S’il évoque la discrimination dont fut victime la communauté gay dans l’Angleterre des années 1980, Blue Jean n’a rien de passéiste tant son propos demeure actuel. Son romantisme mélancolique et le regard empathique posé sur son héroïne le rendent plus précieux encore
1988, l’Angleterre de Margaret Thatcher. Jean, professeure d’éducation physique, est obligée de cacher son homosexualité, surtout depuis le vote d’une loi stigmatisant la communauté gay. C’est sans compter sur une nouvelle étudiante qui menace de révéler son secret…
Même si le film s’inscrit dans le passé, son sujet reste malheureusement d’une actualité brûlante. Le droit de vivre son homosexualité en toute liberté est toujours contesté dans beaucoup de régions du monde. Mais il ne faut pas non plus aller bien loin pour constater à quel point les mentalités peinent à changer, que l’étroitesse d’esprit, renforcée par le repli sur soi et les discours racistes et populistes, fait toujours des ravages autour de nous.
Dans une approche réaliste qui n’est pas sans évoquer le cinéma social et engagé du grand Ken Loach, Blue Jean pose son intrigue dans une petite ville industrielle, ce qui lui donne encore plus de force, l’homosexualité y étant généralement plus difficile à vivre.
De plus, il raconte les conséquences d’une loi promulguée par un gouvernement contre une partie de sa population, l’absence totale d’humanité d’un pouvoir public reniant les fondements mêmes des droits humains. Cela fait froid dans le dos et cela doit nous rappeler à quel point nos acquis sociaux restent fragiles (repensons à ces états américains interdisant à nouveau le droit à l’avortement) et incertains sur le long terme.
Blue Jean n’est pas un film militant en soi, frontalement et didactiquement parlant, car il n'oublie pas d’être romanesque. C’est à travers les questionnements existentiels de son héroïne (Rosy McEwen), empêtrée dans les dilemmes de sa double vie forcée, que l’on comprend la violence du contexte. Va-t-on découvrir sa situation ? Comment va-t-elle surmonter cet état de fait ?
C’est une histoire de secret caché, d’une frustration alors que tout est question de pulsion et de désir, de soif de vivre. Que l’héroïne soit professeure de gymnastique n’est pas un hasard et cette dimension symbolique renforce l’aspect émotionnel. Son statut est celui d’une adulte qui doit transmettre un savoir à la jeunesse, alors qu’elle-même est ancrée dans la solitude et la souffrance, dans l’incapacité d’extérioriser ses sentiments. La réalisatrice dépeint avec beaucoup de crédibilité l’ambiance de l’Angleterre rurale des années 1980 et l’intensité (la bande son post-punk, new wave) d’une vie consommée dans le secret et le danger (la nuit dans les bars gay, en sous-sol). S’il dépeint un univers étouffant, fait de tension et de violence sourde, Blue Jean dégage aussi beaucoup de douceur et de mélancolie que renforcent le grain et la lumière des plans tournés en pellicule.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux