et sa mise en scène est d’abord au service des personnages. Elle a tout de même parfois ici des airs de comédie musicale et s’autorise alors d’amples mouvements de caméra, lors de scènes de groupes où l’on danse et chante. Elle emmène définitivement le film sur des terres légères et surprenantes qui font la magie d’un cinéma d’auteur qui, même s’il est profondément sérieux, grave, se définit d’abord comme une expérience vivante et divertissante.
La scène où Giovanni s’en prend à Netflix et à sa stratégie de destruction du cinéma d’auteur est hilarante, déjà culte. Un geste politique salutaire et corrosif qui a le mérite de rappeler une évidence : la création, ce n’est pas du formatage, c’est de la poésie qui vient de l’âme d’un artiste, pas des algorithmes d’un programme informatique. Toujours en pleine forme, Nanni Moretti nous propose une oeuvre inventive, une vraie comédie humaine sur l’éloge du groupe et de la solidarité, sur le plaisir de faire des choses ensemble dans la liberté la plus totale, tout en ayant conscience de ce qui ne va pas, avec la volonté de le dénoncer et de modifier le cour des choses, si c’est encore possible. L’invitation est lancée.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux
>> À partir de sa date de sortie (voir fiche technique ci-dessus), vous pouvez considérer que ce film sera visible au minimum durant 3 à 4 semaines dans les salles des Grignoux.